Depuis cinquante-trois ans, Villerupt vote pour la gauche. Pour toutes les gauches. Une fidélité exceptionnelle soudée dans la tradition communiste… et la solidarité des Italiens.
Soixante-cinq pour cent à la présidentielle de 2007, 68 % aux législatives, 70 % aux municipales de 2008, 73 % aux régionales de 2010, 80 % au premier tour des cantonales l’an dernier… Scrutin après scrutin, la ville de Villerupt vote à gauche. Massivement. Et ça dure comme ça depuis 1959, depuis la conquête de la mairie par Armand Sacconi, figure du PCF.
Tradition ouvrière ? Les mines et les usines ont pourtant disparu du paysage, mais quand Longwy a rendu les armes en élisant un maire de droite, quand Freyming-Merlebach s’est laissé séduire par le populisme d’extrême-droite, la gauche villeruptienne résiste encore et toujours.
Tout comme la droite fait partie de la nature à Neuilly-sur-Seine, la gauche, à Villerupt, semble appartenir au patrimoine génétique des électeurs… « Aujourd’hui, le PCF ne passe plus au premier tour, comme au bon vieux temps. Mais c’est un fait : les enfants continuent à voter comme leur père », s’étonne Christiane Witwicki, autre héroïne locale qui, en 1995, arracha la mairie pour treize ans au profit du Parti socialiste. « Je reconnais avoir fait l’erreur d’avoir sous-estimé l’aspiration au rassemblement de la gauche, et la droite en a profité pour éjecter les communistes », reconnaît aujourd’hui Alain Casoni, successeur de Sacconi, qui n’a récupéré l’hôtel de ville qu’en 2008.
« Rital = coco »
Cette longue parenthèse a traumatisé les communistes, détenteurs historiques du pouvoir local. Les anciens se rappellent avec un brin de nostalgie la fraternité scellée dans la chaleur des ateliers, la camaraderie sourcilleuse de la CGT – bien avant l’arrivée des trublions de la CFDT –, les interminables débats au sein des cellules d’entreprise… Tout un univers soudé au sein de la petite Italie.
« Dans ma jeunesse, s’amuse Christiane Witwicki, les Polonais étaient de droite et les Italiens de gauche »… les seconds étant infiniment plus nombreux que les premiers. L’équation est simple : Rital = coco ! On en rit dans les cités de la Butte ou de Cantebonne, mais on n’oublie pas qu’en 1959, les ingénieurs et les commerçants de la ville basse faisaient campagne sur le thème « pas de drapeau italien sur la mairie ».
« À Villerupt, s’enorgueillit Alain Casoni, l’immigration et la citoyenneté sont toujours allées de pair. » Tchèques, Roumains, Algériens ont été intégrés avec la même aisance, assurent en chœur les Villeruptiens.
Dépasser les partis
« Après la fermeture des mines et de l’usine, la vie associative a pris le relais, estime Alain Casoni. Les partis et les syndicats ont moins de poids, c’est vrai, mais on pousse toujours les gens à s’approprier leur quotidien. C’est pour cela qu’en 2008, nous avons créé des comités de quartier très actifs auprès du conseil municipal. »
« Le Parti communiste est toujours bien présent », tente de se rassurer Philippe Marx, secrétaire de la section locale du PCF en délicatesse avec une partie de ses camarades, présents ou passés (lire ci-contre). Mais la section ne compte plus guère qu’une trentaine de militants encartés. Même le maire a repris sa liberté quand Robert Hue dirigeait la maison. Dans l’autre famille de la gauche, Christiane Witwicki, elle aussi, a détruit sa carte du PS à grands coups de ciseaux, à défaut de parvenir à la déchirer, après le désastreux congrès de Reims.
Mais qu’importe ! Avec ou sans carte, tout ce petit monde continue de se retrouver sur les marchés et dans les cours des cités de Cantebonne pour distribuer force tracts, qui pour Mélenchon, qui pour Hollande. « Le Front de Gauche, c’est le seul outil pour retrouver les valeurs de la gauche », tranche Marx. « La dynamique du Front de Gauche va créer un mouvement qui dépassera l’aspect partitaire », lance Casoni en écho, quitte à créer un joli néologisme. Et puis l’avantage, avec le Front de Gauche, c’est justement qu’il comprend le mot « gauche ». Et ça, à Villerupt…
Républicain Lorrain du 17 Avril 2012 – Bernard MAILLARD.
Share