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Sécurité intérieure : La grogne policière, hier, aujourd'hui...demain

Publié le 10 mai 2012 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Ces dernières semaines, le débat public a logiquement été centré autour des enjeux électoraux, un sujet en effaçant un autre. Quoiqu'essentiel, il est bon de sortir de ce moment pour accorder plus d'attention aux sujets de fonds, dont on peut déplorer qu'ils aient été survolés dernièrement.

A TB, nous avons fait partie des premiers à le relayer activement.

Ce sujet, c'est la grogne au sein de la police. Une colère dont je sais qu'elle couve, à la manière d'un feu de tourbe…

Police.jpg

Entre les deux tours de l’élection présidentielle, il en est un qui est parvenu à faire parler de lui durant quelques jours. Une prouesse dans un moment où les informations ont une durée de vie qui se calcule en heures....

Je le sais car j'ai passé de nombreux mois à côtoyer les policiers, lors de réalisation de films documentaires. Durant ces moments, je me suis immergé pleinement dans cet univers. Et le moins que l'on puisse dire est que les enseignements que j'en ai tiré sont bien loin des images d’Épinal entretenues par le journalisme dit "news", avide de simplification et autre manichéisme....

Mais revenons aux raisons qui ont fait que d'un feu de tourbe, la grogne policière ai éclaté un peu partout en France.


Dans la nuit du 21 au 22 avril dernier, alors que les Français s’apprêtent à voter pour le premier tour de l’élection présidentielle, Amine Bentousi, sous le coup d'un mandat d’arrêt, est tué par un fonctionnaire de police, à Noisy-le-Sec (1)

Rapidement, une source policière, présente peu de temps après sur les lieux, me fait le récit des événements tels qu'ils sont présentés par les fonctionnaires de Police et les témoins sur place.

Vers 20h30 ce samedi, Amine Bentousi est signalé et se retrouve face à une patrouille de police et ses trois fonctionnaires. Alors que ceux-ci veulent l'interpeller, il leur envoie une grenade à plâtre qui par chance n'explosera pas. (Il faut savoir que ces munitions d'exercice ne sont pas sans risque, comme tout instrument à détonation)

Dans le mouvement, une policière se blesse pour tenter de l'éviter (à ma connaissance, aucun média n'a relayé le fait que ce fonctionnaire féminin, fortement choquée, a été contrainte à une interruption de travail)

Tout de suite, Amine Bentousi tente de s'échapper et un policier part "à la courette" derrière lui. Il est rapidement distancé.

En même temps, le troisième policier, qui est aussi le chauffeur du véhicule, décide de couper la course du fuyard en le prenant à revers.

Cette technique s'avère "payante" car il coupe effectivement la course de Bentousi. Mais celui-ci est armé d'un pistolet et menace le policier. Le policier sait aussi que son collègue ne va pas tarder à arriver derrière le malfrat. Les sommations ne sont pas entendues, des coups de feu retentissent, Bentousi tombe. Il décédera dans la nuit suivante…

La mort d'un homme est toujours une tragédie. Mais dans ces circonstances, devons-nous être étonné de cette issue dramatique ?

Le 24, un article du Parisien nous en dit un peu plus sur le profil de Bentousi, délinquant multirécidiviste, il avait à son palmarès de nombreux vols à main armée et autres vols avec violence. Il avait même le titre de plus jeune incarcéré de France, à 13 ans... (2)  

Le policier auteur des coups de feu est, selon la procédure, mis en examen.

Il dit avoir agi en état de légitime défense. Il lui est objecté que la balle qui a tué Bentousi l'a atteint dans le dos et que cela remet en cause la notion de légitime défense.

L'argument du policier est que le projectile mortel est un éclat de balle. Pour connaître le métier des armes, c'est un argument que l'on ne peut repousser d'un effet de manche.

Qui plus est dans de telles circonstances (Je veux dire par là que pour celui qui a l'expérience du climat d’insurrection larvée en Seine-Saint-Denis et qui connaît la sensation d'avoir une arme chargée pointée sur lui et ses camarades), les événements dramatiques de Noisy-le-Sec n'ont rien d'étonnant.... 

Le mercredi 25 avril arrive donc la journée où le policier mis en cause doit se voir signifier les charges qui pèsent contre lui, au Tribunal de Grande Instance de Bobigny (TGI 93).

