L’ambition présidentielle de bien des responsables politiques pollue
aujourd’hui la vie démocratique et ne rend pas service à l’intérêt national. Des personnalités comme Arnaud Montebourg ou même, précédemment, Charles Millon, étaient prêtes à revenir sur cette
mesure phare du gaullisme triomphant, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Serait-ce constructif de la mettre en cause ?
Le débat instauré depuis plusieurs semaines à l’occasion de la campagne
présidentielle ne paraît pas satisfaisant. Il semble surtout fait de postures et d’électoralismes et les
véritables enjeux sont rarement mis en avant, ou du moins, dans les médias qui s’attachent surtout aux petites phrases.
Pourtant, cette période intense et relativement courte (trois mois tous les cinq ans) structure notre vie
institutionnelle et politique et façonne les cinq années du quinquennat. Trois mois tous les cinq ans, c’est peu et en même temps, il peut y avoir déjà impression de saturer. Les enjeux sont
importants. Les luttes de pouvoir sont essentielles durant cette période. Ce qui peut expliquer la violence verbale du débat.
Cela fait penser à cette période courte de l’existence, entre deux et sept ans, pendant les études, qui
structure toute une vie professionnelle, les quarante à quarante-cinq ans de vie active, plus encore si on prend en compte la retraite. Travailler dur pendant ses études peut être un bon
investissement.
Cependant, parfois, le chômage arrive au bout du diplôme. Pour rester dans la comparaison, c’est un peu la
déception qui pointe son nez à peine quelques mois après un processus de victoire d’autant plus incertaine que les hésitations sont grandes dans le corps électoral.
La question légitime qui peut venir est donc celle de la pertinence d’un tel scrutin : l’élection
présidentielle est-elle nécessaire ?
Car après tout, on pourrait imaginer un système à peine différent de l’actuel mais qui réduirait l’effet
néfaste d’une élection présidentielle où les querelles de personnalités et la peoplisation jouent à plein (et n’ont donc plus grand-chose à voir avec les enjeux politiques et l’intérêt
national).
Ce système est appliqué dans de nombreuses démocraties européennes, comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne,
l’Espagne ou encore l’Italie. Un chef de l’État sans pouvoir décisionnel et un chef du gouvernement point d’orgue d’une majorité parlementaire. Dans ces pays-là, les élections législatives sont
la seule respiration de la démocratie au niveau national.
Un Président de la République n’assurant que l’intégrité des institutions, sans pouvoir politique, n’aurait
plus à être élu par le peuple mais seulement par un corps intermédiaire, comme sous les deux républiques précédentes (comme René Coty) mais sans les inconvénients d’une instabilité de provenance parlementaire, avec seulement un gouvernement soutenu par une majorité à l’Assemblée Nationale désignée
par des élections législatives dont le débat serait moins personnalisé.
D’ailleurs, la France l’a connu à trois reprises (sur neuf ans) avec les périodes de cohabitation où les
Premiers Ministres avaient pris un large pouvoir d’initiative soutenus par une majorité parlementaire et sans donner le dernier mot au Président de la République. En quelques sortes, 1986, 1993
et 1997 ont été des verrues institutionnelles de régime aprésidentiel.
La question se pose d’autant plus que depuis 2002, les élections législatives ont lieu quasiment au même
moment que l’élection présidentielle, si bien que le quinquennat et la législature sont confondues, contrairement à l’esprit du constituant en 1958.
Cet aspect du calendrier électoral a même renforcé la personnalisation du pouvoir puisque le Président de la
République a les moyens d’imposer à son parti les investitures aux législatives. Ce qui rend le parti majoritaire "godillot" et sans réelle autonomie avec le pouvoir.
L’idée d’en finir avec l’élection présidentielle est donc tentante pour en finir avec les aspects les plus
retors de la vie politique. Cela fait une trentaine d’années qu’on parle d’écuries présidentielles et de luttes de pouvoir même au sein des partis.
On a d’ailleurs souvent dit que, contrairement aux autres démocraties, les Français avaient besoin de cette
monarchie républicaine, du mythe de l’homme providentiel qui éclaire la nation.
Malheureusement, aujourd’hui, le personnel politique est "pauvre" et les pointures faibles. Souvent, le débat
entre candidats se divertit par des polémiques sans rapport avec les grands enjeux. On s’occupe du petit rictus de l’un, des tics de l’autre, de leur taille, de leur conjoint, et même de leur
manière de vivre alors qu’il serait plus intéressant de discuter de leurs propositions, de les évaluer, de les analyser…
Concrètement, ce ne serait pas un grand changement, pas même de république même si on passerait dans un
régime purement parlementaire. Le gouvernement primerait toujours sur les assemblées et son efficacité n’en serait pas affectée. On s’épargnerait juste deux tours d’élection présidentielle qui
rendent les médias et la vie politique dans un état d’excitation peu adapté à la réflexion et à la prospective.
Pourtant, je vois deux objections à supprimer l’élection présidentielle.
1. D’une
part, c’est une élection plébiscitée par les Français. Avec les élections municipales, ce sont les élections présidentielles qui ont connu le plus fort taux de participation. Le "oui" du
référendum de 1962 sur l’élection présidentielle au suffrage universel direct n’a jamais été démenti. Par conséquent, retirer l’élection présidentielle aux Français ne pourrait être considéré que
comme une confiscation de la démocratie au profit de professionnels de la politique.
2. D’autre
part, l’argument principal qui est de remettre dans la campagne électorale des enjeux politiques et moins personnels pourrait ne pas être pertinent. En effet, si le pouvoir se transférait à
Matignon, la personnalité du Premier Ministre serait déterminante également. Et les enjeux de personnes pourraient se transférer aussi sur le Premier Ministre, donc, sur le chef des partis qui
sont en concurrence législative.
À ces deux objections, on peut rajouter également une troisième qui est importante : une élection
présidentielle est plus apte à bouleverser les pouvoirs déjà établis (les partis dominants) que des élections législatives qui favorisent les partis qui ont déjà le monopole des élus.
Une élection présidentielle peut en effet favoriser des personnalités hors grands partis, hors système, grâce
au dialogue direct avec les Français. Cela s’est passé avec succès avec Valéry Giscard d’Estaing en 1974, et
avec moins de succès avec François Bayrou en 2007. En 2012, Jean-Luc Mélenchon (entre autres) n’aurait jamais pu s’imposer dans le débat politique sans l'atout de sa propre
personnalité.
Faut-il supprimer l’élection présidentielle ?
Pas forcément, mais peut-être éduquer les candidats à parler simplement des vrais enjeux.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (10 avril
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’élection présidentielle de
2012.
160 ans d’élection
présidentielle.
10
ans de quinquennat.
La
Ve République.