Il est parfois des réflexes journalistiques qui dénaturent le débat politique. Si on ne cherche même pas à s’assurer que les candidats Sarkozy et Hollande auraient bien une majorité parlementaire, la question revient sans cesse au seul candidat Bayrou comme une tarte à la crème. Je donne ici quelques éléments de réponse.
La question est : en cas d’élection à la Présidence de la République, comment François Bayrou aura-t-il une majorité à l’Assemblée Nationale pour gouverner ?
Voici typiquement l’exemple de faux débat qui empoissonne la campagne de François Bayrou (en 2007 aussi) et l’ensemble du débat politique plus généralement. Au lieu de discuter des propositions des uns et des autres, on s’évertue à imaginer une impossibilité là où il n’y en a pas.
D’ailleurs, le manque de pertinence de la question vient aussi qu’on ne la pose qu’à François Bayrou et pas aux autres candidats. Pourtant, elle serait tout aussi intéressante pour les autres candidats.
Par exemple, en cas de réélection de Nicolas Sarkozy, serait-on sûr qu’il obtienne une majorité UMP le mois suivant ? Ou encore, en cas d’élection de François Hollande, comment serait composée sa majorité parlementaire ? Le Parti communiste français en ferait-il partie ou pas ? Où mettre Jean-Luc Mélenchon, dedans ou dehors ? Le PS aurait-il une majorité absolue ou dépendrait-il d’écologistes qui ne vaudraient pourtant politiquement plus grand-chose avec la probable médiocre performance d’Eva Joly ?
Non, on ne pose cette question qu’à François Bayrou parce qu’on a peur finalement que son projet puisse aboutir.
Je le rappelle très rapidement : il s’agit d’abattre (enfin) le véritable rideau de fer de la politique française en permettant au centre gauche et au centre droit, qui ont des philosophies politiques proches, de gouverner ensemble et de ne pas être obligés de ne se retrouver qu’en état de cinquième roue d’un carrosse de gauche ou de droite amené à une surenchère vers son extrême (de gauche ou de droite).
Pour Philippe Douste-Blazy, interrogé sur BFM-TV le 4 avril 2012, François Bayrou est d’ailleurs le seul candidat complètement libre des extrêmes.
Cette recomposition du paysage politique aurait pu se réaliser avec Michel Rocard en 1988 (mais François Mitterrand a refusé et n’a cherché qu’à débaucher), par Jacques Delors en 1995 (mais il a renoncé à se présenter à l’élection présidentielle, prétextant justement qu’il n’aurait pas de majorité pour gouverner) et par François Bayrou déjà en 2007 (les électeurs en ont décidé autrement).
Répondons cependant à la question puisqu’elle se pose.
Il est d’ailleurs certain que le MoDem n’obtiendra pas de majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Il me semble que nul ne conteste cette certitude. En effet, aujourd’hui, dans l’état des rapports de force, il n’y a que deux partis qui pourraient l’obtenir, cette majorité absolue, l’UMP et le PS. Ce n’est d’ailleurs pas la meilleure solution pour la France qu’un seul parti s’arroge la majorité absolue car non seulement le gouvernement qui en émanerait n’a plus aucune bride parlementaire mais surtout, il n’y aurait plus beaucoup de négociation entre gouvernement et parlementaires. Et donc, peu d’amélioration constructive entre un projet du gouvernement et la loi votée à l’Assemblée Nationale (les observateurs de la vie parlementaire l’ont bien perçu pour ce dernier quinquennat).
Le souhait, au contraire, de François Bayrou, dans le cadre d’une République apaisée et d’un État impartial, c’est que le Président de la République ne gouverne pas mais préside, c’est-à-dire qu’il assure les grandes lignes de la politique qu’il s’était fixées pendant sa campagne et qui auront été acceptées par les électeurs et de laisser le gouvernement gouverner.
Au lieu d’un quinquennat qui serait complètement axé sur la responsabilité d’un seul (le Président de la République) manipulant gouvernement et Parlement, il y aura un vrai dialogue institutionnel entre ces trois institutions.
La première réponse a été présentée depuis cinq ans par François Bayrou avec son concept de "majorité centrale".
Il s’agit en effet de mettre auprès de candidats aux élections législatives l’étiquette "majorité présidentielle" à ceux qui sont prêts à soutenir les principes politiques d’un quinquennat Bayrou, à savoir la focalisation sur les trois points essentiels : produire français, mieux instruire pour relever les défis de demain, reconstruire une démocratie politique dans un cadre budgétaire strict (retour à zéro déficit en 2016).
Que ces candidats émanent du MoDem, du PS, du PRG, de l’UMP, du Parti radical valoisien ou du Nouveau centre, le sujet n’est pas là. Le débat tournera autour de la politique proposée par François Bayrou.
Le risque qu’un des deux grands partis, le PS ou l’UMP, puisse obtenir, malgré tout, à lui tout seul, une majorité absolue des sièges à l’Assemblée Nationale n’est bien sûr pas à écarter. Et que dans une telle configuration, ce parti refuse de gouverner dans cette majorité centrale et veuille reprendre le vieux schéma des trois premières cohabitations est bien sûr possible. Mais pas plus que dans le cas de l’élection à l’Élysée d’autres candidats (je reprends l’exemple d’une réélection de Nicolas Sarkozy, la reconduction d’une majorité absolue de l’UMP ne serait pas gagnée d’avance).
