Rendre le vote FN inacceptable*
Par Poulain Noir Extra
Nous sommes sous le choc à la lecture des résultats du premier tour de l’élection présidentielle 2012. Nous avons aujourd’hui un véritable problème en France, et ce problème s’appelle Marine Le Pen, ce problème c’est le score du Front National actuel. Ce n’est pas seulement le vote des désœuvrés mécontents qui nous inquiète, mais la perte de sens de la chose, le glissement de signification du vote frontiste qu’a opéré la candidate du FN. Elle l’a rendu « normal », elle l’a naturalisé, et c’est là où le bât blesse très douloureusement. La perte de conscience que, voter Front National, n’est pas seulement proprement immoral, mais inhumain est quelque chose de grave, de très grave. C’est la perte conscience de la part des français électeurs du FN qu’ils sont des êtres humains et non pas des pantins, qu’ils sont citoyens et qu’ils ont une histoire, un héritage humaniste très fort, qui n’est pas un folklore ou une nostalgie mais une véritable énergie vitale pour la France! Mélenchon nous l’a montré, ces valeurs humanistes et républicaines ne sont pas du vent pour jeunes utopistes en manque de rêves, mais une réalité pour tous ceux qui ont le courage de s’en saisir et de les faire vivre au nom de la liberté, de l’égalité et de la solidarité. Le vote FN n’est pas uniquement la preuve du délitement des valeurs humaines et humanistes, c’est l’aveuglement généralisé quant au programme du FN, lequel est anti-républicain et donc dictatorial. La droite classique se trompe en s’attaquant directement aux problèmes de la sécurité et de l’immigration, pour recueillir les voix du FN au second tour, il faudrait plutôt leur proposer une dictature de type fasciste et extrémiste puisque c’est bien pour cela, le plus souvent sans s’en rendre compte, que les électeurs du FN ont voté. Or eux-mêmes ne veulent pas cela en réalité. Ils veulent contester le système, certes, mais ils le contestent mal et au mauvais endroit. Ils veulent le souverainisme, vraiment ? Mais ont-il idée de qu’est véritablement une théorie politique souverainiste radicale : l’autarcie, c’est-à-dire la mort des échanges, la mort du dialogue, bref la mort de la pensée. Je me demande sincèrement comment il est possible de mettre un bulletin de vote « Le Pen » dans l’urne, c’est une injure à sa propre humanité, il n’y a aucun argument valable pour faire ça. Vraiment, je ne comprends pas ! Les raisons avancées par les sociologues et les sondeurs quant au vote frontiste montrent à quel point les motivations des électeurs ont un caractère abscons : « C’est la crise, c’est la faute des marchés étrangers et des immigrés, renfermons-nous sur nous mêmes, ça ira mieux… ». Plus pathétique, tu meurs.
Et pourtant elle fait 18%, et pourtant elle s’est fait passer pour une candidate « normale ». J’en ai froid dans le dos, il faut absolument lutter contre cette image nouvelle du FN dans laquelle réside aussi cet atroce score et cette atroce percée dans l’opinion. Lorsque le FN demande aux autres partis du « respect » (comme Collard dimanche soir sur France 2) parce qu’il est devenu un parti « normal » est « respectable », c’est là où l’on doit leur rétorquer que non, nous n’allons pas les respecter, non nous n’allons pas les laisser dévoyer la morale publique. Ces sinistres individus du FN qui demandent du respect, ça c’est le comble de l’obscénité et de l’absurdité pour des personnes qui ne respectent pas 97% de l’humanité (les étrangers), qui ne se respectent pas elles-mêmes, ni comme personnes humaines, ni comme citoyens, puisqu’ils votent contre leur statut démocratique de citoyen et contre leur propre liberté.
