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"Le pays où la vie est plus dure" de Philippe Manière

Publié le 10 avril 2012 par Francisrichard @francisrichard

Les Français n'aiment pas la mondialisation et celle-ci le leur rend bien. Telle est en substance ce que dit le dernier livre de Philippe Manière, s'il fallait le résumer lapidairement.

Philippe Manière, qui connaît bien son sujet, montre dans Le pays où la vie est plus dure, chiffres à l'appui, pourquoi la mondialisation, qui devrait être une chance pour la France, comme elle l'est pour d'autres pays développés, ne l'est pas vraiment.

Alors que le monde entier envie l'art de vivre en France, c'est le pays où le mal de vivre est le plus grand parmi les pays développés et où le record mondial de consommation de psychotropes est atteint. Ce n'est pas dénué de sens.

Certes nombre de grandes entreprises françaises se trouvent dans les tops 100 et 500 des plus importantes entreprises mondiales. Philippe Manière nous explique que cette figuration en bonne place n'est toutefois pas le résultat de l'innovation - hormis dans les transports et le militaire - mais de l'optimisation des grandes entreprises françaises par leurs dirigeants. Qui sont davantage des gestionnaires que des visionnaires.

Il n'est donc pas surprenant qu'il n'y ait, depuis des décennies, aucune nouvelle entreprise française qui se soit taillé un succès mondial et ait pris place dans les fameux tops 100 et 500. La mondialisation peut être comparée à un film que les Français n'auraient pas compris, restés qu'ils seraient au stade de la photo. De fait la mondialisation à la française n'est pas conquérante mais castratrice et se traduit par des pertes d'emplois, des reculs en matière d'échanges commerciaux et d'investissements.

Ce qui aggrave les choses est "la préoccupation quasi maniaque de la préservation" de ce qui existe et de "la continuité de la jouissance entamée" qui caractérise le décideur public français. Lequel parvient à ses fins par une abondance de réglementations. Or toutes ces protections qu'il crée ont un coût, fiscal et social. Ce qui n'est pas fait pour améliorer la compétitivité des entreprises dans un marché devenu mondial. La France est l'exemple type des méfaits de l'Etat-Providence que je dénonce régulièrement sur ce blog.

Il n'est peut-être pas de pays comme la France où non seulement l'égalité des droits est vanté mais également l'égalité sociale, et où l'égalité n'est que de façade, celle des mairies et des monuments publics. Philippe Manière n'a aucune peine à montrer que l'école qui devrait être le vecteur de la mobilité sociale n'est en réalité qu'une école sur mesure pour les privilégiés. Là encore les chiffres parlent d'eux-mêmes. 

Un constat illustre également cette immobilité sociale. Deux castes occupent la plupart des postes de dirigeants du CAC 40, les polytechniciens et les énarques, dont les plus doués d'entre eux intègrent, respectivement, le Corps des Mines et l'Inspection des Finances, qui les mettent, à vie, quoiqu'ils fassent, à l'abri du chômage. Payés des ponts d'or ils ne prennent aucun risque. Leurs hautes rémunérations perdent, de ce fait, beaucoup de leur justification.

Ces inégalités de traitements passent mal, d'autant qu'elles s'accompagnent d'une morgue sociale qui va de pair avec toute détention de privilèges, par définition indus. Peu à peu cela finit par se savoir que, si d'aventure ces élites perdent leur mirifique emploi dans le privé, une place toute chaude leur est réservée dans le public et qu'ils peuvent regagner leur ancien corps, qui celui des Mines, qui celui de l'Inspection.

D'une manière plus générale, au contraire des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, en France la religion du diplôme empêche ceux qui n'en ont pas, ou ceux qui en ont un de seconde catégorie, d'accéder par promotion interne aux postes les plus hauts des grandes entreprises, et réserve ces derniers à une oligarchie qui se serre les coudes.

