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berceuse

Par Pjjp44
berceuse
En français, ru signifie "petit ruisseau" et, au figuré, "écoulement (de larmes, de sang, d'argent)" (Le Robert historique). En vietnamien, ru signifie "berceuse", "bercer".
berceuse
"Ma mère voulait que je parle, que j'apprenne à parler le plus rapidement possible le français, et aussi l'anglais, puisque ma langue maternelle était devenue non pas dérisoire, mais inutile.Dès ma deuxième année au Québec, elle m'a envoyée dans une caserne de cadets anglophones. C'était une façon d'apprendre l'anglais gratuitement, m'avait-elle dit. Elle se trompait, ce n'était pas gratuit. Je l'ai payé, cher. Ils étaient une quarantaine de cadets, tous grands, effervescents et, surtout, adolescents. ils se prenaient au sérieux en inspectant minutieusement le pli d'un col, l'angle d'un béret, la brillance d'une botte. Les plus vieux criaient après les plus jeunes. Ils jouaient à la guerre, à l'absurde, sans comprendre. Je ne les comprenais pas. Je ne comprenais pas non plus pourquoi le nom de mon voisin de rang avait été répété en boucle par notre supérieur. Peut-être voulait-il que je retienne le nom de cet adolescent qui faisait deux fois ma taille. Mon premier dialogue en anglais, je l'ai formulé en le saluant à la fin de la séance: "Bye Asshole"."
berceuse
"Petite, je croyais que la guerre et la paix étaient deux antonymes. Et pourtant, j'ai vécu dans la paix pendant que le Vietnam était en feu, et j'ai eu connaissance de la guerre seulement après que le Vietnam eut rangé ses armes. Je crois que la guerre et la paix sont en fait des amies et qu'elles se moquent de nous. Elles nous traitent en ennemis quand ça leur plaît, comme ça leur convient, sans se soucier de la définition ou du rôle que nous leur donnons. il ne faut donc peut-être pas se fier à l'apparence de l'une ou de l'autre pour choisir la dircetion de notre regard. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui ont pu préserver leur regard, peu importe la couleur du temps, du moment. Ma mère me récitait souvent le proverbe qui était écrit sur le tableau noir de sa huitième année à Saïgon: "La vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite."

"Je m'appelle Nguyên an Tinh et ma mère, Nguyên An Tinh. Mon nom est une simple variation du sien puisque seul un point sous le i me différencie d'elle, me distingue d'elle, ,jusque dans le sens de mon nom. En vietnamien , le sien veut dire "environnement paisible" et le mien "intérieur paisible". Par ces noms presque interchangeables, ma mère confirmait que j'étais une suite d'elle, que je continuerais son histoire. L'histoire du Vietnam, celle avec un grand H, a déjoué les plans de ma mère. Elle a jeté les accents de nos noms à l'eau quand elle nous a fait traverser le golfe de Siam, il y a trente ans. Elle a aussi dépouillé nos noms de leur sens, les réduisant à des sons à la fois étrangers et étrangers dans la langue française. Elle es(t surtout venue rompre mon rôle de prolongement naturel de ma mère quand j'ai eu dix ans."
Extraits de "RU"  un livre  de Kim Thùy éditions Liana Levi

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