éoliennes et radar : récusation d'un expert judiciaire par le tribunal administratif d'Amiens

Publié le 14 avril 2012 par Arnaudgossement

Le Tribunal administratif d'Amiens vient de rendre, ce 10 avril 2012, une décision importante. Il a en effet ordonné la récusation d'un expert judiciaire désigné pour évaluer les conditions de coexistence d'un parc éolien et d'un radar, au motif que "l'impartialité objective" de cet expert pouvait être mise en doute. Analyse. 


Je remercie mes confrères, Me Gandet et Me Deharbe, du cabinet "Green Law Avocat" de m'avoir autorisé à faire un lien vers leur commentaire de cette décision qu'ils ont obtenue pour leur cliente. 

Cette décision est importante pour, au moins, deux raisons. D'une part, il est fort rare qu'un Tribunal ordonne la récusation d'un expert judiciaire. D'autre part, cette décision fait naître l'espoir que le contentieux éolien/radar soit "déverouillé", alors qu'il l'était depuis un arrêt rendu le 30 juin 2011 par la Cour administrative d'appel de Douai. L'expert judiciaire récusé par le Tribunal administratif d'Amiens est en effet celui dont le rapport dont procédait l'arrêt de la Cour d'administrative d'appel de Douai.

L'arrêt rendu le 30 juin 2011 par la Cour administrative d'appel de Douai

Tous les acteurs de la filière éolienne ont sans doute en tête l'arrêt rendu le 30 juin 2011 par la Cour administrative d'appel de Douai. (cf. CAA Douai, 30 juin 2011, Ministre de l’écologie contre Société E. n°09DA01149, AJDA du 25 juillet 2011 p 1497, note de M Xavier Larue). La Cour administrative d'appel de Douai avait alors fait droit à une demande d'annulation d'un permis de consstruire éolien, à la suite d'une expertise judiciaire diligentée devant elle. 

L'expert judiciaire, allant du seul cas d'espère soumis à la juridiction, avait alors remis en cause les conclusions du rapport de la commission consultative de la compatibilité électromagnétique de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) en date du 19 septembre 2005, dit rapport CCE5 n°1 ...estimant qu'elles n'étaient pas assez sévères : 

"Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert diligenté par la Cour que le modèle créé par l'ANFR, s'il est approximatif , est avant tout exagérément optimiste en ce qu'il conduit à sous-estimer l'effet des projets éoliens sur la qualité de l'exploitation des radars météo s'agissant tant des mesures en réflectivité, destinées à estimer les précipitations, que du mode Doppler , destiné à évaluer la vitesse du vent ; qu'en effet, l'expert a relevé, d'une part, que le modèle prend en compte des éoliennes plus petites que celles comprises dans le projet et un radar dont la puissance utile est la moitié de la puissance réelle utilisable et, d'autre part, qu'il minimise la part des pales dans la SER totale en ce qui concerne le mode Doppler et sous-estime la perte de sensibilité provoquée par les éoliennes en surestimant le seuil de détection d'un radar en ce qui concerne la réflectivité ; qu'il a par ailleurs évalué la SER totale du parc à 2 900 m² pour les brouillages en réflectivité et à 15 000 m² pour les brouillages Doppler, soit des grandeurs beaucoup plus élevées que celles alléguées par l'ANFR ; qu'en outre, l'expert a pu indiquer que l'étude de l'ANFR avait conduit à des résultats particulièrement risqués en induisant l'Etat à fixer à 20 km le rayon de la zone dans laquelle les projets éoliens doivent être coordonnés alors que, selon lui, cette distance devrait être portée à 30 km compte tenu de la taille des éoliennes en cause ; que l'expert conclut ainsi que le projet était de nature à perturber les mesures Doppler à 7,5 km de part et d'autre du champ éolien en retenant une zone de risque d'une largeur totale de 16 km supérieure à celle théorique de 12 km ayant conduit au refus de permis de construire litigieux, laquelle était pourtant considérée comme étant déjà supérieure à la zone de risque effectif ; qu'il relève, au total, un affaiblissement de la précision et de la fiabilité des estimations des précipitations à partir des mesures en réflectivité, d'une part, et, surtout, une dégradation de l'évaluation de la vitesse du vent par mode Doppler, d'autre part".

Suivant les conclusions de cet expert judiciaire, désormais systématiquement reprises par tous les opposants au développement de l'éolien, la Cour administrative d'appel de Douai a annulé le permis de construire entrepris. 

