C'était un coup dur, et symbolique.
Nicolas Sarkozy était à Toulon pour son dernier meeting de campagne et dénoncer les « tribus » et le droit de vote
des immigrés. François Bayrou était à Paris, à la même heure, pour dénoncer cette « course vers l'extrême droite » et la chute des valeurs.
Il ne s'agissait plus de gauche ou de droite, du Parti socialiste ou d'ailleurs.
Il s'agissait de virer Nicolas Sarkozy.
Pour tous et pour chacun.
Après, nous pourrions reprendre une activité normale.
Bayrou avait choisi.
Le leader centriste expliqua pourquoi il fallait
voter contre Nicolas Sarkozy. Contre Sarkozy, son appel était républicain, sincère,
personnellement risqué. Il ne donna aucune consigne générale à ses 3 millions d'électeurs du premier tour. Mais il énonça un réquisitoire sans appel sur les outrances extrémistes et hors sol de
Nicolas Sarkozy. Il fallait l'écouter ou le relire, pour comprendre combien Sarkozy avait rompu avec la conception européenne et républicaine que ce faisait François Bayrou de notre avenir
collectif.
« Nicolas Sarkozy, après un bon score de premier tour, s’est livré à une course-poursuite à l’extrême droite dans laquelle nous ne retrouvons pas nos valeurs, dans laquelle ce que nous croyons de plus profond et de plus précieux est bousculé et nié dans son principe. L’obsession de l’immigration dans un pays comme la France, au point de présenter dans son clip de campagne un panneau « Douane » écrit en Français et en Arabe, qui ne voit à quels affrontements, à quels affrontements entre Français, cela mènera ? L’obsession des « frontières » à rétablir, comme si elles avaient totalement disparu et que nous y avions perdu notre âme, qui ne voit que cela conduit à la négation du projet européen auquel le centre et la droite, autant que la gauche modérée, ont donné des décennies d’action et de conviction ? Et quant à l’idée que l’école, ce devait être l’apprentissage des frontières, qui ne voit que c’est une déviation même de l’idée d’école, qui est faite au contraire pour que s’effacent les frontières entre les esprits, entre les consciences, entre les époques ? »
Même Jean-Luc Mélenchon,
lucide mais vigilant, fut satisfait.
Le référendum anti-Sarkozy pouvait-il enfin avoir lieu ?
Sarkozy avait subi
La journée du Monarque avait mal commencé, ce jeudi 3 mai. Le matin, la presse, même de droite, s'interrogeait sur son ...
échec de la veille, face à François Hollande. Il avait tant promis, pour ce débat, qu'il avait déçu. Pour les plus
lucides, même dans son camp, il avait été fébrile, hargneux, fatigué, désarçonné.
Puis vint l'autre coup, son ancien conseiller de Neuilly-sur-Seine,
Thierry Gaubert. Accusé de détournement de fonds du 1% patronal quand il oeuvrait à la tête d'un Comité interprofessionnel du logement (CIL) dans les Hauts-de-Seine, quand Nicolas Sarkozy était
encore maire, Gaubert a été jugé coupable d'abus de
biens sociaux et condamné à 10 mois de prison avec sursis.
Il y eut aussi cette autre mauvaise nouvelle. Le fâcheux journal Mediapart, qu'il avait qualifié d'officine en début
de semaine, avait ajouté un autre témoignage à charge contre Nicolas Sarkozy. Mediapart avait publié une lettre d'un dignitaire libyen promettant 50 millions d'euros de donation au candidat
Sarkozy pour sa campagne de 2007. L'auteur, incarcéré au Royaume Uni, et le destinataire, protégé d'Interpol par les autorités françaises, avaient nié avoir écrit/reçu ce courrier. « Le
gouvernement libyen a indiqué que c'était un faux, le traducteur de M. Kadhafi a indiqué que c'était un faux, le destinataire du fameux virement a indiqué que c'était un faux. Qui croit à de
pareilles fadaises? » déclara Sarkozy jeudi. Mais l'avocat de
l'ex-Premier ministre libyen, jeudi, avait contredit la thèse officielle le jour même: « le marché a été conclu par Moussa Koussa sur instruction de Kadhafi et assuré que des documents
attestant de la transaction existent ». Patatras ! L'avocat donna une conférence de presse pour confirmer la chose.
Le soir, il était sur CANAL+. L'émission avait été
enregistrée, pour lui permettre d'aller à Toulon. Il ne put réagir à la déclaration, vers 19h20, de François Bayrou. Quelle malchance ! Comment avait-il trouvé le débat ? « C'est trop chaud
» répondit-il à Michel Denisot. « La vie, elle est faite pour des combattants, des lutteurs ». Vraiment ? Quelle vision darwiniste...
Sarkozy caricature
Plus tard, à 18 heures, Nicolas Sarkozy retrouvait une scène qu'il appréciait. Un meeting dans une ancienne ville frontiste,
devant des militants survitaminés. Quelques-uns de ces derniers avaient été motivés par la succession d'attaques de leur mentor contre les médias qu'ils se retournèrent contre l'équipe de BFM-TV
présente sur place. La station d'information d'Alain Weil avait pourtant choisi de couvrir ce dernier meeting sur place, dans la salle. Et dans la salle, en fin de meeting, une grosse vingtaine
de supporteurs s'arrêtèrent devant la scène pour invectiver et cracher sur Ruth Elkrief et Thierry Arnaud, les deux journalistes.
Mais qui pouvait croire que BFM-TV était une « radio rouge » ?
Plus tôt, le spectacle était dans la salle, sur l'estrade. « Vous êtes le peuple de France qui veut rester debout !
»
Nicolas Sarkozy sombrait encore dans la caricature. Il dénonça la France des « tribus » et pire encore: « Dans
les années 1980, il a fallu deux ans pour que la situation devienne intenable, aujourd'hui il faudrait deux jours. Deux jours d'illusion pour des années de souffrance». «Deux jours de
mensonges, et des années pour régler la facture, voilà le projet socialiste. (...) Depuis quatre ans, le monde est au bord d'un gouffre, la moindre erreur peut nous faire basculer.» Nous
l'avions vu. Nicolas Sarkozy parlait-il de lui, de son paquet fiscal désastreux pour les finances publiques, contreproductif pour l'emploi.
Il pensait encore qu'il était le seul légitime. L'homme aux 500
milliards d'euros de dettes n'avait pas d'autre argument que la peur: « Ce n'est pas le moment de tenter des expériences folles, c'est le moment d'être responsable, sérieux. C'est le moment
de regarder la réalité en face ».
Il pensait encore que la France silencieuse allait démentir les sondages. Il avait peut-être raison. Il fallait rester
lucide. L'électorat était volatile. « Au moment d'aller voter, elle se déplace en masse. voici le temps du sursaut national ! »
« C'est avec ces mots innocents que nous allons construire cette immense vague qui va submerger ceux qui ne comprennent rien
à la France »
Sarkozy nous ressortait l'argument de la « vraie » France contre la « fausse ». C'était triste, presque
indigne pour le débat démocratique.