Actuellement se tient à Paris le salon du livre, avec pour invité d’honneur Israël. En ce vendredi soir et à cette occasion avait lieu une table ronde intitulée “la littérature et le monde” où prenaient place les plus grands auteurs israéliens ; David Grossman, Avraham Yehoshua et Amos Oz, triptyque magique s’il en est.
Le ton est amical, engagé aussi, l’Hébreu de Grossman et Oz s’écoule mélodieusement, Yehoshua a opté pour un Français à l’accent raclant légèrement dans des sonorités orientales. Chacun y va d’un commentaire autour de la Littérature, de la condition d’écrivain, de la situation au Proche Orient, de leurs inquiétudes respectives, et de leurs espoirs.
David Grossman, pour l’occasion affublé du surnom de “réaliste”, est sans doute le plus retiré des trois hommes. Le plus jeune aussi. Il ne cesse de mesurer le pour et le contre, et est le premier à faire preuve de mesure. Hésitant entre fougue et calme, ses propos sont assénés avec détermination, mais sans brutalité.
Personnage haut en couleur, aux formes rondes et à la voix puissante, Avraham Yehoshua est surprenant ; il s’agite, s’énerve, glisse une touche d’humour à l’attention d’Amos Oz, et tire un tableau très sombre pour l’occasion de la situation en Israël-Palestine. Il sera le “pessimiste” du jour, comparant l’effervescence artistique hébraïque à la riche période européenne de l’entre-deux-guerres européenne : l’art est grand car la région va mal, et cela risque d’empirer laisse-t-il entendre.
Pour le coup, ce sera donc Amos Oz qui héritera du statut d’”optimiste”. Méditatif, il tient le rôle du sage au sein du trio, délivrant ses réflexions d’un ton régulier et fort ; évoquant son double rôle de critique - à connotation ouvertement politique - et celui d’écrivain - qui n’est finalement qu’un conteur dit-il.
Mais quel bilan pour cette rencontre au sommet ? Israël ne saurait faire abstraction de la question du judaïsme. Grossman est clair : il est Juif, il ne peut s’en départir ; Yehoshua est moins catégorique, le judaïsme fait partie de sa condition, mais il ne saurait se résumer à cette seule appartenance ; quant à Oz, il hiérarchise : il est avant tout écrivain, Israélien, et Juif seulement après cela, enfin, il est citoyen du monde.
Côté politique, les trois hommes offrent une critique ouverte de l’Etat hébreu et un plaidoyer unanime en faveur d’un Etat palestinien. Bien sûr, chacun a sa variante propre, et comme le note Oz, “trouver deux Israéliens en accord sur la question tient du miracle, alors qu’il est déjà difficile pour un seul d’être en accord avec lui-même”.
Et la Littérature, forcément présente bien qu’évoquée plus dans son activité créatrice plutôt que dans son objet propre, offre une unique approche, celle d’un amour partagé pour le texte et pour la création.
Ce qui se retient à la fin de cette rencontre n’est pas tant la qualité des échanges - pourtant au rendez-vous -, mais surtout le charisme des trois intervenants, la fascination et la beauté qui émanent de ces auteurs dans leur force, tout en sobriété et en justesse. Un instant comme on en aimerait de plus fréquents.