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La limace et la hyène

Publié le 28 avril 2012 par Sylvainrakotoarison

La limace progresse lentement et mollement pour atteindre son but mûrement identifié alors que la hyène, dans un instinct de survie, tire sur tout ce qui bouge. Deux caractères diamétralement opposés, mais qui, finalement, volontairement ou pas, seront au service d’une même politique avec des différences seulement à la marge.

yartiDPDAZ03Avant-dernière ligne droite médiatique avant le second tour (la dernière étant le débat du 2 mai 2012 à 21h00), l’émission "Des Paroles et des actes" présentée par David Pujadas sur France 2 ce jeudi 26 avril 2012 a été particulièrement intéressante avec les interviews successives de François Hollande et Nicolas Sarkozy qui auraient donc pu se croiser. Ils s’étaient déjà rendus tous les deux le matin dans les locaux de Radio France, l’un pour France Info et l’autre pour France Inter.

Il est clair que la méthode pour faire campagne est très différente. François Hollande veut capitaliser son petit patrimoine électoral et sa position de favori dans les sondages en refusant de prendre un seul risque et en clivant le moins possible (même si cela lui arrive aussi), tandis que Nicolas Sarkozy, qui n’a plus grand chose à perdre, au contraire, saute sur toutes les occasions pour attaquer son adversaire, n’hésitant pas démarrer au quart de tour avant même de s’être assis.

J’ai pris donc (très subjectivement) quelques propos des deux candidats et je les ai commentés.

1. François Hollande

D’un naturel calme et studieux, François Hollande, à l’évidence, ne fait pas envie mais il ne donne pas non plus d’urticaire. Bref, il est un peu comme un passe-muraille qui ne devrait, le cas échéant, son élection que par défaut (ce qui augure de lendemains qui déchanteraient vite). Il y croyait tellement qu’il ne prenait plus de précaution oratoire : le mirage ne durera peut-être que dix jours, mais autant en profiter.

1.1. Cannabis (bravo !)

François Hollande a désapprouvé tant Eva Joly que son camarade François Rebsamen qui souhaitent la dépénalisation du cannabis : « Le cannabis doit rester un interdit. La pénalisation est nécessaire, tout comme la répression, par rapport au consommateur et aux trafiquants. ».

Le candidat socialiste a été très ferme sur le sujet, en rejetant tout signe qui encouragerait la consommation des drogues. Une position qu’il avait déjà adoptée lors de la campagne de la primaire socialiste mais qui montre aussi un caractère moins mou que décrit : François Hollande est capable de rester sur ses positions malgré les pressions de ses amis.

1.2. L’imposition à 75% (ouille !)

François Hollande a montré une seconde fois sa fermeté de position en confirmant sa volonté d’imposer à 75% les revenus supérieurs au million d’euros qu’il a justifiée par une idéologie anachronique (il a parlé de "valeurs" et de "principes"). Il a notamment expliqué aux artistes qui gagnaient beaucoup d’argent : « C’est normal en période de crise, de difficultés, d’être patriote (…). Vous nous donnez des spectacles formidables, mais vous vous rendez compte de la situation dans laquelle est le pays ? (…) Vous pouvez vivre comme cela sans considération de l’état du pays ? ».

Cet argument ne tient pas vraiment la route puisqu’il avait reconnu par ailleurs que cet impôt serait négligeable dans les recettes de l’État (or, le but de l’imposition n’est pas idéologique mais pour financer les dépenses publiques). Donc, impôt inutile issue sur une idéologie nauséabonde, celle basée sur la jalousie et la stigmatisation des riches (dont le candidat socialiste fait partie d’ailleurs, puisque, d’après la presse, il paierait l’ISF).

C’est d’ailleurs intéressant de revenir à l’annonce de ces 75%, puisque quelques semaines avant, il était contre cette mesure. Annoncée laborieusement le 27 février 2012 sur TF1 (François Hollande avait alors parlé à deux reprises de salaire supérieur à un million d’euros par mois et pas par an), la proposition avait été validée par François Hollande l’avant-veille (le 25 février 2012) au cours d’une réunion stratégique à laquelle ont participé Manuel Valls, Pierre Moscovici et Stéphane Le Foll. Jérôme Cahuzac le même soir sur France 2 avait feint d’en être surpris, pourtant, un proche du candidat socialiste a confirmé, selon Le Figaro du 14 mars 2012 : « Il [Jérôme Cahuzac] a été prévenu, on l’a appelé, il savait. (…) Il n’est pas plastique, Jérôme. Dans une présidentielle, il faut savoir faire preuve de plasticité. ».

Des surprises que les proches de Nicolas Sarkozy ont dû souvent connaître…

1.3. L’augmentation du coût du travail (ouille !)

Le journaliste François Lenglet a présenté à François Hollande un de ses fameux graphiques, celui sur le coût du travail en France qui a beaucoup grimpé pendant la dernière décennie. François Hollande a pris alors l’information au vol en ironisant : « Moi, j’aime beaucoup vos graphiques. Celui-là est passionnant ! Entre 2001 et 2011, le coût du travail a augmenté de 40% ! Et qui était au pouvoir ? La droite… ».

