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Chroniques cérébrales…

Publié le 08 mai 2012 par Loreline123

931740-1104834Il n’est pas un livre sur le cerveau aujourd’hui qui ne commence par évoquer la longue marche de la neurologie. Sans forcément remonter à Hippocrate ou Galien, et en commençant au XVIII siècle, il est utile de rappeler que cette science s’est spontanément accouplée à ce qu’on pourrait appeler d’un ton grand seigneur « la neurophilosophie ». L’euphorie matérialiste du XVIIIème siècle annonce en effet le projet d’une naturalisation moderne de l’esprit, dont le livre de Jean Pierre Changeux, L’homme neuronal paru en 1983 prolonge le projet. Rappelons donc que Julien Offray de La Mettrie a écrit une Histoire naturelle de l’âme en 1745, et qu’une certaine forme de réductionnisme, ne faisant aucune différence entre le psychique et le cérébral, a eu déjà le vent en poupe au siècle des Lumières. Georges Canguilhem, lui, fait commencer la science du cerveau en 1810 avec la publication du livre de Gall Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau en particulier. Le point fort de la doctrine de Gall, c’est l’exclusivité reconnue à l’encéphale, et particulièrement aux hémisphères cérébraux, comme « siège » de toutes les facultés intellectuelles et morales. La phrénologie de Gall est, d’ailleurs, une quasi cranioscopie. Gall et ses disciples soutiennent l’innéité des qualités morales et des pouvoirs intellectuels. Il fut un temps où on riait de la bosse des mathématiques, alors que l’on paraît moins disposé, ces temps-ci, à rire des chromosomes de surdoués ou de l’hérédité génétique du quotient intellectuel.
 
Sans parler de l’usage immodéré d’expressions – je l’ai entendu ce matin – telles : « code génétique des japonais », l’ADN idéologique de Monsieur Machin etc…
C’est tout le mérite de Patrick Davous qui fut chef de service en neurologie – et excellent médecin - de ne pas tomber dans ce réductionnisme. L’auteur est un spécialiste. Mais son livre – Le nouveau totem (1) -  s’adresse vraiment à chacun de nous. La retraite a du bon lorsqu’elle est mise au service de l’expérience et de la transmission. Le nouveau totem est une introduction attrayante au domaine souvent ésotérique de la neurologie contemporaine. C’est la folle histoire des recherches et découvertes scientifiques menées sur le cerveau. C’est l’illustration convaincante que la neurologie permet d’aborder simplement la complexité des fonctions cérébrales : mouvement, mémoire, langage. Ces brèves chroniques du cerveau parlent de tout : de Charcot, de Changeux, des neurones, des neurotransmetteurs, des IRM. Elles parlent du cerveau machine, du cerveau qui parle, qui met le corps en mouvement, qui mémorise, s’émeut, rêve, et enfin qui pense. On peut contester cet ordonnancement, par exemple, on ne comprend pas bien pourquoi le cerveau machine aborde Mesmer et son magnétisme et non la question de l’Intelligence Artificielle, mais je dirais que ce livre a les qualités et les défauts d’une chronique. Le défaut de « la pensée chronique ».
 
Repose en effet sur l’illusion de croire qu’en additionnant des chroniques, on constitue un livre, c’est-à-dire une argumentation. La chronique raconte des histoires, mais n’argumente pas un problème. Reste que les problèmes peuvent se loger entre les chroniques. Ce qui est le cas ici.
  
Il existe différentes manières de penser le cerveau. Aujourd’hui, par exemple, on ne se demande plus « quelle est la place de l'âme dans le cerveau ? » mais « quelle est la spécialisation fonctionnelle de certaines aires du cortex cérébral ? ». En bon neurologue, à la question « où réside l’intelligence ? » l’auteur répond dans le cerveau (p. 303). Mais il existe aussi une définition externaliste de l’intelligence qui place celle-ci non pas dans les cerveaux, mais entre eux, dans les artefacts, les mnémotechniques. L’auteur à la vérité délimite bien son terrain. Il n’est pas aveugle à la philosophie, mais il ne déborde pas de ses compétences. Un exemple : rares sont les neurologues qui dans le débat entre Changeux le neurologue et Ricœur le philosophe, donne raison au second qui affirmait : « Mon cerveau ne pense pas ». Concluons donc sur cette remarque de l’auteur : « Que des savants d’aujourd’hui cherchent à être les philosophes de demain peut se comprendre. Il est cependant à craindre que la philosophie n’ait rien à y gagner et les neurosciences non plus » (p. 317). 
(1) Patrick Davous, Le nouveau totem, Petites chroniques du cerveau, Seuil, 21 euros.

Pour aller plus loin : Article source ici.


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