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Jean, je voudrais tellement t'annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai...

Publié le 09 mai 2012 par Guy Deridet

Une lettre de Philippe Torreton à Jean Ferrat. Merci à Patrick pour cet envoi.


Jean, je voudrais tellement t'annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai... Jean,

J'aimerais te laisser tranquille, au repos dans cette terre choisie. J'aurais aimé que ta voix chaude ne serve
maintenant qu'à faire éclore les jeunes pousses plus tôt au printemps, la preuve, j'étais à Entraigues il n'y
a pas si longtemps et je n'ai pas souhaité faire le pèlerinage. Le repos c'est sacré !

Pardon te t'emmerder, mais l'heure est grave, Jean. Je ne sais pas si là où tu es tu ne reçois que le Figaro
comme dans les hôtels qui ne connaissent pas le débat d'idées , je ne sais pas si tu vois tout, de là haut,
ou si tu n'as que les titres d'une presse vendue aux argentiers proche du pouvoir pour te tenir au parfum,
mais l'heure est grave!

Jean, écoute-moi, écoute-nous, écoute cette France que tu as si bien chantée, écoute-la craquer, écoute
la gémir, cette France qui travaille dur et rentre crevée le soir, celle qui paye et répare sans cesse les
erreurs des puissants par son sang et ses petites économies, celle qui meurt au travail, qui s'abîme les
poumons, celle qui se blesse, qui subit les méthodes de management, celle qui s'immole devant ses
collègues de bureau, celle qui se shoote aux psychotropes, celle à qui on demande sans cesse de faire des
efforts alors que ses nerfs sont déjà élimés comme une maigre ficelle, celle qui se fait virer à coups de
charters, celle que l'on traque comme d'autres en d'autres temps que tu as chantés, celle qu'on fait
circuler à coups de circulaires, celle de ces étudiants affamés ou prostitués, celle de ceux-là qui savent
déjà que le meilleur n'est pas pour eux, celle à qui on demande plusieurs fois par jour ses papiers, celle de
ces vieux pauvres alors que leurs corps témoignent encore du labeur, celles de ces réfugiés dans leurs
propre pays qui vivent dehors et à qui l'on demande par grand froid de ne pas sortir de chez eux, de cette
France qui a mal aux dents, qui se réinvente le scorbut et la rougeole, cette France de bigleux trop
pauvres pour changer de lunettes, cette France qui pleure quand le ticket de métro augmente, celle qui
par manque de superflu arrête l'essentiel...

Jean, rechante quelque chose je t'en prie, toi, qui en voulais à D'Ormesson de déclarer, déjà dans le
Figaro, qu'un air de liberté flottait sur Saigon, entends-tu dans cette campagne mugir ce sinistre Guéant
qui ose déclarer que toutes les civilisations ne se valent pas? Qui pourrait le chanter maintenant ? Pas le
rock français qui s'est vendu à la Première dame de France.

Ecris nous quelque chose à la gloire de Serge Letchimy qui a osé dire devant le peuple français à quelle
famille de pensée appartenait Guéant et tout ceux qui le soutiennent !

Jean, l'huma ne se vend plus aux bouches des métro, c'est Bolloré qui a remporté le marché avec ses
gratuits. Maintenant, pour avoir l'info juste, on fait comme les poilus de 14/18 qui ne croyaient plus la
propagande, il faut remonter aux sources soi-même, il nous faut fouiller dans les blogs... Tu l'aurais
chanté même chez Drucker cette presse insipide, ces journalistes fantoches qui se font mandater par
l'Elysée pour avoir l'honneur de poser des questions préparées au Président, tu leurs aurais trouvé des
rimes sévères et grivoises avec vendu...

Jean, l'argent est sale, toujours, tu le sais, il est taché entre autre du sang de ces ingénieurs français.
Lajustice avance péniblement grâce au courage de quelques uns, et l'on ose donner des leçons de
civilisation au monde...

Jean, l'Allemagne n'est plus qu'à un euro de l'heure du STO, et le chômeur est visé, insulté, soupçonné. La
Hongrie retourne en arrière ses voiles noires gonflées par l'haleine fétide des renvois populistes de cette
droite "décomplexée".

Jean, les montagnes saignent, son or blanc dégouline en torrents de boue, l'homme meurt de sa fiente
carbonée et irradiée, le poulet n'est plus aux hormones mais aux antibiotiques et nourri au maïs
transgénique. Et les écologistes n’en finissent tellement pas de ne pas savoir faire de la politique. Le paysan est mort et ce n’est pas les numéros de cirque du Salon de l’Agriculture qui vont nous prouver le contraire.

Les cowboys aussi faisaient tourner les derniers indiens dans les cirques. Le paysan est un employé de
maison chargé de refaire les jardins de l'industrie agroalimentaire. On lui dit de couper il coupe, on lui dit
de tuer son cheptel il le tue, on lui dit de s'endetter il s'endette, on lui dit de pulvériser il pulvérise, on lui
dit de voter à droite il vote à droite... Finies les jacqueries!

Jean, la Commune n'en finit pas de se faire massacrer chaque jour qui passe. Quand chanterons-nous "le
Temps des Cerises" ? Elle voulait le peuple instruit, ici et maintenant on le veut soumis, corvéable,
vilipendé quand il perd son emploi, bafoué quand il veut prendre sa retraite, carencé quand il tombe
malade... Ici on massacre l'Ecole laïque, on lui préfère le curé, on cherche l'excellence comme on
chercherait des pépites de hasards, on traque la délinquance dès la petite enfance mais on se moque du
savoir et de la culture partagés...

Jean, je te quitte, pardon de t'avoir dérangé, mais mon pays se perd et comme toi j'aime cette France, je
l'aime ruisselante de rage et de fatigue, j'aime sa voix rauque de trop de luttes, je l'aime intransigeante,
exigeante, je l'aime quand elle prend la rue ou les armes, quand elle se rend compte de son exploitation,
quand elle sent la vérité comme on sent la sueur, quand elle passe les Pyrénées pour soutenir son frère
ibérique, quand elle donne d'elle même pour le plus pauvre qu'elle, quand elle s'appelle en 54 par temps
d'hiver, ou en 40 à l'approche de l'été. Je l'aime quand elle devient universelle, quand elle bouge avant
tout le monde sans savoir si les autres suivront, quand elle ne se compare qu'à elle même et puise sa
morale et ses valeurs dans le sacrifice de ses morts...

Jean, je voudrais tellement t'annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai...

Je t'embrasse. Philippe Torreton

P.S. : Il y a un copain chanteur du Président de la République qui reprend du service dans la grande
entreprise de racolage en tout genre et qui chante à ta manière une chanson en ton honneur. N’écoute
pas, c'est à gerber.

N.D.L.R

Jean ne reviendra pas. Mais Sarkozy non plus. Maigre consolation.

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