D’ailleurs, la probabilité pour que cela arrive est faible (même si pas nulle). D’une part, la logique des institutions est telle qu’il paraît probable que les électeurs soient cohérents avec leur choix du mois précédent. D’autre part, le calendrier électoral dû au quinquennat sec à partir de 2002 (élection présidentielle suivie d’élections législatives) réduit encore un peu plus l’hypothèse d’une telle cohabitation.
Cependant, pour certains, cette réponse sur la logique institutionnelle serait insuffisante à convaincre. Évidemment, le meilleur moyen de convaincre, c’est de voir la séquence à l’œuvre.
Justement, il y a déjà eu un précédent historique. Il ne s’agissait pas de "majorité centrale" certes, mais il y a bien eu un candidat à l’élection présidentielle qui a été élu et qui n’émanait pas d’un des deux grands partis du système.
Il s’agit de Valéry Giscard d’Estaing qui a été élu en 1974 de manière inédite. En effet, il avait réussi à devancer Jacques Chaban-Delmas au premier tour, coupant ainsi à l’UDR qui dominait la vie politique depuis 1958 (plus de quinze ans) la possibilité de poursuivre son monopole gouvernemental.
Valéry Giscard d’Estaing était le leader d’une petit groupe de quelques dizaines de députés depuis une dizaine d’années, les Républicains indépendants (RI), devenus Parti républicain (qui sera dirigé par François Léotard). Les centristes du Centre démocrate l’avaient rejoint, tandis que les centristes qui avaient rejoint Georges Pompidou (en 1974) au sein du CDP soutenaient Chaban-Delmas.
Très légaliste, Giscard d’Estaing avait absolument refusé de dissoudre l’Assemblée Nationale malgré le conseil de ses proches (comme Michel Poniatowski, il me semble). Il a réussi à constituer une majorité composée des gaullistes sous la houlette du nouveau jeune Premier Ministre Jacques Chirac (41 ans), des Républicains indépendants et des centristes qui ont pu se réunifier autour de Jean Lecanuet au sein du Centre des démocrates sociaux.
Pour préparer ses premières (et seules) élections législatives en mars 1978, Giscard d’Estaing avait réorganisé sa majorité non gaulliste au sein de l’UDF, unifiant les centristes, les républicains indépendants et les radicaux valoisiens (sous la houlette de JJSS).
Il faut dire aussi qu’entre temps, depuis l’été 1976, Jacques Chirac qui avait repris en main le parti gaulliste en décembre 1974 puis créé le RPR en décembre 1976, avait quitté brutalement Matignon et était devenu l’un des principaux opposants à Giscard d’Estaing et ce dernier s’était alors replié sur les gaullistes historiques qui avaient été ses adversaires en 1974, à savoir Olivier Guichard, Alain Peyrefitte et également Jacques Chaban-Delmas qui fut élu au perchoir en 1978 grâce à l’appui de l’UDF et contre la volonté du RPR (qui soutenait Edgar Faure).
En mars 1978, au contraire des sondages, Valéry Giscard d’Estaing est parvenu à préserver sa majorité présidentielle alors qu’il était pris en "sandwich" entre le socialiste François Mitterrand refusant toute tentation centriste (Giscard d’Estaing aurait souhaité intégrer des socialistes de la Nouvelle gauche dans le gouvernement de Raymond Barre) et le gaulliste Jacques Chirac dont l’ambition présidentielle l’opposait à son ancien allié.
Résultat des courses, l’UDF et le RPR ont préservé la majorité absolue des sièges et l’UDF s’est retrouvée à un niveau équivalent à celui du RPR : même quatre ans plus tard, les électeurs, toujours logiques, ont donné au Président de la République la majorité parlementaire dont il avait besoin.
Personne n’a jamais expliqué que Valéry Giscard d’Estaing n’avait pas eu le pouvoir pendant son septennat. Au contraire, la personnalisation de la vie politique a été telle, émaillée de quelques affaires (comme celle des diamants), que personne n’a pu affirmer que Valéry Giscard d’Estaing avait été paralysé par une absence de majorité d’un parti giscardien.
Malgré les attaques incessantes du RPR de Jacques Chirac, à aucun moment le RPR n’a voté de motion de censure. Il n’était qu’un allié sans doute exaspérant mais il n’a jamais empêché le Président de la République de conduire sa politique, quitte pour le Président à demander à des parlementaires de gauche de faire l’appoint nécessaire le cas échéant (comme le vote de la loi Veil).
Ce précédent du septennat de Valéry Giscard d’Estaing est donc heureux pour démontrer la faisabilité de la majorité centrale de François Bayrou. En cas d’élection, lui aussi devra construire un nouveau rassemblement qui sera le noyau dur de sa future majorité et qui sera ouvert également à ceux qui, appartenant à l’UMP ou au PS, se reconnaîtraient dans les priorités affichées par le futur Président.
Dans ce cadre, rien n’empêchera l’élection en juin, concomitante (pour le premier tour) au référendum de moralisation de la vie politique proposé le 25 février 2012, d’une majorité centrale visant à soutenir les grandes lignes d’action d’un Président Bayrou. Et à la différence des autres candidats, cette majorité sera une majorité de réconciliation et d’unité nationale.
Bref, cette question de majorité parlementaire posée exclusivement au candidat François Bayrou est un faux problème. Parlons plutôt du fond de ses propositions.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 avril 2012)
http://www.rakotoarison.eu
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pas-de-majorite-parlementaire-pour-114384