Le Pen réellement au pouvoir, ce serait la dictature, et ses électeurs ne s’en rendent pas compte : Pire qu’Hitler ou Staline, Marine ! Nous disons cela non sans une certaine exagération un peu pompeuse, mais c’est que nous pensons qu’il faut absolument que voter FN redevienne quelque chose de honteux, de sale, d’inacceptable, d’inadmissible, parce que fondamentalement ça l’est, et que la façon dont Marine Le Pen essaye de le masquer est intolérable et insoutenable ! Oui, dans ce propos, nous voulons culpabiliser les électeurs du FN, jeunes ou moins jeunes, parce qu’il faut les sensibiliser au fait que ce qu’ils ont fait est proprement scandaleux. Les stigmatiser un instant ne leur fera pas de mal, surtout quand on voit à quel point les militants FN prennent un malin plaisir quand il parlent entre eux** à stigmatiser les Juifs, les Arabes ou toutes autres minorités qui les dérangent de part leurs différences, sans que plus personne ne s’en émeuve alors que c’est intolérable. Ce n’est donc que justice que de dire non à la xénophobie et aux xénophobes. Néanmoins, il ne faut pas tomber dans l’exagération de l’intellectuel sans souci qui se permet de juger les autres - pas les militants FN de base, mais les plus démunis, les exclus, les contestataires et les désespérés de la politique qui ont voté pour Le Pen - mais il faut les détourner de leur bêtise momentanée et leur redonner un véritable espoir qui réponde à leurs préoccupations : leur faire comprendre pourquoi il faut maintenant voter François Hollande. Sans tomber dans une culpabilisation démagogique (et c’est difficile), leur faire désavouer cette abjection monumentale qu’est le fait d’être allé voter Marine Le Pen et leur faire comprendre qu’ils peuvent permettre à la France retrouver une justice sociale, une conscience morale et une dignité sur la scène internationale en votant Hollande, en votant pour le PS. À défaut de pouvoir se racheter une conscience, ils peuvent se racheter une citoyenneté. Nous appelons tous les désespérés de France qui ont voté FN, à ne plus jamais réitérer envers eux-mêmes cette négation de leur propre humanité.
Pour toute personne à qui il reste de la dignité et de l’espoir, c’est là que se trouve le combat : - rendre les idées frontistes d’extrême droite inacceptables, faire retourner le FN à moins d’à 1% des voix, exiger une démocratie réelle qui mette les bons sujets au cœur des débats (exemple : qui ne se laissent pas abuser par des propos ridicules auxquels on ne doit accorder aucun crédit comme ceux sur la viande hallal), et qui de ce fait, ne laissera plus rien à dire au FN, qui fondamentalement n’a rien à dire.- remettre à leur place les politiques de la droite classique qui se soucient uniquement de la surenchère économique et ce faisant restent dans leur bon droit. L’UMP n’a d’ailleurs strictement rien d’autre à dire que : « désolé, l’économie gouverne, il faut s’y plier… », ce que bien entendu il faut refuser radicalement.- rendre les idées de gauche à la gauche humaniste et socialiste que représente notamment le PS, renouer avec les véritables valeurs qui nous conduiront au changement et qui nous permettrons de déjouer la morosité et de redonner sa chance à l’intelligence humaine tout simplement.
* Cf. Boltanski Luc, Rendre la réalité inacceptable** Cf. Vidéo du site des jeunes du FN qui se moquent des immigrés et des socialistes (ex : le lien présenté par le petit Journal lorsqu’il avait invité Marine Le Pen sur son plateau pendant la campagne pour lui montrer l’attitude haineuse de ses militants)
Contrepoint : Tout est normal
Par Mc Finky
Quoi de neuf en ce lendemain de premier tour ? La montée du FN ! « Mon Dieu ! », « Au loup ! », « Les fascistes sont dans la place ! », « La peste brune est de retour ! » : telles sont les exclamations que l’on entend ici et là chez tous les « vrais » démocrates. Cependant, il vaudrait mieux s’exclamer d’une manière plus posée : « Encore ? ». Telles les marronniers de l’actualité qui ressassent les mêmes événements chaque année à la même période, la montée du FN est le fait marquant de chaque élection. « Historique », tous n’ont que ce mot en bouche ; « nouveau » ne traduit que l’habituel ; « rien ne sera plus jamais comme avant » veut dire : « Non, non, rien a changé / Tout, tout a continué ». En somme, l’inattendu a encore frappé.1988, 1995, 2002, 2012 : Le FN monte, il monte, tellement même qu’il se situe toujours entre 14 et 18%. Le Pen obtient 4,3 millions de voix en 1988, alors que Le Pen obtient 6,4 millions