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Une interview exclusive

Publié le 18 avril 2012 par Gouttedescience

Dernièrement, une étudiante en master m'a contacté pour m'interviewer dans le cadre de son mémoire de fin d'étude sur la communication scientifique. J'ai répondu à ses questions avec un grand plaisir. Ci-après, la reproduction, avec l'aimable autorisation de l'étudiante, de l'interview, dans son intégralité.


Votre parcours

  1. Pouvez-vous me décrire votre parcours scolaire ?

A l’issue de mes années de lycée, j’ai intégré le lycée Montaigne de Bordeaux en classe préparatoire MPSI/MP. Deux années difficiles mais enrichissantes qui m’ont ouvert les portes d’une école d’ingénieur du campus universitaire de Talence, en modélisation mathématiques et  mécanique : MATMECA, qui a aujourd’hui fusionné avec l’ENSEIRB. Trois années plus tard, je sortais de l’école, diplôme d’ingénieur en poche, avec une équivalence en master de recherche en mathématiques appliquées, direction Toulouse, à l’ONERA (Office Nationale des Etudes et Recherches en Aérospatiale) pour y effectuer une thèse de doctorat. J’ai soutenu ma thèse et obtenu le titre de docteur ès dynamique des fluides en 2008.

  1. On sait que qu’un certain nombre d’étudiants choisissent d’intégrer une filière scientifique parce qu’ils sont poussés par la famille, les proches.
    Ils y sont par défaut, ils sont entrés dans la filière plus pour le caractère prestigieux et d’excellence de la matière que pour les sciences en elles même.
    Vous avez côtoyé des étudiants en filière scientifiques, pouvez-vous confirmer ce propos ?

Vous semblez savoir quelque chose que j’ignore ou qui, d’après mon expérience, n’est pas pas aussi tranché. De mon expérience, entre les élèves qui choisissent la filière scientifique par goût et ceux qui le font par défaut, toute la palette des raisons et motivations diverses sont assez bien représentées, dans des proportions que j’ignore totalement. Il doit y avoir des études sérieuses de l’INSEE qui donnent ces chiffres. Ce qui est certain, c’est que les filières scientifiques ont la réputation d’ouvrir plus de voies après le bac que les filières littéraires, à mon grand regret d’ailleurs puisque tout le monde n’est pas fait pour faire des sciences et que la société a autant besoin de scientifiques que de littéraires, aussi bien que d’intellectuels que de manuels (ou les deux ne même temps !) pour continuer à tourner correctement…

  1. Comment avez-vous commencé votre carrière professionnelle ?

Après quelques années d’errance à la recherche de ma place professionnelle (je suis passé par l’industrie chez AIRBUS, la recherche en post-doctorat à l’ISAE, puis une tentative dans le commerce de produits bio), je reviens aujourd’hui à mes premières amours : l’enseignement des mathématiques, activité que j’exerce en cours particuliers à domicile depuis plus de 10 ans. Ma carrière professionnelle en tant qu’enseignant/formateur en mathématiques commence donc bientôt je l’espère !

  1. Quels étaient vos motivations ?

Le déclic a eu lieu en deuxième année de prépa. En binômes, nous devions préparer ce que l’on appelait à l’époque des TIPE (Travail d’Initiative Personnel Encadré). Il s’agissait de faire un exposé sur un sujet de notre choix dans le domaine des mathématiques ou de la physique. Avec une amie, nous avions choisi de traiter « l’hypercube » (le cube dans un espace à 4 dimensions). Je me rappelle d’avoir commencé l’exposé, d’être rentré dans un tunnel puis d’en être ressorti 30 minutes plus tard avec la sensation d’avoir été exactement à ma place. Mon premier "kif" de prof, en somme. C’est à ce moment-là que j’ai su que je devais être enseignant. Cette expérience s’est répétée à plusieurs reprises tout au long de ma vie professionnelle et personnelle. En cours particuliers, j’ai aussi découvert que je pouvais transmettre autre chose que de simples savoirs techniques : des conseils méthodologiques, des comportements à adopter et quelques clés pour réussir dans ses études. Il m’a fallu plusieurs années pour que mon projet mûrisse et que je parvienne à déterminer dans quel cadre je voulais faire de l’enseignement. Rebuté par l’éducation nationale, j’ai décidé aujourd’hui de faire ma place dans des structures à taille humaine en relation avec le monde professionnel.