Sauf qu’il aurait dû être un peu plus prudent sur ce sujet, car ce qui a plombé le coût du travail, c’étaient justement les 35 heures décidées par le gouvernement Jospin et applicables à partir de 2001 ! La mauvaise foi n’a aucune limite, dans aucun camp.

1.4. Financement des prestations sociales (ouille !)

Le candidat socialiste a estimé que la protection sociale ne devait pas peser uniquement sur le travail (sur les salaires), ce qui paraît être de bonne logique. Mais il faut trouver de l’argent par ailleurs : « Nous devons changer le mode de financement de la protection sociale. (…) Nous allons prendre pour assiette l’ensemble de la richesse des entreprises, pas simplement le coût du travail, pour financer la protection sociale. ».

Et il a précisé qu’il voudrait en particulier taxer le capital, c’est-à-dire, les actifs d’une entreprise, considérant qu’il faudrait par exemple taxer les machines. Or, cette idée (qui est en fait le retour de la taxe professionnelle) est complètement anti-économique puisque encore une fois, que ce soient les salaires ou les immobilisations (les actifs), une telle taxe capterait de la trésorerie avant un éventuel bénéfice, ce qui handicaperait lourdement les entreprises.

1.5. Progression du chômage (ouille !)

C’est de bonne guerre mais cela a montré une fois de plus la malhonnêteté intellectuelle, François Hollande a fustigé son rival sur les derniers chiffres du chômage : « Il y a une progression du chômage considérable ces cinq dernières années, plus de 33%, et ça touche les jeunes et les seniors. Le constat est implacable : le Président avait dit qu’il voulait être jugé sur le chômage, il le sera. » sans mentionner une seule fois la profonde crise mondiale qui touche depuis quatre ans toute l’Europe et l’Amérique.

En revanche, il a eu raison de répliquer à son concurrent : « Je ne laisserai pas dire qu’il y a du vrai travail et du faux chômage. ».

1.6. Eurobonds (bravo !)

François Hollande a mis sur la table des négociations européennes les eurobonds qui est une mutualisation des emprunts avec cet argument : « Nous ne sommes pas n’importe quel pays, nous sommes un pays leader en Europe ! » et il n’a pas caché sa joie de voir des dirigeants européens reprendre son idée de pacte de croissance même s’ils ne parlent pas de la même chose que lui.

1.7. Premier Ministre

François Hollande a comme prévu refusé de dévoiler le nom de son éventuel Premier Ministre qui serait avec certitude socialiste mais il a donné des indications précieuses qui donneraient un avantage à Jean-Marc Ayrault sur Martine Aubry : quelqu’un « qui connaît bien le PS, qui connaît bien les députés et qui me connaît bien ».

1.8. Chasse aux centristes (bof !)

Sur la moralisation de la vie politique, François Hollande n’a rien ajouté de plus à ce qu’il avait déjà présenté dans son projet et surtout, il n’a pas repris l’élément clef de la réforme proposée par François Bayrou, celle de la nomination particulière du Ministre de la Justice ratifiée par une majorité qualifiée à l’Assemblée Nationale.


2. Nicolas Sarkozy

Face au caractère un peu ennuyeux de son rival, Nicolas Sarkozy est un homme qui ressemble plus à un enfant, plus coloré, qui agace ou qui amuse. Ce jeudi soir, Nicolas Sarkozy a plutôt réjoui les amateurs de bonne chair. Peu posé mais posant sans arrêt des pièges à son concurrent, le Président sortant a sorti des évidences ou des énormités et se moquait bien de la rigueur intellectuelle que ses prédécesseurs cultivaient avec jalousie. Il n’a pas raté une occasion d’enfoncer son adversaire, quitte à se retrouver dans une certaine impolitesse (parler du refus de débattre dès la première seconde !) et même enfant, il a été capable d’infantiliser parfois ses auditeurs, en disant par exemple : Bon, on vous donne une indemnité chômage, mais il faut aussi des devoirs.

2.1. Présomption de légitime défense pour les policiers (ouille !)

Quand Nicolas Sarkozy a détaillé un fait divers qui a abouti à la mort d’un délinquant par un policier et à la mise en examen de ce policier, c’est toute l’indépendance de la justice qui est mise en cause. En effet, il est scandaleux qu’un Président de la République en exercice soit capable de dire que le chef d’accusation du policier n’est pas acceptable : « Qu’il y ait une suspension, une mise en examen, c’est normal. Mais la qualification pour homicide volontaire choque beaucoup de policiers. ».

À chacun son boulot et à la justice de trancher, ce n’est pas le rôle du chef de l’État de le faire dans un État de droit.

Par ailleurs, reprendre une mesure de Marine Le Pen n’est jamais un argument sur la solidité de son propre programme.

2.2. Vrai travail (ouille !)

Nicolas Sarkozy a donné un vrai numéro de comique en regrettant l’utilisation d’une expression qui a fait polémique : « Le vrai travail n’est pas une expression heureuse, j’ai voulu dire une vraie fête du travail ! ». Au moins, on peut rigoler dans cette émission : Nicolas Sarkozy aurait-il donc plus d’humour que François Hollande ?

