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Waciny Laredj décrit l'islamisme algérien (1)

Publié le 31 juillet 2007 par Naravas

31 juillet 2007

Waciny Laredj décrit l'islamisme algérien (1)

Conversation avec un islamiste
Waciny Laredj décrit l'islamisme algérien (1) Waciny Laredj décrit l'islamisme algérien (1)

Waciny Laredj décrit l'islamisme algérien (1) Je traduis dans les pages qui suivent quelques extraits d'un roman de l'écrivain algérien Waciny Laredj. Ce roman écrit en arabe et intitulé (La mémoire des eaux) constitue à mon sens une bonne introduction à la compréhension de l'islamisme en général et de la tragédie algérienne en particulier.
Né à Tlemcen en 1954, Waciny Laredj a reçu une formation bilingue. Il émigra à Damas (années 1970-débuts 1980) par la suite où il a obtint son doctorat et où il a pu se faire connaître par quelques romans embarrassants pour les autorités du pays (الأ حذية الخشنة ). Il décide de rentrer en Algérie en 1982 et devient professeur de littérature moderne à l'université d'Alger. Il assista alors à l'apogée du mouvement islamiste algérien et à l'ébullition qu'il suscita dans la ville d'Alger avant et après les Législatives (annulées) de 1991. Après avoir été menacé comme tant d'autres de mort, il quitte de nouveau son pays pour se réfugier à Paris, où il est recruté comme professeur à l'université Paris-III-Sorbonne nouvelle.
Il est l'un des auteurs les plus actifs de la littérature algérienne d'expression arabe. Il a publié plus d'une dizaine de romans, dont plusieurs ont été traduits en français : La Gardienne des ombres (Eden, 2002), Le Miroir des aveugles (Gobas, 1998), Fleurs d'amandier (Sindbad/Actes Sud, 2001). Il a fait paraître récemment un copieux récit historique, Kitab al-Amîr (Le livre de l'émir)*, consacré à la figure de l'émir Abdelkader dont il évoque non seulement la sagesse religieuse et la résistance contre l'occupant mais aussi l'esprit de dialogue inter-culturel et l'ancrage universel de sa pensée.
Ô Nation des bien guidés ! Sachez que le Prophète vous convie à sa table et attend votre retour ! Je jure qu'il ne dînera qu'en votre compagnie ! Soyez ses martyrs contre le Tyran ! J'ai observé en la vision du croyant... Plusieurs fois primé en Algérie comme en France, de plus en plus traduit, très présent sur les lieux culturels, Laredj devient un auteur arabophone incontournable.
Le roman dont nous publions des extraits n'a à ma connaissance jamais été traduit en français. Son caractère terriblement réaliste et sa description interne, par une espèce de vision du dedans, de la société algéroise au plus fort de l'expérience intégriste méritent d'être connus.

La scène se passe à Alger. Nous sommes au plus fort de la vague islamiste. Le narrateur prend un taxi pour se rendre au cimetière d'al-Alia afin d'assister à l'enterrement de son ami artiste, Youcef, assassiné. Le chauffeur, comme on peut le voir, n'est pas de ceux qui se contentent de conduire le client à sa destination...

عليها نحيا و عليها نموت و من أجلها نلقى الله

Tu me prends pour qui ? Tu crois que je viens du Waq Waq ? Biensûr que je connais la route vers le cimetière d'al-Alia !

Ma gorge s'est nouée. J'ai pensé à lui demander de me déposer sur le champ mais la distance à parcourir était encore importante. Je n'avais pas d'autre choix que de supporter ses délires. J'ai senti comme une entaille au cœur et je n'ai pu retenir une question :

J'ai fermé mes yeux et je commençais à éprouver comme un bercement. Ca n'a pas duré longtemps, car le conducteur, sans se soucier le moins du monde de mes goûts, l'a cassé brusquement. Ma personne ne le préoccupait guère à l'évidence, lui qui traitait d'animaux les autres conducteurs quelques instants auparavant.