Le blog « Goutte de science »

  1. Quand l’avez-vous créé ? Quel est le concept ?

La genèse de « Goutte de science » a pris du temps. En 2006, j’ai créé un blog personnel, une sorte de fourre-tout scientifique, informatique, littéraire... Il était destiné prioritairement à mes amis proches. C’est dans ce cadre-là que j’ai commencé la série « Ma thèse expliquée à Mamie ». Le premier article de la série est paru en novembre 2006, le dernier en mai 2008. Tout au long des 12 épisodes, j’explique à une grand-mère imaginaire l’objectif de mes travaux de thèse. Ma « vraie » grand-mère, ses doigts tordus agrippés à la souris de l’ordinateur de la cuisine, a suivi la série avec assiduité depuis son petit village de Charente-Maritime ! Depuis 2006, le blog a beaucoup évolué. Le concept « goutte de science » est né en 2008 alors que je cherchais à rendre ce blog plus lisible et à améliorer son audience. Je voulais en faire un site de vulgarisation scientifique en traitant divers sujets de mon domaine de compétence de manière originale et décalée. La « goutte » revêt une double symbolique. Premièrement, à travers l’eau, il symbolise mon domaine d’expertise, la mécanique des fluides. Deuxièmement, la goutte représente l’atome des connaissances. Composant infinitésimal mais néanmoins indispensable à la construction de plus grands savoirs. C’est de l’addition de ces petites gouttes de savoirs que naissent l’océan des connaissances. Il a connu une dernière évolution en 2011 pour rendre la ligne éditoriale encore plus lisible. La « goutte » prend aujourd’hui une troisième symbolique, celle de l’alchimie entre les mathématiques, les sciences physiques et la transmission décomplexée de savoirs : une tranche de maths et une pincée de physique transmises dans la bonne humeur.

  1. A-t-il une bonne audience ?

Le travail d’animation et de référencement est une activité très chronophage. Je manque en ce moment de temps pour le faire vivre. Néanmoins, le blog a un lectorat assez fidèle et de nombreux lecteurs occasionnels : autour de 2000 visites par mois, soit entre 65 et 70 visites par jour. Depuis 2011, vous pouvez retrouver « goutte de science » sur facebook (https://www.facebook.com/pages/Goutte-de-science/171258502938689) ainsi que sur twitter (https://twitter.com/#!/GoutteDeScience).

  1. Pensez-vous que la science serait plus appréciée si elle était présentée à la manière dont vous le faite sur votre blog ?

« Il faut de tout pour faire un monde », des gens qui aiment les sciences et d’autres qui ne l’aiment pas, c’est une question de sensibilité personnelle qu’on doit respecter. Pour autant, je ne crois pas que la science ne soit pas appréciée. Elle a peut-être le défaut d’être perçue comme un ensemble de connaissances réservées à une élite intellectuelle. Perception dont elle est en partie responsable, probablement, non pas à cause d’un manque de vulgarisation (il suffit de regarder le nombre de revues, d’émissions ou de sites internet parlant de sciences…), mais à une position qu’elle s’est donnée : inaccessible, voire condescendante, complexante pour qui ne partage par le savoir des experts. Mais il en va de même de la psychanalyse, de la paléontologie, de la sociologie, de l’économie… Il est évident que tout le monde ne peut pas être un expert dans tous les domaines et qu’à un certain niveau de connaissance et de technicité, même ceux dotés d’une intelligence intellectuelle hors-pair peuvent se sentir largués. Socrate, le père de la philosophie, parcourant les rues d’Athènes et parlant à qui voulait bien l’écouter, pensait que le pire des maux est l’ignorance. Je considère que Socrate a en partie raison (les malheurs que vit l’humanité aujourd’hui a selon moi d’autres origines, mais c’est un autre débat), et la communauté scientifique (quel que soit le domaine) a un devoir de transmettre les connaissances au plus grand nombre. Cependant, tout le monde n’a pas de talent de vulgarisateur ni la fibre de la transmission ou encore moins le temps de s’adonner à cette activité. Je ne suis pas le seul à transmettre la science de cette manière et je suis très loin de le faire aussi bien que certains confrères. Grâce à ces initiatives, j’espère que l’idée fera son chemin que la science et les mathématiques ne sont pas réservées à une élite et que le commun des mortels peut très bien avoir du plaisir à s’y intéresser.