Dès la matinée, je sens qu'une vague est en train de monter. Des SMS circulent très tôt entre policiers, appelant à un rassemblement d'envergure devant la Direction territoriale de la sécurité Publique en Seine-Saint-Denis (DTSP 93)

Il faut rappeler qu'une guerre sourde oppose le TGI 93 aux fonctionnaires de police du département. Ceux-ci ayant l'impression que leur travail est systématiquement nié par le parquet. 

J'ai moi-même vécu l'incompréhension des décisions prises par ce TGI : Lors de la réalisation d'un documentaire sur les phénomènes de violence urbaine, j'ai assisté en live au vol avec violence d'une femme seule par un jeune délinquant multirécidiviste.

J’ai vécu avec les policiers cette sensation de satisfaction du devoir accompli lorsque le voyou a été appréhendé...jusqu'à ce qu'une semaine plus tard, je retrouve, stupéfait, ce même "jeune" à nouveau arrêté, dans le même commissariat. (Vous pouvez regarder ce documentaire sur TB).

Que cela voulait-il dire ? Aucune disposition n'avait été prise pour entraver la lente glissade de ce délinquant vers la radicalisation. Rien n'avait été fait pour empêcher que d'autres citoyens soient durablement traumatisés par ces agissements...

Comprenez-moi bien, je n’émets pas de jugement de valeur sur les solutions proposées, je constate seulement, amer, qu'aucune solution ne sont proposées. La société étant apparemment condamnée à souffrir cette situation. Par cet exemple concret, vous commencez peut être à saisir que le mal être policier n'a pas commencé à Noisy-le-Sec... ce dramatique événement n'est que le détonateur d'un problème infiniment plus général..

Mais revenons à cette fameuse journée du 25 avril. 

Le procureur requiert à l'encontre du fonctionnaire... chacun sait qu'il est très rare que le juge d'instruction (JI) dépasse ces réquisitions... c'est pourtant ce qui va se passer. Le JI retiendra la charge d'homicide volontaire... Que cela signifie-t-il ? Le JI retient que le policier a tiré délibérément pour tuer, insinuant ainsi une intention coupable.

Si nous analysons les circonstances, on peut raisonnablement envisager que le policier a craint pour sa vie et celle de ses collègue et ai agi en conséquence. Encore une fois, pour être en mesure de sentir cela, il est préférable de savoir de quoi on parle....

A partir de là, les choses accélérèrent très vite. Des centaines de policiers de Seine-Saint-Denis s'étant entre-temps déplacé devant le TGI. La colère fulminant, une chose extraordinaire allait se passer : plusieurs dizaines de voitures de police décidant de se déplacer vers la capitale... direction les Champs-Élysées, mais surtout la Place Beauvau, siège du Ministère de l'Intérieur (Situation, décrite ICI en live).

Observez attentivement la conversation du journaliste BFM avec le délégué SGP Police ce soir-là. Il ne comprend rien. Comment décrypter cela ? Laissez-moi vous donner un élément de compréhension. Fût un temps où les rédactions pouvaient compter sur des journalistes spécialisés dans des domaines bien précis. Aujourd'hui, les journalistes-reporters d'images (JRI) sont les "bonnes-à-tout-faire" de l'information, moyen en tout, bon en rien....je peux témoigner, pour avoir travaillé au sein d'une rédaction, de cette paupérisation aussi bien matérielle qu'intellectuelle. (++Des chaînes "tout info" bien peu dérangeantes, par Marc Endeweld -Le Monde diplomatique-) 

Nous pointons donc ici un deuxième motif du profond mal-être policier. Ils ont la sensation de ne pas être compris. Mais comment pourrait-il en être autrement si les journalistes censés informer sur ce sujet n'ont qu'une culture faites de clichés ? 

Ici est le sujet. Si les policiers manifestent, ce n'est pas, comme il a été induit dans l'esprit des citoyens par une presse irresponsable, pour réclamer "un droit de tuer".

Ils défilent sur les Champs-Élysées car ils n'en peuvent plus d'avoir la sensation d'être toujours montré du doigt par la société.

Ils font hurler leurs sirènes devant le TGI 93 car ils aimeraient ne plus voir les mêmes délinquants faire des aller-retour éclair et se radicaliser chaque jour un peu plus. Observez la séquence de mon documentaire où un ancien, proche de la "quille", prévient ses cadets : "je ne serais plus là pour le voir, mais vous viendrez patrouiller ici en blindé". 