2.3. Aidez-moi ! (ouille !)

Les journalistes de France 2 ont fait le parallèle entre Nicolas Sarkozy qui a crié à dans plusieurs meetings : « Français, aidez-moi ! » et cette formule lancée déjà par De Gaulle. Nicolas Sarkozy a assuré qu’il n’avait pas fait le rapprochement et on sent un air de sincérité dans cette ignorance pourtant flagrante des discours du plus illustre de ses prédécesseurs. Pour un héritier du gaullisme, c’est un peu pitoyable…

Par ailleurs, comme un journaliste l’a fait remarqué, ce serait plutôt au Président de la République d’aider les Français, et pas l’inverse. Entre servir et se servir…

2.4. Campagne officielle (ouille !)

L’argument du candidat sortant sur le fait qu’il avait neuf candidats contre lui au premier tour est peu recevable puisque dans une compétition à dix, chacun est opposé aux neuf autres, donc, ce qui était valable pour Nicolas Sarkozy l’était tout aussi bien pour ses concurrents.

Ce qui fut encore plus contestable, c’est de s’en prendre au principe d’égalité des temps de parole en montrant une très grande condescendance vis-à-vis des petits candidats, en citant même Jacques Cheminade qui parlait de ses explorations martiennes qui avait le même temps de parole, un dixième, que lui, Président de la République en exercice. Eh oui, le principe d’égalité des candidats est absolument nécessaire dans un exercice sain de la démocratie.

2.5. L’encadrement des loyers (bravo !)

Nicolas Sarkozy a été très convaincant sur sa proposition de reprendre le dispositif allemand d’encadrement des loyers tout en critiquant la loi de 1948 : « L’encadrement des loyers, on l’a connu en 1948 ; ça s’est traduit par le célèbre appel de l’abbé Pierre en 1954. ». Il a dit vouloir maintenir la liberté des loyers mais qu’un juge puisse le cas échéant le rabaisser en cas de trop grand écart avec le marché.

2.6. Énergie nucléaire (bravo !)

Nicolas Sarkozy a fait mouche en insistant sur le coût et la pollution des énergies fossiles comme le pétrole, le gaz ou le charbon afin de valoriser l’importance de l’énergie nucléaire dans les atouts de la France. Et pour bien se faire comprendre, il a même félicité François Mitterrand, modèle gestuel de son rival socialiste, qui a accepté l’énergie nucléaire : « Est-ce que vous pensez qu’il est normal de supprimer le nucléaire quand le prix du pétrole s’envole ? Je ne fermerai pas les centrales nucléaires. Rendons hommage à M. Mitterrand : les deux tiers des réacteurs ont été mis en service à son époque. ». Le nucléaire était l'un des thèmes majeurs du débat présidentiel du 2 mai 2007.

2.7. Chômage et formation professionnelle (ouille !)

Sans parler de l’infantilisation de l’argumentaire, Nicolas Sarkozy n’a visiblement aucune idée de ce qu’est le chômage avec son système de formation pour de nouveaux métiers et d’obligation d’accepter un emploi dans cette nouvelle branche. Ni les journalistes qui l’entouraient et qui ne semblaient pas plus connaître ce genre de situation. Car faudrait-il qu’une personne qui a une maîtrise de lettres, par exemple, et qui n’a pas d’emploi, accepte une formation et un emploi de plombier, activité trop rare quand on en a besoin ? Est-ce cela une société de liberté ?

Il a également, comme à son habitude, opposé travail et assistanat : « La question du travail est absolument centrale. Le travail doit toujours rapporter plus que l’assistanat. » comme si les chômeurs et autres prestataires sociaux étaient a priori des profiteurs du système.

2.8. Premier Ministre

Nicolas Sarkozy a été un peu plus précis sur le choix de son futur Premier Ministre. En disant déjà qu’il avait choisi mais que l’heureux bénéficiaire n’était pas au courant, et aussi : « Il faut un Premier Ministre qui ait une certaine expérience. ». On pourrait donc penser à Jean-Louis Borloo, Alain Juppé ou encore (pourquoi pas ?) Jean-Pierre Raffarin.

Match nul

C’est un peu l’impression qu’il ressort de cet speed-dating un peu plus long que normal (environ trois quarts d’heure chacun), un match nul où chacun maîtrisait parfaitement sa partition : calme plat pour ne pas faire venir la tempête chez l’un, éclairs et tonnerre à chaque question pour chasser les nuages chez l’autre.

Le débat du 2 mai 2012 sera probablement décisif pour Nicolas Sarkozy, s’il veut inverser la tendance des sondages.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 avril 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Le bilan de Nicolas Sarkozy.
François Hollande cherche-t-il aussi les voix du FN ?
Quel futur Premier Ministre ?
Vers un pacte de croissance ?
Résultats du premier tour.

yartiDPDAZ02 

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-limace-et-la-hyene-115676




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