Une jurisprudence défavorable

A la suite de cet arrêt de la Cour administrative d'appel de Douai, la situation était devenue inextricable pour les . Non seulement l'expertise produite par les opérateurs radars - Météo France, Armée, aviation civile - est fréquemment défavorable à leurs projets mais, de plus, elle ne pouvait que difficilement être remise en cause devant le Juge administratif. En témoigne un arrêt récent et trés préoccupant - pour ne pas dire catastrophique - de la Cour administrative d'appel de Bordeaux (cf. CAA Bordeaux, 1er Mars 2012, n° 11BX00737).

Aux termes de cet arrêt du 1er mars 2012, deux éléments semblent caractériser le contrôle opéré par le Juge quant à la légalité d'un refus de permis de construire motivé, au titre  de l'article R.111-2 du code de l'urbanisme, par la perturbation du fonctionnement d'un radar Météo France.

En premier lieu, le contôle ainsi opéré donne une place importante, d'une part à l'avis émis par Météo-France, d'autre part au rapport de la commission consultative de la compatibilité électromagnétique de l'Agence nationale des fréquences en date du 19 septembre 2005. S'agissant de ce dernier rapport, l'arrêt rendu le 1er mars par la Cour administrative d'appel de Bordeaux souligne que le fait qu'il n'ait pas été rédigé contradictoirement est sans effet. 

En second lieu, l'importance donné à ces analyses scientifiques ne prive pas le Juge administratif de sa capacité à opérer un contrôle in concreto au vu des pièces du dossier y compris celles produites en cours d'instance. L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux mentionne "les pièces du dossier" à six reprises. Toutefois, force est de constater que lesdites pièces n'ont pas emporté la conviction de la Cour. 

Cet arrêt témoigne donc de la difficulté pour l'exploitant du parc éolien de produire une contre expertise, a fortiori depuis ces arrêts des Cours administratives d'appel de Douai et Bordeaux.

Un expert judiciaire....partial

Par ordonnances du 24 novembre 2011 et du 5 janvier 2012, le Tribunal administratif d'Amiens avait désigné un expert judiciaire et un sapiteur, aux fins d'évaluer dans quelle mesure un parc éolien "était susceptible d'entraîner une perturbation des données du radar météorologique d'Avesnes et de nuire à la mission de sécurité civile dévolue à Météo-France".

Or, le 1er février 2012, la société en charge du développement du parc éolien en cause a pris connaissance d'un commentaire publié par cet expert judiciaire sur le site internet de la ville de Sèvres. Ce commentaire révèle la conviction climato sceptique de son auteur mais aussi son hostilité à l'égard de l'éolien : "Alors ne devrait-on pas plutôt protéger la planète contre ces prédateurs qui font fortune en plantant des éoliennes partout aux frais du contribuable (...) ?". 

Le 9 février 2012, la société éolienne a, fort logiquement, présenté une demande de récusation de cet expert judiciaire et de son sapiteur. Cette demande a été accueillie favorablement par le Tribunal administratif d'Amiens : 

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que le commentaire litigieux du 30 décembre 2009 doit être regardé, compte tenu des termes dans lesquels il est rédigé, comme une raison de mettre en doute l'impartialité objective de M D. pour la réalisation de l'expertise diligentée, en dépit de la circonstance que la publication ne se prononce pas précisément sur la question intéressant l'incidence des éoliennes sur le fonctionnement des radars météorologiques; qu'en conséquence, il y a lieu, par application des dispositions précitées de déclarer bien fondée la demande de récusation présentée par la société E. et de procéder au remplacement de l'expert M D.".

Cette décision de récusation de l'expert judiciaire est d'autant plus remarquable que c'est précisément cet expert qui avait été désigné devant la Cour administrative d'appel de Douai. 

Un espoir

Certes, rien ne dit à ce stade que le nouvel expert judicaire infirmera ou n'infirmera pas l'analyse de son prédécesseur. Toutefois, un espoir est permis et ce, pour plusieurs raisons. 

En premier lieu, il sera plus difficile pour l'Etat et les opérateurs radars de brandir l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Douai rendu à la suite d'un rapport d'expertise judiciaire dont l'absence d'impartialité vient d'être démontrée. 

En second lieu, les opérateurs éoliens peuvent de nouveau réfléchir à s'engager dans la voie de l'expertise judiciaire pour interroger devant les Juges la pertinence des motifs scientifiques qui leur sont opposés par les opérateurs radars. Rappelons que l'expertise administrative n'est pas vérité biblique et peut, fort heureusement être discutée. Toutefois, comme le rappelle l'arrêt précité de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, discuter des conclusions d'une expertise radar de Météo-France au seul moyen d'écritures et sans expertise judiciaire ne suffit pas. 

De manière générale, il est temps de rediscuter de la doctrine de l'Etat en matière de radars et de remettre à plat un cadre juridique par trop défavorable aux éoliennes.