L’insécurité culturelle est-elle de droite ?

A l’issue du 1er tour, tout le monde s’accordait sur l’échec relatif de Mélenchon à séduire les catégories populaires, au contraire du Front National (et non pas de « Marine », résistons à cette édulcoration mensongère).

Comment expliquer ce paradoxe, alors que le programme du Front de Gauche développait une réflexion très poussée sur l’exploitation des classes populaires, et sur les moyens politiques et économiques d’en sortir ? Plus globalement, comment expliquer que, dans un contexte de grave crise économique et écologique, près de 50% de l’électorat se porte sur des candidats mettant autant en avant les questions de l’immigration, des valeurs, et de l’identité française ?

Plusieurs analystes pointent le fait que la gauche n’a pas intégré cette dimension pourtant essentielle du vote protestataire : il ne s’agit pas que de revendications matérielles (un emploi, un logement, des transports, etc.), mais aussi de l’expression d’un malaise plus diffus.

Entre l’insécurité économique et sociale (crise économique, chômage de masse, précarité), et la progression du multiculturalisme (mondialisation, immigration, transformation de la culture « à la française »), les classes populaires auraient ainsi tendance à considérer que l’ouverture des frontières serait la cause de leurs problèmes. Répondre aux attentes du « peuple » consisterait donc certes à leur apporter des réponses matérielles, mais aussi de leur garantir une sécurité « culturelle ».

C’est là que la réflexion devient intéressante.

1. Si la gauche se refuse à aborder cette dimension culturelle du malaise social, est-ce parce qu’elle considère que cette question est sans objet ? Qu’il ne s’agit que d’une manipulation d’une droite néoconservatrice désireuse de faire oublier son bilan économique et social ? Dans ce cas, pourquoi la gauche est-elle incapable de recueillir les suffrages des milieux populaires, alors que ses propositions leur sont logiquement plus favorables que celles des partis de droite ?

2. Considérons que l’insécurité culturelle n’est pas qu’un fantasme, mais qu’il s’agit d’une réalité vécue au quotidien par des millions de gens. Dans ce cas, existe-t-il une réponse politique de gauche à ce problème ?

Autrement dit, la gauche se situe face au dilemme suivant :

• Soit elle pense que la mondialisation heureuse est possible, qu’il s’agit de la réguler pour qu’un jour les inégalités se réduisent enfin… et que les classes populaires ne se sentent plus en insécurité culturelle… et arrêtent donc de voter Front National

• Soit elle admet que la société ouverte et mondialisée est encore pour longtemps porteuse de changements et d’adaptations permanents, d’inégalités et donc d’exclusions, avec forcément des réactions hostiles à l’étranger et à l’autre… et dans ce cas elle aurait intérêt à d’urgence construire une vision et un discours qui intègrent ces perceptions, et leur apportent de véritables réponses politiques de gauche… pour ne pas laisser le champ libre à ceux qui ne croient plus en la République et aux valeurs qu’elle défend depuis 1945.