
Revenons sur ce 1er tour, à un cheveu des résultats du second, sur ces enseignements probables. Avec tout d’abord, il est vrai, cette image de Nicolas Sarkozy – un classique du genre, depuis l’élection au suffrage universel direct -, à savoir celle du candidat dans sa voiture, suivie et harcelée par les motards, image à priori sans grand intérêt, sauf que comme d’autres chroniqueurs, à l’image de Vincent Parizot et Monsieur Zemmour, au micro de RTL. Et au lendemain du 1er tour, en tout cas, après des sondages concordant, favorables à François Hollande, alors que Nicolas SArkozy s’est vu légèrement distancée dans les urnes (à 27,3 % contre 28,3 % pour Hollande). On se dit ainsi, que la comparaison de leurs actions pourrait même déboucher sur un destin commun.
Au soir du 1er tour de 2007, Nicolas Sarkozy s’était balladé dans les rues de Paris, les fenêtres de sa voiture largement ouvertes, la main saluant les passants, comme Jacques Chirac en 1995, mais après le second tour. Car lors du soir du 1er tour, Nicolas Sarkozy avait déjà gagné et il le savait. Cinq ans plus tard, sa voiture filait dans Paris, toutes fenêtres fermées. Il avait perdu, et sans doute, il le savait. Il était le premier président de l’histoire de la Ve République, qui ne sortait pas en tête du 1er tour. Bien-sûr, il mènerait un ultime combat, avec toute l’énergie dont il était capable, l’énergie du désespoir. En 2007, Sarkozy avait accouché d’une nouvelle synthèse de droite, à la fois libérale et colbertiste, européenne et patriote. Il avait arraché de nombreux électeurs du FN, en parlant sans tabou d’immigration. Cette fois-ci encore, c’est une nouvelle droite qui est née, mais contre lui. Sarkozy était le seul garant de l’UMP, il est le point d’intersection de ce rassemblement hétéroclite, entre gaullistes, libéraux, et centristes. Sarkozy éventuellement vaincu, Sarkozy éliminé de la vie politique, ce qui ne serait pas sans conséquence pour la droite. L’UMP serait au bord de l’implosion, tiraillée entre centristes réunis autour du tandem Borloo-Morin, libéraux en perte de vitesse et le sulfureux Jean-François Copé, et les députés de la droite populaire. Il semblerait qu’entre la droite populaire et les centristes, arc-boutés sur leurs valeurs républicaines à tout-va, il n’y a pas grand-chose de commun.
En effet, il est certain que les 18 % de Marine Le Pen vont exercer une pression électorale, idéologique et politique sur l’UMP. Electorale avec les législatives et la multiplication des triangulaires, idéologique sur les questions d’immigration bien-sûr, mais aussi sur l’Euro et l’europe. Il est probable que le Front national changera bientôt de nom, pour montrer qu’il s’éloigne de ses sources sulfureuses d’extrême-droite. Il sera très difficile aux modérés de l’UMP, de Juppé à Nathalie Kosziusko-Morizet, de rester avec une base, qui voudra se rapprocher de Marine Le Pen et de ses thèses. Il faut quand même, que dans les années 80, le programme du RPR était très proche de celui du Front national. Il est vrai, à l’époque, il y avait l’UDF. Oui, on peut, en effet, envisager une grande réunion des centres, qui ressusciterait la défunte UDF. Alors les modérés – dont nous avons parlé -, modifieront les centristes, qui se réuniraient derrière François Bayrou, dont le score à un chiffre, contraindra de rentrer à la maison, c’est-à-dire au centre-droit. Dans un parallèle intéressant à établir, à plusieurs reprises, auront par ailleurs été évoqués les points communs entre Nicolas Sarkozy et Valéry Giscard d’Estaing. Et au lendemain du 1er tour, après des sondages concordant, favorables à François Hollande… En tout cas cela se jouera, au second tour, certainement dans un mouchoir de poche, ça ne sera vraisemblablement pas du 45 / 55 %, comme l’avait prévu les sondages, cela paraît certain que Nicolas Sarkozy tentera de conjurer la malédiction Giscard, jusqu’au bout, il songera qu’ils n’ont rien à voir, pas la même allure, pas la même personnalité, pas le même monde. Jusqu’au bout, il se dira que sa campagne fut beaucoup plus combattive, que ne le fut celle de son illustre prédécesseur, confiné dans ses hautaines certitudes.