Il sort une cassette neuve enveloppée dans un papier jaune. Il l'enfonce au plus profond de son lecteur radio en augmentant le volume du son. Une voix désagréable et pénible pour l'oreille haranguait en ces termes : " Ô descendance du Prophète, relève-toi des humiliations qu'on t'a infligé ! Le Tyran vacille... "

Je le sentais se préparer à répondre à ma réaction. Je l'ai donc un peu déçu en continuant dans mon silence. Difficile à croire ! Le chao ancré au plus profond des hommes doit être épouvantable et leur désespoir sans limites pour croire à de tels discours vides et à une telle ignorance savante. La bande ne s'arrêtait toujours pas :

Je voulais lui demander encore une fois de baisser le son mais je me suis retenu. C'était une perte de temps. Je n'avais qu'à supporter encore son châtiment et sa peau. J'ai commencé à regarder les petits écriteaux qui ornaient l'intérieur de la voiture : Dieu est grand sur la vitre latérale, Mohammed est l'envoyé de Dieu sur le tableau de bord. A côté du volant on pouvait lire sur une bande bien collée les versets du trône complets. Au niveau de la lunette arrière étaient tracés en caractères blancs, sur une plaque verte : le Front Islamique du Salut. Je fus surpris [car la plaque lui obstruait la vue].Je l'ai laissé affronter des moulins à vents, sans la profondeur ni la culture de Don Quichotte.

Je me suis replié sur moi-même, en attendant qu'apparaisse le cimetière où je me rendais et que je puisse enfin descendre. Mais l'homme me tira de ma méditation en me demandant brusquement :

J'allais lui répondre que j'étais professeur à l'université mais ses yeux ne m'inspiraient pas confiance. Il est étrange que mes réflexes ne m'obéissent souvent pas dans ce genre de situation. Sans doute parce que j'avais le sentiment de céder à l'état de terreur que les assassins répandaient dans tout le pays.

Je ne sais pas pourquoi c'est la ville de Chlef qui m'était venue à l'esprit, ni pourquoi je lui cachais ainsi ma véritable profession. L'homme ne me rassurait vraiment pas et son visage redoublait de froid à chaque fois que je lui tenais des propos qui ne lui convenaient pas. Il est fréquent que les assassins se déguisent en chauffeurs de taxis. Beaucoup de choses ont changé depuis deux ans et la plupart des taxis ont mis sur la lunette arrière de leur véhicule " le signe de la proclamation et du soutien " (اشارة المبايعة و التأييد):

soit : Pour elle nous vivons,pour elle nous mourrons et pour elle nous rencontrons Dieu [Elle, c'est la République Islamique]

Les taxis se transforment ainsi en bandeaux de propagande ambulants. Ce n'est pas une pure coïncidence. Le phénomène se répète à chaque fois que je monte dans un taxi. Le conducteur m'interpelle toujours, sans que je lui adresse la parole :

Je rigole. Il se met à jurer. Je me marre. Il répond avec certitude :

Mais mon frère, c'est là où se trouve le siège du Front Islamique du Salut ! Il y eut une réunion nationale du Conseil de Délibération et Dieu a approuvé leurs décisions. Ils sont entrain de mettre chao le Tyran. Dans les montagnes de Milyana, un moudhahid a été encerclé par des chars, au nombre de cent ou deux cents !Il était tout seul. Il a alors fait la prière de la peur, loué Dieu et s'est écrié : dis que rien ne nous atteindra, hormis ce que Dieu a écrit! Il a pris une poignée de terre et l'a jeté sur la première ligne des chars, qui sont devenus tels une paille mâchée . Il a répété son geste sur la deuxième, puis la troisième ligne. Quant aux occupants des autres chars, ils ont demandé pardon à Dieu Tout Puissant, dont ils ont vu les bienfaits par leurs yeux. Ils ont rejoint le moudjahid et constituent maintenant les escadrons les plus grandioses duMiséricordieux

Je me suis dit que tant de légendes ne pouvaient pas naître du hasard. Il est sûr qu'elles ont été orchestrées par un esprit déterminé, qui est la source de ces rumeurs, un esprit qui sait pertinemment qu'il s'agit de rumeurs. Il n'a pas trouvé mieux que les chauffeurs de taxi pour répandre toute cette culture. Leur fréquentation quotidienne des gens font d'eux une puissante et terrible machine de propagande.

Il m'interpelle une autre fois en se voulant rassurant :

Institueur... Dieu soit loué, tu m'as vraiment rassuré. Chlef, des gens plutôt bien ! Moi aussi j'étais instituteur. Mais quand j'ai été témoin de choses blâmables ( المنكر ) sans avoir le pouvoir de les changer, j'ai changé ma profession. Travailler chez le Tyran est un péché.

