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Bayrou, l’homme de Gourette : témoignage d’une discussion lointaine

Publié le 13 avril 2012 par Sylvainrakotoarison

Les vendredi 13 ne sont pas toujours ce qu’on croit ou ce qu’on craint. Retour sur un vieil épisode politique concernant François Bayrou.

yartiBayrouGourette01Première station de sports d’hiver béarnaise dans les Pyrénées à 1 400 mètres d’altitude, Gourette est un lieu de villégiature charmant qui peut, à l’occasion, accueillir des universités politiques.

C’était il y a tout juste vingt-deux ans, donc il y a longtemps, avec la même configuration de la semaine : cela s’est passé un vendredi 13, le 13 avril 1990. En revanche, au contraire de 2012, Pâques avait lieu une semaine plus tard, le 15 avril 1990. Je m’étais donc rendu à Gourette, dans les Pyrénées-Atlantiques, à une époque de ma vie où je devais traverser toute la France pour y aller.

Je m’étais d’ailleurs un peu étonné du calendrier, qu’un parti si catholique social, le Centre des démocrates sociaux, organisât son université de printemps en plein week-end pascal. Il n’y avait pas de neige et il faisait même plutôt beau temps.

Les deux principales journées se passaient le samedi et le dimanche, quand il y avait le plus de monde. Discours en séances plénières, tables rondes sur un thème précis, ateliers de formation ou de réflexion et aussi déjeuners et dîners débats.

Il faut remettre la date dans un contexte particulier du calendrier électoral. Pour une fois, la France vivait dans une période longue (plus de deux ans) sans aucune élection ni locale ni indirecte (entre septembre 1989 et mars 1992). Pour les partis politiques, c’était une occasion rare pour se recentrer sur leurs bases idéologiques en dehors du brouhaha généré par les campagnes électorales.

Parmi les premiers à arriver pour ce week-end, je me suis retrouvé le vendredi après dîner dans une salle quasi-vide avec une quarantaine de personnes à discuter avec François Bayrou. Ce n'était pas la première fois que je le rencontrais.

À l’époque, François Bayrou était un jeune député de 38 ans (sa première élection date du 16 mars 1986), plein d’enthousiasme et d’ambition (déjà). Il était déjà très connu des centristes pour faire partie des "Trois B" avec Bernard Bosson et Dominique Baudis, génération montante pour remplacer le triumvirat Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot et Bernard Stasi. Cette nouvelle génération s’était bien médiatisée au printemps 1989 avec la courte aventure des Rénovateurs par association avec de jeunes députés gaullistes (en particulier Philippe Séguin et François Fillon). François Bayrou avait été ensuite le directeur de campagne de la liste centriste de Simone Veil aux élections européennes de juin 1989.

Cette soirée fut assez particulière et très bon enfant. Aucune caméra, aucune posture, aucune volonté de plaire (puisque devant un auditoire ami), juste de la réflexion dense et intéressante.

Agrégé de lettres, François Bayrou montrait déjà une volonté hors du commun et une aisance intellectuelle pas si fréquente dans la classe politique (on a souvent reproché à François Bayrou d’avoir surfé sur son talent sans atteindre l’excellence, les mains dans les poches).

La volonté, il l’avait prouvée depuis le début de son existence. Imaginez d’être bègue et d’avoir choisi trois activités qui nécessitent avant tout de savoir parler en public : l’enseignement, le journalisme et surtout la politique. Avoir réussi à dépasser cet handicap discriminant est l’illustration d’une volonté de fer exceptionnelle.

Mais à l’époque, je ne suis pas sûr d’avoir été au courant de cet ancien handicap. Il s’était surtout exprimé dans la plus grande sincérité car sans autre but que de raconter son histoire à des étudiants qui s’intéressaient à la vie politique et aux valeurs auxquelles lui-même croyait aussi, son parcours et ses motivations.

Nous étions encore loin de l’an 2000. Il avait brossé grossièrement un XXe siècle victime de trois grandes philosophies : Nietzsche qui a donné (malgré lui) le nazisme et l’effroyable Shoah avec le mythe du surhomme, Marx qui a donné (malgré lui) le stalinisme et le communisme des pires goulags avec cette dictature du prolétariat.

Pour ces deux grands courants, on pouvait alors dire au printemps 1990 avec soulagement qu’ils avaient perdu définitivement la partie dans l’histoire du monde. Le 9 novembre 1989, c’était la chute du mur de Berlin.

Pour François Bayrou, le combat politique ne pouvait donc pas se résumer à une lutte contre le nazisme ou contre le communisme puisque la victoire était déjà acquise. Il fallait donc avoir des valeurs constructives et pas par opposition à d’autres valeurs. C’est tout l'enjeu actuel de ce nouveau monde multipolaire.

