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Parti pirate : un sens géopolitique ?

Publié le 16 avril 2012 par Egea

La percée du parti pirate en Allemagne témoigne-t-elle d’un mouvement géopolitique plus profond ? Constatons d'emblée que le mouvement est principalement européen, et pour tout dire nord-européen. Mais encore ?

Parti pirate : un sens géopolitique ?
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1/ Et tout d'abord, que sont ces partis pirates ? Le premier fut lancé en Suède en 2006, à partir d'un projet qui se veut proche des valeurs d'Internet : au départ, une blague : "puisque les politiciens ne cessent de nous traiter de pirates parce qu'on ne respecte pas les codes officiels de la culture, et bien soit, créons le parti pirate". Une page internet, un lien envoyé aux copains, une bonne soirée, et l'affaire aurait pu en rester là. Mais nous sommes au 21ème siècle, et l'ère 2.0 fait que ladite blague rencontre de l'écho : par centaines de milliers de visites. Ce n'est plus une blague, et le parti d'en rire devient parti poliitque. Aux élections européennes de 2009, le PP suédois obtient 9% des voix, et deux députés.

2/ En France, le débat autour des lois de protection électronique des droits d'auteur (DADVSI puis HADOPI) lance un parti pirate français (oui, ça fait PPF, ce qui n'est pas du meilleur goût : d’ailleurs, l'étiquette n'est que PP). Derrière la défense de libre-accès à la culture, le parti défend la libre circulation des savoirs scientifiques et culturels, la neutralité du Net et la protection des libertés individuelles. Il y a également une critique des grands groupes industriels accusés de s'approprier "inéquitablement" des revenus tirés de brevets de toute sorte. Enfin, la protection de la liberté du citoyen est à l'origine de revendications contre toute mesure qui, sous couvert de "sécurité", menacerait la vie privée de l'individu (droit à la vie privée, au secret des communications, à l’anonymat, à la liberté d’expression). Le PP ne se prononce pas sur tous les sujets de société, et refuse de prendre parti sur le clivage droite-gauche.

3/ Ce ne pourrait être qu'un de ces mouvements neutralistes qui émergent régulièrement sur notre "scène politique". Il y a pourtant un peu plus que cela.

4/ Constatons tout d'abord que ce mouvement apparaît avec une certaine technologie, celle d'Internet. Il ne faut pas s'y tromper : au-delà d'Internet, l’avènement du cyberespace bouleverse en profondeur nos régulations sociales et il est finalement assez logique que des formes d’expressions politiques en témoignent. Je ne suis pas sûr que le parti pirate soit d’ailleurs la bonne réponse, mais à tout le moins il est révélateur d'un bouleversement : Celui de la planétisation qui n'est pas seulement un mouvement universel, mais qui touche aussi la vie de chacun : une sorte d'individualisation maximale et reliée.

5/ L'intérêt technologique est donc premier, mais aussi la défense de ce que cette technologie permet : une multiplication des liens personnels dans un espace privé/public à la frontière floue : on a assez remarqué dans les médias la sorte d'impudeur de la génération Y. Pourtant, c'est cette même génération Y qui invente le parti pirate défendant la vie privée sur cette nouvelle agora qu'est le cyberespace. Car même s'il est impudique, l'utilisateur du 2.0 demeure un individu, un ultra-individu. En ce sens, il est archi occidental ou, plus exactement, archi-européen.

6/ Car voici la deuxième caractéristique majeure du piratisme : son caractère principalement européen. L'Europe, on l'a dit maintes fois, a inventé une nouvelle forme de puissance, un "empire par la norme". Norme interne ( l'UE Produit d'abord du droit et de la régulation) mais aussi norme extérieure : les normes s’imposent à autrui, dans une sorte de soft power adapté à ce nouveau siècle. Bien sûr, il y a des partis pirates ailleurs, et notamment dans les Amériques. En regardant la carte, vous noterez d'ailleurs que les partis pirates sont implantés là où se trouve l'occident ...

Parti pirate : un sens géopolitique ?

7/ Mais c'est surtout en Europe que ce piratisme rencontre ses succès, et notamment ses succès électoraux : Suède, Tchéquie, mais surtout Allemagne (voir liste des partis pirates avec leurs résultats électoraux). Le PP allemand a réussi un certain nombre de succès locaux, au point de réunir aujourd'hui 163 conseillers municipaux. Dans un récent sondage, au niveau national pour les législatives, ils sont crédités de 13% des voix, devant les Verts et Die Linke ! (ici). Au point qu'on lit des commentaires politiques savants au sujet de leur prochaine entrée dans le Bundestag (ici).

8/ Je constate que le phénomène est pour l'instant concentré autour de l'Europe du Nord et centrale. Là où il y a des partis verts et où, notez le, il n'y a pas de partis ou populistes puissants et influents. Formulons une hypothèse : Comme s'il y avait un déplacement identitaire, l'identité collective passant d'une grammaire ancienne, très 19° siècle, à une grammaire contemporaine se concentrant sur de nouveaux territoires. A chaque fois, des réponses frustres, se concentrant sur des thèmes limités (libre accès à l'Internet, protection de la vie privée dans le cas du piratisme) mais qui ont des résonances politiques certaines. Avec à la fois des aspects gauchistes (ouh! le capital) et droitistes (ouh! les élites).

Autant dire que ce parti pirate n'est pas à négliger comme une vulgaire lubie d'adolescent mal vieilli, ou une anecdote de potache qui dure un peu plus longtemps. Le piratisme témoigne de quelque chose de plus profond, même si les thèmes politiques ne paraissent pas très convaincants pour l'instant. Ils évolueront sans doute. Voyons surtout l'émergence d'une innovation politique, européenne et 2.0.

Si on osait : Une avant-garde. Mais le mot est politiquement connoté depuis un certain Karl...

Réf :

O. Kempf

NB : Ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.


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