L'imam de Bach Djerrah, voyons ! Il est connu. Il dit que le Tyran doit être boudé. J'ai alors boycotté l'école. Que sont-ils en train d'apprendre ? De l'ignorance, de l'ignorance et de l'apostasie ! ( )Et le mélange entre les filles et les garçons. Une école sans aucune relation avec nos coutumes et notre vie.

Un mot difficile pour dire ce qui appartient à l'absent, ce qui vient après la nature.

Ecoute, mon frère, si toutes ces choses existent dans le Coran, c'est tant mieux, Dieu nous en a gratifié. Si au contraire elles n'y figurent pas, Dieu ne les a pas voulues.

Moi, je ne suis rien. Un homme qui n'a même pas le droit d'avoir une barbe dans ce pays. Ces propos te plaisent ? J'ai expérimenté la barbe pendant une année bénie et à chaque fois que je rencontrais les agents de la sûreté, ils faisaient passer tout le monde sauf moi. J'ai alors pensé à m'en débarrasser pour rester tranquille. Que Dieu le Clément et le Miséricordieux me pardonne.

A vrai dire, je l'ai enlevée mais tout se passe comme si je la portais toujours car j'ai déclaré la " taqia " ( takia)

Même moi je ne la comprends pas très bien. Il faut pour celades sciences approfondies. Mais l'imam de Bach Djerrah m'a dit que si je déclarais la takia et enlevais la barbe, ce serait comme si je la portais toujours. Et c'est ce que j'ai fait.

Louange à Dieu, je reste dans le cadre de la charia (loi islamique) et de la sunna (tradition et imitation du Prophète).

Ali Belhadj. Il dirige le djihad sacré à partir du cœur même du Tyran, de façon magnifique.

De quel djihad parles-tu ? L'assassinat des innocents, des petites gens et de tous les pauvres qui n'ont d'autres protections que le ciel et la terre ?Le viol d'enfants innocentes comme la lumière ?C'est cela le djihad. Ceux qui ont ruiné le pays se promènent librement dans la ville, exactement comme ils le faisaient hier.

J'ai eu peur en l'interpellant par " vous " mais je me suis dit que cet homme devrait entendre ce qu'il n'avait pas l'habitude d'entendre. Il continua dans ses stupidités sans prêter attention à mes propos.

Sais-tu queces gens qui sont assassinés ont été emprisonnés par le pouvoir et que maintenant ils se retrouvent nus devant les couteaux de leurs bourreaux ? Ils sont les plus faibles maillons et leur fin satisfait beaucoup de bords.

Je lui ai demandé soudain d'arrêter la voiture. L'exaspération qui m'a gagné le surprit et il s'arrêta.

Je lai jetai cinquante dinars et je m'éloignai alors que ses dernières paroles résonnaient encore dans ma tête :

Waciny Laredj, Dhakirat al mae, Alger, Ed. Manchourat al fadhae al hour, 2001, pp. 311-324.

(*) " Chef de guerre inspiré, fin stratège politique, érudit et poète, soufi et franc-maçon, ennemi déclaré puis ami de la France, apôtre du djihad et protecteur des chrétiens de Damas, l'émir Abdelkader est l'une des figures les plus fascinantes du monde arabe. Le roman de Waciny Laredj est le premier à s'inspirer de sa tumultueuse épopée. Etayé par une documentation historique vaste et précise, il restitue en particulier la relation de l'Emir avec Mgr Antoine Dupuch, premier évêque d'Alger, qu'il a rencontré en 1841, lors des négociations portant sur l'échange des soldats français capturés. Frappé par la grandeur d'âme et l'érudition de son interlocuteur, Mgr Dupuch devient l'un de ses amis les plus fidèles. Il lui rendra visite à maintes reprises lors de sa détention à Pau et à Amboise, discutera longuement avec lui des fondements du christianisme et de l'islam, plaidera éloquemment sa cause devant l'opinion publique française et finira par obtenir, avec d'autres admirateurs de l'illustre prisonnier, la fin de sa captivité en France. Le roman commence par un événement historique avéré: le transfert à Alger, en 1864, comme il l'avait lui-même souhaité, des cendres de Mgr Dupuch. Le livre est animé, du début jusqu'à la fin, par le souci de comprendre et de faire comprendre les métamorphoses de l'Emir, combattant de la foi et pionnier du dialogue entre les religions et les cultures. " (Quatrième de couverture du roman Le livre de l'émir)


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