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Et au milieu poussera une ville…

Publié le 16 mars 2008 par Anne-Sophie

Au nord-est de l’Espagne, le projet d’un complexe géant de jeux et de parcs d’attraction devrait bientôt voir le jour. Les écologistes et les habitants s’inquiètent pour l’équilibre de la région.

C’est au cœur des Monegros, une sierra désolée adossée aux Pyrénées aragonaises, que le promoteur international ILD a choisi de bâtir un complexe touristique d’un nouveau genre. Gran Scala, c’est son nom, se veut être une sorte de petit Las Vegas européen, avec 32 casinos et maisons de jeux, 70 hôtels et plus de 200 restaurants. Le projet, qui s’étendra sur 2025 hectares, inclura également six parcs à thèmes, dont un dédié au sacro-saint football, un hippodrome et plusieurs golfs. Présenté à l’occasion de l’Exposition universelle de Saragosse en septembre 2007, Gran Scala a été voté par le gouvernement d’Aragon le 12 décembre dernier. Montant de l’investissement prévisionnel : 17 milliards d’euros, au bas mot. Le projet a été vanté comme “nécessaire et indispensable” pour le désenclavement économique de la région. Il est vrai que l’Aragon reste l’une des provinces les moins développées d’Espagne: son PIB ne représente qu’un peu plus de 3 % de la richesse du pays. L’arrivée de Gran Scala est attendue pour générer, d’après ses promoteurs, pas moins de 60 000 emplois et attirer à terme 45 millions de touristes chaque année. Des chiffres jugés irréalistes par de nombreux spécialistes, qui constatent un désintérêt croissant pour ce genre de destination et craignent une qualité insuffisante des emplois à pourvoir.

Aragon Richard G

Un environnement riche et fragile

Face à l’ampleur du projet, de nombreuses voix se sont aussi élevées pour pointer les incidences sur l’environnement. Les promoteurs défendent l’idée d’un complexe “écologiquement responsable”, en évoquant la réalisation d’un tramway à l’énergie solaire à l’intérieur de Gran Scala. Mais l’Aragon souffre aussi d’un manque d’eau récurrent et l’on voit mal comment un tel centre, comparable à une ville de cent mille habitants, pourra répondre à ses besoins sans puiser une partie de l’eau de l’Ebre, un fleuve déjà très affaibli par l’irrigation. Le désert des Monegros est aussi un site d’intérêt faunistique majeur. Son relief et sa végétation steppique en font l’un des derniers bastions pour des espèces d’oiseaux très menacées à l’échelle européenne voire mondiale: l’Outarde canepetière, le Ganga cata, le Sirli de Dupont (une alouette éteinte depuis 2004 en Catalogne) et l’Aigle de Bonelli trouvaient jusque là l’isolement et l’espace nécessaires à leur survie. Même si la construction de Gran Scala n’empiètera pas directement sur les principales zones de reproduction des oiseaux, les nuisances sonores, l’aménagement des voies d’accès et la pression foncière nouvelle vont forcément mettre à mal ces populations fragiles.

Débat démocratique confisqué

Ces arguments n’ont pas entamé l’enthousiasme de José Angel Biel, le vice-président du gouvernement autonome d’Aragon. Accusé de ne considérer le projet qu’en termes financiers, sans égard aux conséquences environnementales, paysagères et humaines, Biel s’est dit prêt à faire modifier la loi sur les jeux de hasard actuellement en vigueur pour permettre à Gran Scala de fonctionner. Un argument supplémentaire pour nourrir la contestation: le collectif Stop Gran Scala et le parti Izquierda Unida dénoncent les agissements du gouvernement régional, coupable selon eux de “diriger l’économie de l’Aragon vers la mono-activité du jeu au détriment de l’agriculture, de l’industrie et d’un tourisme à taille humaine”. Aucune étude d’impact n’a été pour l’instant officiellement menée, alors que les habitants réclament un véritable débat démocratique autour de ce sujet. Seule l’Union des consommateurs aragonais a publié un rapport sur les effets possibles de Gran Scala. Dans sa première version, celui-ci déplore justement l’absence dans le dossier d’éléments techniques et de données précises.

Prudente, l’association s’inquiète aussi des distorsions probables entre les discours officiels sur le développement durable et les effets pervers d’une telle cité artificiellement bâtie. Entre temps, le gouvernement central vient de voter les enveloppes budgétaires régionales. En déclarant prioritaires au développement les provinces de Teruel et Huesca, il permet à celles-ci de bénéficier de subventions couvrant jusqu’à 35 % de leurs dépenses d’investissement. Gran Scala, qui doit s’implanter sur la province de Huesca, reçoit ainsi un coup de pouce du gouvernement de Zapatero… Ce qui fait dire à beaucoup que l’affaire est pliée. Reste à ILD le soin de trouver les terrains nécessaires pour bâtir la ville de jeux. Le promoteur, qui veut poser la première pierre dès la fin de l’année, espérait négocier l’hectare à 3000 euros. Il doit faire face à des propriétaires fonciers particulièrement gourmands, qui en réclament cinq fois plus.

Auteur: Richard Gonzalez, du merveilleux blog Avant la Lettre, qui vient de rejoindre l’équipe d’Ecolo-Info pour vous faire partager de temps à autres ses belles photos et sa sensibilité sur les problématiques qui nous entourent…


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