Le débat entre les candidats que France 2 souhaite organiser pose de
nombreuses questions.
Plus généralement, le débat est indispensable pour donner les moyens au
citoyen de juger des propositions de ses futurs représentants. Pour aller
au-delà des belles formules et des émotions procurées par la force d’un
discours, il lui faut pouvoir juger du fond. Il lui faut les clés pour estimer
la pertinence et la cohérence des programmes. Sans débat, pas de
démocratie.
Pour autant, un débat à 5 et à plus forte raison à 10 n'est qu'un exercice
de style sans autre intérêt que de permettre de juger de la capacité de
répartie et du sens de la formule des candidats.
Ce ne peut être au mieux qu'un échange de belles phrases et de slogans déjà
moult fois répétés à longueur de meetings. Au pire, ce sera un échange
d'invectives et de propos caricaturaux destinés à dénigrer l'un ou l'autre de
ses adversaires.
Par dessus le marché, un jeu d'alliances implicites entre des candidats aux
intérêts communs faussera nécessairement leur attitude. A 10 ou à 5 ce sera
tous contre Sarkozy. Si Mélenchon et Hollande sont dans un même groupe, gageons
qu'ils ne polémiqueront pas mais s'allieront contre leurs adversaires de
droite. Pourtant, s'il y a bien un débat qui pourrait être intéressant, c'est
celui qui opposerait Hollande à Mélenchon, histoire de bien montrer que leurs
projets sont radicalement différents.
Pour la même raison, Hollande et Sarkozy tenteront d'épargner Bayrou, avec
l'espoir de récupérer ses voix au second tour ce qui leur sera d'autant plus
facile, qu'ils auront d'autres adversaires à boxer. Un face à face
Bayrou-Hollande ou Bayrou-Sarkozy obligerait l'un et l'autre à marquer sa
différence et à expliquer en quoi voter Bayrou ce n’est pas du tout la même
chose que de voter Hollande ou Sarkozy.
Mais pour cela, il faut que le débat soit une confrontation d’idées. Il faut
qu’il se fasse dans les conditions qui permettent à chacun de développer,
d’expliquer, d’argumenter. Et ces conditions ne sont pas réunies dans un débat
à plusieurs (plus de 2). Au contraire, ce ne sera qu’une occasion de plus de
simplifier à outrance les questions importantes qui sont en jeu. Le discours
des candidats sera nécessairement réducteur et contribuera un peu plus à
laisser croire que les questions complexes auxquelles est confrontée notre
société peuvent être répondues à coup d’affirmations péremptoires et de bons
sentiments affirmés avec force.
Il n'y a que le face à face qui vaille, qui ait valeur de débat. Pour peu
qu'il soit bien organisé et dirigé par des journalistes dignes de ce nom, c'est
le seul format qui permette un échange sur le fond ou du moins d'une manière
suffisamment approfondie pour permettre aux électeurs de bien comprendre sur
quoi s'appuient les positions des deux candidats. C'est le seul moyen, pour
aller au delà des slogans et des affirmations péremptoires.
Malheureusement France 2, comme tout l’audiovisuel, est soumis à plusieurs
contraintes dont la moindre n’est pas l’obligation de l’équité de temps de
parole entre les candidats et plus largement l’équité de traitement des
candidats. Cette contrainte exclut les débats bilatéraux entre 2 candidats qui
s’opposeraient frontalement. Trop difficile à organiser, puisqu’en théorie, il
faudrait, comme dans une sorte de tournoi, que chaque candidat rencontre chacun
des ses adversaires ce qui nous ferait 45 combinaisons soit 45 duels à
organiser, autant dire que c’est parfaitement inimaginable à ce moment de la
campagne.
En conséquence de quoi, il ne lui reste plus qu’à tenter d’organiser, dans
une sorte de simulacre d’exercice démocratique, un grand barnum médiatique
superficiel et parfaitement inutile qui ne fera qu’entretenir les
téléspectateurs dans l’illusion qu’il leur suffit de regarder la télévision
pour pouvoir exercer en toute connaissance de cause leur devoir de
citoyen.
Pour ma part, je ne perdrai pas mon temps à assister à un match de catch médiatique.