Je vous ai parlé la semaine dernière de la rentabilité décroisssante du travail au dessus de 40h / semaine. Comment avons-nous perdu de vue cette notion ?
Selon Sara Robinson (article sur Salon .com), plusieurs facteurs ont concouru à ce phénomène
- L’émergence dans les années 50/60, en Californie, de groupes de jeunes passionnés par leur travail, quitte à en oublier le reste (style syndrome d’Asperger). Des « geek » avant l’heure ! Ce n’était peut-être pas nouveau (et a sûrement toujours existé), mais ce qui a frappé à l’époque, était leur regroupement dans les industries Hi-Tech (= phénomène de masse). Ainsi, à l’époque, HP était célèbre pour offrir le petit déjeuner à ces passionnés qui oubliaient souvent de le prendre chez eux.
- Ce phénomène a été popularisé et idéalisé par le livre de Tom Peters sur la notion d’Excellence au début des années 1980. Il valorisait l’image de ces entreprises où les salariés y trouvaient à la fois réalisation d’eux-mêmes et bonheur en s’investissant à fond. Même si cela ne concernait qu’une part des collaborateurs, cela marqua les esprits.
- Le début des années 80 (années Reagan) marque aussi aux USA le déclin des syndicats (comme en Angleterre avec Mme Thatcher) et la promotion de l’image de l’entrepreneur (voire du « manager entrepreneur »). C’est aussi une période où l’emploi à vie est battu en brèche et où les entreprises passaient de la notion d’emploi à vie des collaborateurs à une « utilisation » plus courte de leurs employés (avec souvent un discours disant que c’était pour leur bien). Dans ce contexte, les managers prirent alors la tendance d’en demander plus.
- Cela se développa dans les années 90 avec la notion de « Recrute-les et brûle-les » (« churn them and burn them ») où de grandes sociétés type Microsoft firent travailler leurs développeurs 70 à 90 heures par semaine quitte à en licencier régulièrement pour en recruter des plus « frais ».
- Petit à petit, les autres entreprises suivirent le mouvement, rentable à court terme, mais dévastateur à moyen terme (montée du stress, désimplication des collaborateurs qui font des heures de moins en moins productives). Les salles de gym et autres cafeterias de luxe font croire au salarié qu’il est mieux ici que chez lui et que l’avenir appartient à ceux qui travaillent beaucoup (et à l’opposé, l’image de ceux qui font 40 h = losers).
Aujourd’hui de nombreuses études montrent que les salariés passent effectivement au bureau plus de temps que prévu au contrat,…tout en consacrant 2 heures / jour à la gestion de leurs mails et autres réseaux sociaux. Productivité, vous avez dit ?
Peut-on revenir en arrière ? Dans un univers aujourd’hui où l’emploi est menacé (au moins aux USA et en Europe), cela supposerait une révolution culturelle à la fois des employeurs et des employés. Pas si simple. Toutefois, le désengagement croissant et la volatilité des Générations Y sont aussi un bon indicateur du retournement de situations. Peut-être que ce seront ces derniers, en prônant un meilleur respect de leur vie privée qui interpelleront les entreprises sur un meilleur équilibre du temps.
Et vous, êtes-vous prêt à en parler à votre employeur ?