Pourtant lui aussi, aura joué son va-tout, un brin désespéré, sur le débat de l’entre-deux-tours. Sarkozy aura même été – ironie du sort – jusqu’à reprendre, il est vrai, un des slogans de campagne de Giscard, « Une France forte ». Pour finir comme il avait commencé, sous les auspices giscardiennes de la jeunesse, les deux seuls quinquagénaires de l’histoire de la République à l’Elysée. Giscard descendait les Champs-Elysées à pied, quand Giscard faisait la fête au Fouquet’s. Photographié en famille, Sarkozy a même fait un enfant à l’Elysée. On appelait l’un VGE, l’autre Sarkozy. Dans une approche sémantique caractérisée et significatrice, l’ère des sigles, des abréviations, du mythe américain, désacralisation du monarque républicain, mais aucun des deux hommes, n’a compris et assimilé, détail important, que les Américains avaient Dieu au-dessus de leur tête, alors que nous, Français, n’avons de sacré que notre République. Giscard se rêvait en Kennedy, Sarkozy a promis à Cécilia, puis à Carla, qu’elle serait sa Jackie. Giscard prenait des bains dans une piscine avec Gerald Ford, Sarkozy mangeait des hot-dogs avec George Bush. C’est amusant, « Giscard s’était rabiboché avec l’Amérique », après les grandes ruptures gaulliennes, pour pousser la comparaison zemmourienne, sur sa chronique radio matinale (RTL), Sarkozy a réintégré l’OTAN et a satellisé notre politique étrangère, contrastant avec le seul point fort chiraquien, ses positions diplomatiques courageuses, sur la non-intervention en Irak. Giscard a préparé la monnaie européenne, processus repris puis achevé, mené à bien par Mitterrand / Delors ensuite, Sarkozy a tout fait pour la sauver. Tous deux ont ouvert leur mandat, au centre-gauche, là où leur électorat ne les attendait pas nécessairement, par des mesures libérales et libertaires, et ils l’ont tous deux achevé à droite. Ils l’ont tous deux commencé par une relance budgétaire et fini par la rigueur. C’est égalemetn Giscard, qui le premier parlait d’identité nationale, proposa la loi du retour aux immigrés – sabordée par Mitterrand, en 1983 -, après leur avoir, il est vrai, permis le regroupement familial.
Et à l’époque, ce fut aussi son ministre de l’intérieur, qui tenta de concilier sécurité et liberté. Ils ont tous deux rendu inutiles leur premier ministre, et ils ont tous deux, été incapables de s’en défaire, Raymond Barre, Jacques Chirac ou François Fillon. Giscard aura nommé les premières femmes ministres de la République. Sarkozy y a jouté la diversité. Sarkozy, plus encore que Giscard, a fait de son gouvernement une distribution, pour ne pas employé l’anglicisme « casting ». Sur le fond, Giscard par exemple, voulait rassembler deux Français sur trois, gouverner au centre. Oui, mais tous deux ont fait l’ouverture à gauche, très fiers de décrisper la vie politique nationale, et tous deux ont rendu furieux leurs électeurs à droite. En 1981, comme aujourd’hui, les ministres de l’ouverture les ont trahis. Ils ont subi tous deux, une terrible crise économique, pétrolière pour l’un, financière pour l’autre. La courbe du chômage est montée, leur courbe de populairté a plongé. Tous deux avaient tous les talents, tous les dons. Lors de leurs élections, ils avaient tous deux dépassé brillamment les 30 %des suffrages, au 1er tour. Ils semblaient irrésistibles, invincibles. Quand François Mitterrand fut choisi contre Michel Rocard, par les socialistes, en 1980, Giscard sabla le champagne. Sarkozy exulta, lorsque DSK dut céder sa place à François Hollande. Alors, en cette incroyable soirée électorale, chaque camp en sort bouleversé. La gauche retrouve – selon tous les pronostics, et toute vraisemblance -, le chemin du pouvoir, qu’elle avait abandonné, il y a plus de dix-sept ans. Son étiage est remonté à plus de 40 %, mais Jean-Luc Mélenchon n’est pas parvenu à renverser la table, à rassembler, au-delà des communistes, toutes tendances confondues. La droite réinvente son plus vieux clivage, entre une droite bonapartiste et une droite orléaniste, une droite populaire, patriote, étatiste, et une droite plus bourgeoise, plus libérale, plus europenne.
Tous les efforts de Sarkozy pour se réattirer les électeurs de Le Pen n’ont pas cette fois suffi. On peut penser d’ailleurs, que l’annonce faite par Juppé, de l’arrivée de Bayrou à Matignon, à quelques peu décontenancé les électeurs tentés par le discours droitier de Sarkozy, a réveillé leurs craintes d’être une nouvelle fois trahi. Il est vrai, depuis un siècle, ces deux droites – la bonapartiste et l’orléaniste -, s’affrontent, mais s’allient aussi parfois pour gouverner. En tout cas, un nouvel épisode de cette histoire mouvementée, commence aujourd’hui.
J. D.