Votre perception

  1. Comment peut-on démocratiser la science selon vous ? (pour qu’elle ne soit pas seulement réservée à une élite, mais qu’elle puisse être comprise par tous)

Je n’ai pas de réponse définitive à cette question, car tout le monde n’est pas sensible aux mêmes canaux de communication. Certains apprécieront la rigueur d’un exposé théorique, d’autres préfèreront mettre directement « les mains dans le cambouis », etc. De mon côté, j’essaye la voie décomplexée de l’autodérision et de l’humour. Par ailleurs, les nouvelles technologies de l’information ont probablement un rôle décisif à jouer dans la démocratisation des sciences. Cela dépend aussi de ce qu’on entend par « sciences ». Il y a certainement un socle d’idées communes et de concepts accessibles à tous (dont les contours sont très flous) que la communauté scientifique a le devoir de vulgariser. Ceci étant, soyons réaliste, comme je l’évoquais précédemment, à partir d’un certain niveau, sans être réservée à une élite, la science n’est plus accessible à tous. Ce constat est valable pour tous les domaines de connaissances et qu’il faut accepter sans jugement de valeur. Je veux dire par là que l’intelligence intellectuelle n’est pas l’unique facteur qui fait la valeur d’un homme ou d’une femme. Il ne faut pas se complexer et se croire nul si on ne comprend rien à la théorie de l’intégration de Lebesgue à la méthode des éléments finis ou aux équations de Navier-Stokes. La société actuelle considère que l’intelligence intellectuelle prévaut sur toutes les autres formes d’intelligence. Je me porte en faux de cette conception. L’intelligence intellectuelle doit être un outil au service de l’humanité et non un vecteur de hiérarchisation des Hommes.

  1. Est-il possible de lutter contre les stéréotypes sur les sciences ? (Auprès des jeunes qui voient la discipline très complexes sans intérêt pour la vie quotidienne, hermétique, et au près du grand public qui fait preuve de méfiance envers la science notamment à cause des crises sanitaires que nous avons subi ces 30 dernières années)

Je pense que cela est possible au collège et au lycée oui. Difficile et nécessairement long, mais possible. L’enseignement des mathématiques notamment mériterait d’être revu en essayant de le raccrocher à des applications réelles. Ceci dit, ce n’est pas toujours possible pour différentes raisons.

Premièrement, certaines notions mathématiques sont uniquement des outils préalables à la mise en place d’autres concepts qui en découlent. Un peu comme le solfège est le préalable à la lecture et à l’écriture de la musique, ou l’apprentissage du code de la route le préalable à la conduite d’une voiture. S’il est impossible de le raccrocher à une situation réelle, il est quasiment toujours possible de créer une situation pédagogique ludique (une analogie, un jeu, …) pour y donner de la vie et de l’intérêt. Je vous donne un exemple. En mathématiques, la trigonométrie est souvent la bête noire des lycéens. Lors de mes cours, je commence par leur dire qu’on va développer la trigonométrie pour pouvoir « se la jouer » lorsque qu’on coupe un gâteau. En effet, grâce à la trigonométrie on pourra aisément couper un gâteau en 6, voire en 5, 7, 9 ou 11 parts rigoureusement identiques. Certes, l’intérêt est discutable, mais avec un peu de second-degré et d’autodérision, les élèves jouent le jeu. On rapproche ainsi une notion abstraite à un problème ludique et concret. Ainsi, après ce cours, à chaque gâteau coupé, mes élèves repenseront à leurs formules de trigonométrie avec un sourire espiègle aux lèvres. Le plaisir et l’épanouissement sont deux vecteurs importants de la motivation à apprendre.