Il y avait un troisième courant que François Bayrou voudrait combattre également mais qui, pour l’instant, a gagné les esprits. Inutile de reprendre le dernier livre de Michel Onfray, mais il s’agit de Freud qui a pris sur notre société une influence considérable.
yartiBayrouGourette02J'avais en face de moi un responsable politique qui avait sa propre vision du monde, sa propre analyse, à la fois originale et cultivée, et qui avait esquissé la direction qu'il voulait déjà proposer. Cela justifiait largement mon déplacement. Et mon soutien futur.

À l’époque, je me souviens bien avoir entendu François Bayrou dire qu’il souhaitait également s’opposer à la pensée freudienne. Et c’était assez compréhensible car très croyant, il pensait comme beaucoup que Freud et Dieu étaient incompatibles (ce qui n’empêche pas que dans la réalité, il existe des prêtres psychanalystes de très haut intérêt intellectuel).

Justement, parlons de sa foi. François Bayrou a été probablement le premier au Centre des démocrates sociaux à considérer de façon insistante que la religion n’était qu’une affaire privée et qu’elle ne devait absolument pas intervenir dans la sphère publique. Il a mené dès 1988 un combat pour renforcer la laïcité à une époque encore très hésitante.

En juin 1988, les centristes de l’UDF avaient décidé de faire bande à part et avaient quitté le groupe UDF de l’Assemblée Nationale pour créer le groupe UDC, Union du centre, qui était un groupe pivot avec la majorité relative de Michel Rocard qui cherchait l’appoint parfois des députés communistes parfois des députés centristes.

Malgré quelques pressions dans les rangs centristes, François Bayrou avait été très déterminé à refuser que le sigle UDC fût retraduit par "Union des démocrates chrétiens", ce qui n’était qu’une appellation européenne mais qui ne pouvait s’inscrire dans la tradition laïque de la République française.

L’affaire du voile islamique dans une école de Creil allait prendre de l’ampleur médiatique (à partir du 18 septembre 1989) et le Ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, allait botter en touche en renvoyant le dossier au Conseil d’État sans prendre ses responsabilités politiques.

Cette défense de la laïcité était nouvelle dans ce mouvement mais pas étonnant de la part de François Bayrou. Pour celui qui a écrit plus tard (le 1er septembre 1996) "Henri IV, le roi libre", il voyait dans la laïcité le meilleur moyen du vivre ensemble, que chacun ait sa religion (ou pas) sans interférer sur les autres dans la société.

Quelques mois après "Gourette", François Bayrou publiait (le 1er décembre 1990) son premier livre, "La Décennie des mal-appris", « pamphlet brillant et impitoyable sur les dérives bureaucratiques de notre école républicaine » (selon "L’Express"). L’essai était également un constat accablant du niveau élevé d’analphabétisme en France et une discrète préparation à devenir le futur Ministre de l’Éducation nationale (de 1993 à 1997).

Une occasion d’ailleurs qui nous avait amenés, mes amis et moi, à organiser l’année suivante (en avril 1991) une conférence débat à la Faculté de droit de Nancy avec François Bayrou et les présidents des trois universités nancéiennes sous la houlette du journaliste Jean-Michel Bezzina (1942-2001), à l’époque correspondant de RTL en Lorraine et président du club de la presse de Nancy.

Le 11 décembre 1994, François Bayrou avait conquis à l’arraché la présidence du CDS sur le dauphin déclaré, Bernard Bosson. L’absence de candidat centriste à l’élection présidentielle de 1995 avait renforcé la détermination de François Bayrou de se lancer dans la voie présidentielle, ne se privant pas de se présenter même lorsqu’il n’avait que 3% d’intentions de vote dans les sondages.
Le 22 avril 2007, il était quand même parvenu à réunir presque sept millions d’électeurs français (soit près de 19% des suffrages exprimés) sur un projet sérieux qui, avec le recul, avait anticipé les principaux enjeux de la France de 2012 : crise de la dette souveraine et production en France.

Plus de deux décennies plus tard, je revois donc François Bayrou pour la troisième fois consécutive candidat à la Présidence de la République, avec un programme solide, une volonté toujours aussi perspicace et une constance intellectuelle qui est comme une perle dans un océan d’opportunisme, surtout quand on regarde la trajectoire des trois derniers locataires de l’Élysée et des autres qui voudraient occuper la place…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 avril 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Programme présidentiel de François Bayrou.
Bayrou et sa majorité.
Les Rénovateurs.
La famille centriste.

(2e photo : avec François Bayrou et Bernard Bosson en août 1989 ;
3e photo : au Zénith avec sa famille le 25 mars 2012).

yartiBayrouGourette03
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bayrou-l-homme-de-gourette-114559




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