Magazine Journal intime

Placard

Par Eric Mccomber
Quand j'ai compris que je venais de passer très près de mourir, mais surtout, que j'étais loin d'être tiré d'affaires, deux regrets sont venus me serrer la poitrine. Le premier, je n'y peux rien, ce sont les mômes. Faute de me faire greffer un utérus et en attendant qu'Apple en manufacture des versions USB, je n'ai qu'à avaler l'amère pilule et grimacer dans la sérénité.
 Le second regret est celui de mon patrimoine musical. Celui-ci est, par flemmardise, découragement, manque de soutien, absence de moyens et autres tracasseries, dans un état de délabrement inouï. Depuis des années, ça me chicote, ça me tire derrière. C'est-à-dire que mis à part quelques disques rares et moyennement réussis, j'ai une colline, que dis-je, une montagne, de chansons inédites qui trainent et ramassent la poussière. C'est le lot de toute personne pratiquant son art, me direz-vous. Soit. Cependant, contrairement aux textes qui encombrent ma voute littéraire, les chansons qui s'entassent dans le placard sont actuellement inintelligibles. Sans vouloir me perdre dans les dédales d'explications techniques, disons que plusieurs centaines de ces morceaux (voire des milliers) ont été terminés, mais jamais enregistrés et n'ont pas fait l'objet d'une partition.
Dans presque tous les cas, la musique est entièrement arrangée, mais en fichiers MIDI (une sorte de rouleau à piano des temps modernes), la mélodie est notée sous forme d'un instrument générique, les paroles sont dans un vieux fichier à part (souvent en Clarisworks, argh !) et tout ça a immédiatement du sens pour moi dès que j'en lis le titre, mais pour tout autre être humain, fusse le plus habile des compositeurs arrangeurs du globe, c'est une poubelle sans queue ni tête. Par exemple, de nombreux morceaux apparaissent avec seize pistes de « piano ». Qui comprendra que les six premières sont de la batterie (oui, ce do# 5 obstiné est un hit-hat sur la tranche !), les deux suivantes des basses, etc ? Pardonnez-moi cette interminable explication.
Pour faire court, pendant mon séjour aux soins intensifs, je me suis dit que ça serait bien de m'attaquer, au moins à titre de passe-temps étrange, au projet de documenter ces pièces. Je n'ai pas dans l'idée d'en faire des disques, ne serait-ce que parce je suis rendu ailleurs au plan de mes envies esthétiques (j'ai d'abord voulu être The Wall à la place de Waters, puis Passion à la place de Gabriel, puis Talk Talk à la place de Lanois). Mais j'ai tout de même l'intention de laisser derrière moi un lot de morceaux qu'on puisse écouter.
Ça tombe fort bien, comme je passe une grande partie de mes semaines dans d'atroces souffrances (je vous expliquerai), ce type de boulot m'occupe complètement la tête et fait en sorte que je ne songe plus à rien. Je plonge pour des dizaines d'heures dans mes vieilles programmations de batteries et de pianos, puis je rajoute une ou deux petites grattes (alors que jadis je devais attendre des mois que les gratteurs daignent se magner). Ça me permet de réaliser à quel point j'ai fait souffrir mes innombrables guitaristes, avec des putains de chansons en fa# ou en mi∂. Pardonnez-moi, Adi, Jacques, Marc, Matt… Je ne voulais pas vous tordre les doigts.
Je vais acquérir un micro pas trop pourri (ou un pote m'en prêtera un) et je vais glisser des pistes de voix là-dessus. Sans trop y passer la vie, non plus. C'est-à-dire que quelque part, je crois que le destin de quelques unes de ces pièces pourrait sans doute d'être reprises par d'autres. En tout cas, ça sera plutôt de l'ordre du « rough », de la maquette, du démo ambitieux, que du produit fini. Qui sait, si un jour ma guigne me largue, une maison sérieuse (ou cinglée) investira peut-être les trois sous qui manquent pour qu'on fasse de tout ça un truc qui se tient. Y en aura bien pour cinq disques compacts, minimum. Ah, ah, ahrrr.
En attendant, j'y consacre mes jours et mes nuits, j'oublie mes tortures, et ça, moi, pour l'heure, ça me tient en vie.© Éric McComber

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