Deuxièmement, je crois que les enseignants, en tout cas dans l’éducation nationale, manquent de liberté d’action et d’espace de créativité pour mettre en place des situations pédagogiques pertinentes. Je ne parle pas forcément des moyens mis à disposition, mais surtout d’un moule idéologique et administratif qui étouffe cette liberté d’action et cette créativité. C’est donc tout le système éducatif qu’il faudrait réformer, d’où la difficulté et la lenteur inévitable…

Concernant le grand public, c’est beaucoup plus compliqué étant donné la largeur du spectre des sensibilités et des individualités. Je ne pense pas qu’il y ait de recettes miracles. Il faut jouer la carte de la diversité pour que chacun puisse y trouver son compte.

Quel que soit le domaine, le meilleur moyen pour lutter contre les stéréotypes est de garder l’esprit ouvert et de se méfier des préjugés, de toutes les idées préconçues dont nous sommes abreuvés quotidiennement. En ce sens-là, Socrate avait raison lorsqu’il prétendait ne savoir qu’une chose, c’est qu’il ne savait rien ! Par cet aphorisme, il voulait simplement mettre en garde les Athéniens contre les idées préconçues qui sont l’ennemi de la véritable connaissance, celle du monde et de soi-même.

  1.  Si vous deviez promouvoir la science auprès des profanes, capter leur attention sans les rebuter, quelle serait la première action que vous mettriez en place ?

Laissez-moi réfléchir… je pense que mettrai en place un blog qui s’appellerait « goutte de science », et qui aurait pour slogan : « un tranche de maths, une pincée de physique et une dose de bonne humeur »

:)

  1.  D’après vous, les médias diffusent-ils suffisamment d’informations scientifiques (découvertes, recherches, etc.) ? Et d’autre part, la vulgarisent-ils assez bien ?

Je pense que oui. On trouve aujourd'hui de très bonnes sources d’informations et de vulgarisation. Dans le domaine télévisé je pense notamment à l’émission « c’est pas sorcier » qui est une référence absolue en matière de vulgarisation scientifique, ou l’ancien dessin animé « l’histoire de la vie ». Dans les kiosques, il y a les excellentes revues « Pour la science » ou « science et avenir ». Dans les librairies, on peut citer « Les mathématiques expliquées à mes filles », de Denis Guedj, où « ça y est, je suis fou » de Raymond Smullyan. Sur internet de nombreux scientifiques font des travaux remarquables, je pense en particulier au site « science étonnante » (http://sciencetonnante.wordpress.com/) de D. Louapre, le blog « choux romanesco, ou le blog vache qui rit et intégrales curvilignes » (http://eljjdx.canalblog.com/). Il y en a tellement que je ne peux tous les citer ici !

Le problème n’est peut-être pas dans la quantité d’information diffusée ni dans la forme qu’elles revêtent, mais dans le fait qu’elles sont noyées dans la quantité ahurissante d’informations qui circulent. Nous sommes aujourd’hui dans une société de l’hyper-information, et il est parfois difficile de s’y retrouver. Les choses intéressantes (et cela vaut pour les sciences, comme pour les arts, etc.) sont noyées dans la médiocrité ambiante. Comme disait Coluche, en parlant de musique commerciale : « Quand on pense qu'il suffirait que les gens ne les achètent pas pour que ça ne se vende plus. » Il en va de même pour le reste. Le public, vous, moi, avons une part de responsabilité dans ce qui nous est proposé. En déplaçant nos actes de consommation, donc nos comportements, de la médiocrité vers le sublime nous aurions peut-être une société radicalement différente, autant sous l’angle de la vulgarisation des sciences que d’un point de vue simplement humain. La démocratisation des sciences est donc autant entre les mains des experts qui ont le devoir de vulgariser leurs savoirs que des consommateurs qui doivent témoigner leur intérêt et leur curiosité !

Merci.


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