De même ces postes les plus hauts sont-ils fermés aux femmes et aux minorités visibles, par un processus similaire et préjudiciable d'exclusion. Ce qui n'arrange rien, ces élites privées, ou publiques, jouissent d'une impunité, en cas d'infractions, qui n'a pas d'égale dans les autres pays développés.  

C'est pourquoi, de toutes catégories sociales, et de toutes catégories tout court, il y a tant d'expatriés français à Londres, New York ou San Francisco. Philippe Manière a raison de souligner qu'il est difficile en France de se faire soi-même, d'autant que le Trésor public frappe injustement l'enrichissement par l'effort, et, je dirai même, frappe le patrimoine fruit de cet enrichissement, qu'il se présente sous une forme ou une autre.

Aussi est-il difficile de suivre l'auteur quand il s'en prend au régime fiscal favorable des plus-values immobilières de résidence principale - le régime devrait simplement être le même s'il s'agit de résidences secondaires - ou aux réductions des droits de succession, alors que le pays connaît des difficultés budgétaires. Car de ces difficultés l'Etat est le responsable. 

En outre les dites plus-values résultent à la fois de l'inflation et de politiques du logement, dont l'Etat est là encore le responsable. Aussi les heureux détenteurs d'immeubles ne s'enrichissent-ils même pas au final s'ils vendent leur bien pour aller travailler ailleurs, d'autant qu'ils doivent acquitter des droits de mutation pour acquérir le logement suivant. L'Etat français insatiable taxe tout ce qu'il peut et pas seulement l'effort, les différents fruits de l'effort.

Quant aux droits de succession ils viennent s'ajouter aux multiples taxes qui frappent un patrimoine tout au long de sa constitution, comme l'a fort bien démontré Pascal Salin dans son livre sur L'arbitraire fiscal. En Suisse, que Philippe Manière prend souvent en exemple, les droits de succession en ligne directe ont disparu dans la quasi totalité des cantons...

Philippe Manière est plus crédible quand il s'en prend au "lourd arsenal de protection au bénéfice d'innombrables professions qui se trouvent, de fait, peu accessibles et, donc, préservées de la concurrence". Sans diplôme estampillé par l'Etat il n'est tout simplement pas possible d'exercer nombre de métiers, comme par exemple celui de boucher ou de coiffeur. 

Pour ce qui est des véritables rentes de situation préservées par l'Etat, il donne l'exemple emblématique des officines de pharmacie, des licences de chauffeurs de taxi, professions fermées s'il en est, et, bien sûr, de l'emploi à vie des fonctionnaires, ce qui n'est plus le cas en Suisse, comme il le remarque.

Pour terminer le diagnostic Philippe Manière explique pourquoi l'esprit français se heurte à la mondialisation. Il remonte à la Révolution, et même au-delà:

"Dès lors que l'on est convaincu, suivant la tradition révolutionnaire, que le politique peut tout, et que le bien découle nécessairement de son action à partir du moment où elle est raisonnée, on en vient en effet facilement à considérer que seul l'Etat peut le bien parce que, seul, il le veut."

La "mondialisation et le triomphe du capitalisme internationalisé, par nature spontanés" ne peuvent donc que heurter de plein fouet cette considération interventionniste.

L'auteur pense que, dans la mondialisation, l'enfer ce n'est pas les autres, mais les Français eux-mêmes. Selon lui:

"L'Etat doit être moins pesant sur l'économie, faute de quoi se mutiplieront les comportements de contournement et d'exil; mais il doit être plus pressant sur le social, sous peine de voir prospérer jusqu'à l'insupportable le divorce entre classes sociales et s'exprimer sans retenue l'égoïsme satisfait d'élites endogames et prospères."

Dans cet esprit, suit une série de mesures non exhaustives que Philippe Manière préconise pour accommoder la mondialisation à la sauce française. C'est certainement le passage le moins convaincant du livre qui éclaire pourtant fort bien le malaise français actuel.

Francis Richard  


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