... À quelques encablure du vaste domaine familial où las de tracas de la vie urbaine trépidante, je me repose en fin de semaine, pratiquant entre autres activités la chasse à courre et le troussage de ribaudes peu farouches dans l'une des innombrables pièces décorées de boiseries finement travaillées, de marbre de Carrare et de tapisseries d'Aubusson, pouf pouf pardon, je reprends : à quelques encablures de la vieille longère fin XIXe, ancien corps de ferme racheté par mes grands-parents dans les années 30 et repeint par ma mère dans les années 70 donc toujours orange, marron et vert pomme pour mon plus grand bonheur, vit l'incroyable Didier Lobert de Bouillon Vieville.
Depuis 44 ans, Didier Lobert de Bouillon Vieville n'a qu'une obsession : finir son donjon. 21 mètres de haut, 7 de large, l'œuvre de toute une vie, voir plus. Encore inachevée par manque de moyens et de temps, il a construit quasiment seul cette tour en détournant des matériaux urbains et contemporains (parpaings, pavés etc...) mais en respectant au plus près la construction des tours du XII et XIIIe siècle. Natif de Saint-Germain-sur-Avre, c'est donc là qu'il décida de s'atteler à cet incroyable tâche.
C'est en 1968, après avoir travaillé sur la capitale comme designer industriel et dans des galeries d'art que DLBV (ça ira plus vite) décide que les barricades, les cigarettes qui font rire et la libération sexuelle ça va 5 minutes. Il s'en retourne sur ses terres natales pour construire un atelier de peinture juste à côté de la maison familiale. Mais au fur et à mesure germa une idée folle : l'atelier se transforma en tour médiévale. Pont-levis, douves, meurtrières, créneaux, mâchicoulis et chemins de ronde, tout y est sur cette tour version château de Playmobil de notre enfance. Mais en vrai. Si les matériaux sont modernes, DLBV ne s'est inspiré que de sources réelles et historiques. Se balader dans cette tour procure vraiment une impression étrange. On devient Bayard, Lancelot et Ivanhoé, surveillant la vallée de l'Avre alentour, espérant secrètement que quelques mécréants se montrent pour en découdre avec eux, histoire de dérouiller un peu l'armure.
Ah, au fait, DLBV n'avait aucune formation d'architecte ou de maçon ou de charpentier. Mais qu'à cela ne tienne, à cœur vaillant rien d'impossible, Montjoie-Saint-Denis et tout ça, il apprit sur le tas. Celui-là même, situé au premier plan de l'image ci-dessus. Oui, juste ici. Ce tas là.
Belle bête, tout de même. C'est pas du Légo (© TM).
Didier Lobert de Bouillon Vieville devant son œuvre.
Le dedans où c'est un beau bordel. Et c'est un compliment. Et je m'y connais.
Colonnes, ogives et clés de voûtes sont évidemment typiques de l'architecture de l'époque. Après tant d'efforts pour respecter à la lettre l'esprit médiéval, il n'allait pas non plus faire son Le Corbusier dedans avec des chaises Knoll, des mobiles de Calder et du Piet Mondrian sur les murs.
Son atelier de peinture. Oui, il y en a quand même un, finalement.
Depuis quelque temps, DLBV pare au plus pressé. Et au plus simple, à sa manière. Il a décidé de transformer la maison familiale en abbatiale. Comme ça. Et puis il pleuvait dans le lit, il était temps de faire quelque chose. Malgré ce petit contretemps, il reste encore pas mal de choses à faire dans le donjon, mettre une chaudière, finir le tour de guet, apporter de l'eau dans les étages. L'œuvre de toute une vie, on vous dit.
Bravo cher Didier Lobert de Bouillon Vieville pour cette fougue, cette folie, cet exemple et cet acharnement à poursuivre ce que Brel appelait l'inaccessible étoile. Modigliani disait "Ton devoir réel est de sauver ton rêve". Quel plus bel exemple que cette folie douce, cette splendide preuve de vie, ce monument à hauteur de votre talent. Pour en savoir plus et devenir ami avec les amis du Donjon de Bouillon Viéville, c'est ici : link