Ils font la grève du timbre-amende car ils savent que la "politique du chiffre" ne fonctionne pas. (Lire l'ancien commandant de police Serge Supersac (3)

Ils tentent de manifester devant le ministère de l'Intérieur pour qu'il entende que la révision générale des politiques publiques (RGPP), voulant de façon dogmatique qu'un fonctionnaire sur deux ne soit pas remplacé, ne peux être appliquée de façon aveugle à une corporation dont l'activité est de risquer sa vie quotidiennement. 

Avec l'énergie du désespoir, ils veulent faire comprendre à la société qu'ils sont un de ses membres. Ces dernières années, nous avons beaucoup parlé, avec raison, des suicides au sein de grandes entreprises privées Qui sait qu'il y a une semaine, un jeune gardien de la paix de la Compagnie de Sécurisation de Seine-Saint-Denis s'est donné la mort ? Mes pensées vont à sa famille, ses amis et à ses collègues (Sur la condition policière, il faut lire le livre de Marc Louboutin "Métier de chien"). 

Alors allez-vous me dire, où en sommes-nous quinze jours après l’étincelle qui a mis le feu aux poudres ?

Il ne s'est pas passé un jour sans une manifestation policière spontanée :

- Le 26 avril, des policiers du 93 débutent une grève du "zèle" :

http://www.liberation.fr/societe/2012/04/26/des-policiers...

- Le 2 mai, Manif à Nanterre :

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/05/02/97001-201205...

- Le 3 mai, 400 policiers manifestent en Aquitaine :

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/05/03/97001-201205...

et à Pau :

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2012/05/03/pau-mani...

- Le 4 mai, manif à paris :

http://www.leparisien.fr/faits-divers/affaire-de-noisy-le...

- Le 9 mai, manif à paris et Nice :

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/05/09/97001-m20120... 

Ces quelques coupures de presse ne sont que la face émergée de l'iceberg, il y a des mouvements de protestation quotidiennement à travers la France : Nantes, Nice, Evry, Lyon... Car le mouvement est national et bien souvent spontané. C'est à dire qu'il a quitté le lit syndical depuis bien longtemps. Les policiers font circuler des chaînes de SMS qui font rapidement le tour de France et les débrayages n'en sont que plus imprévisibles. 

Venons-en donc à la situation aujourd'hui, jeudi 10 mai. Le syndicat SGP Police appelle à un mouvement national.

Vous allez me dire très bien. Mais il y a un "hic", cet appel ne concerne que SGP, de sensibilité plutôt à gauche. Demain, c'est au tour d'Alliance, le syndicat teinté à droite, d'organiser "son" mouvement national. Vous avez bien lu, alors qu'à la base, les fonctionnaires s'entendent pour manifester leur mécontentement, les deux syndicats majoritaires sont incapables de s'entendre sur une journée d'unité.

Je ne suis pour ma part pas étonné. Ayant entrepris de donner la parole à des responsables syndicaux au lendemain du mercredi 25 Avril, j'ai pris contact avec l'un d'entre eux. Un échange téléphonique passionnant s'en suivit. Ma déontologie personnelle m'interdisant la retranscription d'interview sur le vif, je proposai à mon interlocuteur de répondre à une interview écrite. Ainsi, il serait certain d'être rigoureux dans ces réponses.

Quelle ne fût pas ma surprise le lendemain lorsque je découvrais les réponses, rédigée par un autre, dans une langue de bois que ne renierait pas le plus rodé des politiciens. Bien entendu nous vous avons fait grâce de cette prose lénifiante. (A ce propos, d'anciens policiers, tel Bénédicte Desforges, ont la dent bien plus dure que moi : http://police.etc.over-blog.net/)

De toute façon les syndicats ont rapidement été débordés par la vivacité de la base. Les centrales s'étant rapidement contentées de l'os qu'on leur avait donné à ronger (4). Ils oubliaient seulement ce que j'ai modestement tenté de vous faire comprendre dans ce texte.

Le malaise policier n'a pas commencé à Noisy-le-Sec. Il était présent bien avant et je l'ai senti violemment. Il se manifeste quotidiennement. Et il continuera à s'amplifier si la société continue à le nier.

Pascal DUPONT

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Notes :

(1) Lien : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/04/22/97001-201204...

(2) Lien : http://www.leparisien.fr/maison-rouge-77370/le-caid-de-me...

(3) Lien : http://insecurite.blog.lemonde.fr/2012/04/30/un-ancien-co...

(4) Lien : http://www.liberation.fr/societe/2012/04/26/le-policier-o...


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