de voix en 2012. Le corps électoral est passé de 38 millions d’inscrits à 46 millions dans le même temps. Le Pen millésime 2012 obtient un million de voix de plus que Le Pen grand crû classé 2002 (second tour), avec un corps électoral agrandi de cinq millions d’inscrits. Et 2007, accident de parcours ? Le siphon Sarkozy, épaulé par le plombier Buisson, est passé par là. Puis, selon le principe des vases communiquant, certains électeurs seraient retournés au bercail, préférant l’original à la copie : 2012, Sarkozy plus bas que cinq ans plus tôt ; 2007, Le Pen plus bas que cinq ans plus tard. Tout cela sans oublier les grands absents de cette année : le ménage ayant été fait à droite, seuls trois candidats se sont présentés, à savoir Sarkozy, Le Pen, Dupont-Aignan (DLR), alors que le casting était plus large à la précédente édition, rendant le résultat plus diffus. En 2007, nous avions eu droit à Nihous (CPNT) ainsi qu’à Philippe de Villiers (MPF). Que nous donne l’addition de 2007? A ma droite : UMP + FN + CPNT + MPF = 16,5 millions de voix. Puis 2012 ? A ma droite : UMP + FN + DLR = 16,8 millions de voix. Sans compter les électeurs centristes qui se promènent à droite, à gauche. Conclusion ? La France est un pays de droite. En somme, rien de nouveau.Mais alors, quoi ? Le FDG est à plus de 11%. Certes, moins que ce qu’annonçaient les sondages. Mais pour la première fois depuis plusieurs élections, le PCF va pouvoir rembourser ses frais de campagne : « Historique » ! A part ce fait marquant, la distribution des voix n’évolue pas énormément. Le second tour va se jouer entre le PS et l’UMP : comme d’habitude. Pourtant, il y a une crise majeure du système : montée du chômage et des inégalités, l’économie va mal, tous les discours annoncent des changements à venir, de grands bouleversements, des réformes, des modernisations. Mais au final, c’est un peu comme avant. La crise financière de 2008 est un fait marquant, or la crise de la société et les nouveautés qui doivent en résulter ne s’est pas déclenchée avec elle, car tout cela était déjà annoncé et visible avant. Le chômage date des années 1970 et 1980, la fracture social remonte à 1995, 2002 montre le spectre de l’insécurité, 2005 et sa crise des banlieues, 2007 et son président volontariste disant que tout devenait possible. Crise de la société ou société de crise permanente ? En somme, continuité et ruptures de façade.Restent la surprise, l’étonnement et l’incompréhension du vote FN, non pas à un instant T, mais à chacune de ses montées. Les vieux spectres du passé qui ressurgissent. Fameux tableau qui cache le fait que l’électorat traditionnellement à droite n’évolue pas énormément, il ne fait que passer d’une droite dite républicaine à l’extrême droite, et vice et versa, accueillant parfois de nouveaux venus. On peut certes se soucier de la banalisation d’un certain discours aux relents pétainistes (« vrai travail », « hiérarchie des civilisations », « assistanat », critique des « corps intermédiaires », etc.) qui abolit les frontières idéologiques. Mais la « surprise Le Pen », telle qu’elle est décrite dans les médias, ressemble à une blague de mauvais goût, surtout quand ce sont les mêmes qui, depuis un an, participent à l’acceptabilité d’un FN en relayant un visage qui se veut neuf (mais avec les mêmes personnes…). Or la surprise n’est pas de ce côté : elle se situe plutôt du côté de ceux qui ne connaissent pas ces électeurs, oubliant la France dite des oubliés le temps qui sépare deux scrutins, et qui s’étonne de les voir revenir tous les cinq ans. « Les gens sont-ils fous ? », « Ont-t-il mal voté ? », « Ces Français ne comprennent-t-ils donc pas qu’il n’est pas bon d’agir de la sorte ? » : voilà les interrogations habituelles qui ressurgissent à chaque montée du FN. Mais, le peuple étant souverain, la démocratie de peut accepter de tels jugements moraux : le bien et le mal n’entrent pas en compte quand le peuple s’exprime. D’autant que ces paroles sont contre-productives car, dès lors que la dédiabolisation s’opère, elles n’offrent qu’un argument de plus aux frontistes : « Regardez comment ces élites, ces urbains, ces bobos, ces bien-pensants parlent de vous, vous les petits ! ». Plutôt que de s’offusquer, plutôt que de jouer la morale, il faut jouer la démocratie : argument contre argument (i.e. Front contre Front.). La surprise, l’étonnement, la croix gammée que l’on agite, serait-ce avoir peur pour mieux se rassurer par la suite ? En somme, si tout ne va pas forcément bien, tout est normal…