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Fête du travail ?

Publié le 01 mai 2012 par Raphael57

 

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Jamais un 1er mai n'aura été autant politique qu'en 2012 ! Par-delà les traditionnels défilés des syndicats, dont je vais parler ci-dessous, on trouve cette année deux défilés très politiques :

* d'une part celui du Front National en l'honneur de Jeanne d'Arc, qui se terminera place de l’Opéra par un double discours de Jean-Marie le Pen, à l'occasion du 600e anniversaire de la Pucelle d'Orléans, et de Marine le Pen, en sa qualité de chef de parti politique.

* d'autre part celui de l'UMP place du Trocadéro à Paris, au nom de la fête du "vrai travail (sic !), de ceux qui travaillent dur, de ceux qui sont exposés, qui souffrent, et qui ne veulent plus que quand on ne travaille pas on puisse gagner plus que quand on travaille".

Ce défilé voulu par le Président-candidat a de quoi retenir l'attention, tant il pourrait donner lieu à de magnifiques sujets de dissertation aux rares concours de la fonction publique à défaut de la princesse de Clèves.

En effet, n'est-il pas surprenant, voire incongru, de faire défiler des militants et partisans politiques un jour traditionnellement dévolu aux forces syndicales ?

Sujet de dissertation : un défilé politique le 1er mai n'est-il pas un détournement de fonction ?

De plus, on peut s'interroger quant à la symbolique d'un défilé organisé par le pouvoir exécutif : celui-ci n'est-il pas en quelque sorte le début et la fin du processus législatif, notamment en matière de droit du travail où sa volonté s'impose plus que de raison en France ?

Sujet de dissertation : quelle place le pouvoir exécutif doit-il jouer dans le droit du travail ?

Ou bien faut-il y voir une attaque contre les syndicats et plus généralement contre les corps intermédiaires ?

Sujet de dissertation : les corps intermédiaires ont-ils une utilité politique et sociale ?

A moins que ce ne soit une énième façon de battre le rappel autour du thème de "la lutte contre l'assistanat" ?

Sujet de dissertation : la solidarité peut-elle encore exister dans un État en crise ? Sujet alternatif : gouverner, est-ce diviser ?

Bref, on ne comprend pas très bien ce que les politiques viennent chercher ce 1er mai, si ce n'est à faire le plein de voix dimanche prochain. Mais lorsque les mots sont galvaudés (valeur, travail,...) et que les mémoires se brouillent, il est indispensable de revisiter notre histoire pour y trouver des clés de compréhension du présent.

Tout d'abord, il est utile de rappeler que c'est le 30 avril 1947 que le gouvernement décida de faire du 1er mai un jour férié et payé, sans qu'il soit fait référence à une fête, ce qui signifie que l'appellation Fête du Travail n'est que coutumière ! Le 1er mai fut certes un jour désigné comme Fête du Travail et de la Concorde sociale, mais sous Vichy le 24 avril 1941...

Cette date du 1er mai s'inspire en fait des grèves et négociations du 1er mai 1886, qui débouchèrent sur une limitation de la journée de travail à huit heures aux États-Unis. C'est en 1889 que la deuxième Internationale socialiste réunie à Paris se donnera pour objectif la journée de huit heures, puisque jusque là le temps de travail habituel était de dix à douze heures par jour. Et pour marquer cette revendication, il fut décidé d'organiser une grande manifestation à date fixe (le 1er mai...) dans le but de faire entendre la même revendication de réduction du temps de travail dans tous les pays !

C'est ainsi qu'est née la Journée internationale des travailleurs également appelée Fête des travailleurs, avec un premier défilé le 1er mai 1890, où les ouvriers firent grève et défilèrent avec le célèbre triangle rouge à la boutonnière qui symbolisait les 3 grands tiers de la journée : travail, sommeil, loisir. Pour l'anecdote, il faudra attendre le 23 avril 1919 pour que le Sénat français impose une limite de travail à 8 heures par jour...

Enfin, puisque nous sommes en si bon chemin semé d'embûches, regardons ce que l'histoire peut nous apprendre sur le traitement du chômage au XIXe siècle. Après la révolution de février 1848, trop souvent oubliée par les Français et dont la déflagration se fit pourtant sentir partout en Europe, le gouvernement provisoire de la IIe République créa les Ateliers nationaux dans l'idée de procurer aux chômeurs de Paris un petit revenu en contrepartie d'un travail. A ce moment on ne peut que faire le parallèle avec des considérations très actuelles évoquées plus haut...

Mais nous allons rapidement voir que l'expérience des Ateliers nationaux conduisit à un désastre politique et social. En effet, l'Assemblée nationale, forte d'une majorité de notables provinciaux très méfiants à l'endroit des ouvriers, décida que les Ateliers nationaux ne devaient se voir confier aucun travail susceptible de concurrencer une entreprise privée ! Ils devinrent donc de facto condamné au supplice de Sisyphe (d'autant que le nombre de chômeurs qu'ils emploient augmente de façon vertigineuse) : abattre des arbres sains pour leur substituer de nouveaux arbres provenant des pépinières nationales, dépaver les rues pour ensuite les repaver à nouveau, etc.

Les Ateliers nationaux sont ainsi vus comme une poudrière d'ouvriers révolutionnaires et un gouffre économique par nombre de parlementaires, opposés à toute forme d'intervention de l'État dans le domaine économique et dans la régulation des relations patrons/salariés. Surtout,  rentiers et bourgeois de l'Assemblée se sentent offusqués de devoir entretenir avec l'argent public un nombre croissant de chômeurs employés par ce qu'ils surnomment désormais les "râteliers nationaux", considérant qu'une telle aide relève plutôt de la charité privée.

La Commission décide donc, le 20 juin 1848, la suppression des Ateliers nationaux, espérant au passage calmer les velléités révolutionnaires des ouvriers. 120 000 ouvriers furent dès lors licenciés par les Ateliers nationaux, ce qui déboucha sur de violentes émeutes de la faim que l'on appelle les journées de juin et une répression brutale.

En définitive, l'histoire nous rappelle que la question du travail et de sa valeur a souvent été traitée de manière partisane par le pouvoir politique, afin de satisfaire aux intérêts d'une minorité de riches faiseurs... Ce n'est donc pas en mélangeant les genres lors de défilés du 1er mai que l'on sortira par le haut d'une situation où le marché du travail se grippe tous les jours un peu plus sous l'air interdit des uns et des autres !


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