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Le Prog ? Réponse à Mighty Mel

Par Eric Mccomber
Taxonomie du prog
Le rock progressif était l'expression d'une certaine liberté créatrice empoignée par une catégorie de musiciens dont les ambitions au plan de l'invention et l'épanouissement au niveau des idéaux n'étaient pas étanchés par la dose normale des autres chapelles du rock et qui ne se reconnaissaient pas d'affection particulière pour l'esthétique très peu virile du jazz sophistiqué.
 Surtout, c'était une catégorie de création musicale qui offrait à ses adhérents beaucoup de liberté en leur permettant de piger ça et là dans les genres et les styles pour se monter des cocktails de saveurs et des éventails de pratiques pour le moins éclectiques. Santana y a inséré la bossa et la salsa, Pink Floyd de grosses doses de blues, Genesis des pages de folklore briton mêlées à du classique, Yes leurs hosties de prétentions à la vitesse et leur vacarme insoutenable, Steely Dan des accords de jazz et des rythmes de funk, Blood Sweat & Tears les cuivres fifties mêlés au hard rock, Doobie Brothers le hard et la tradition du Sud, Emerson, Lake & Palmer le contemporain russifiant, King Crimson en un premier temps les explorations de Karl Orff et par la suite les textures enchevêtrées de Steve Reich, etc.  
Petits Assassinats entre amis
 Il fallait impérativement tuer le progressif au tournant des années 80, pour de multiples raisons. Des tueurs à gages ont étés embauchés partout, de Rock n'Folk et Cream à l'Hebdo de Sainte-Patate-les-Truites pour ridiculiser toute teinte, tout clin d'œil, toute velléité de sophistication musicale (autre que synthétique), exactement comme leurs descendants d'aujourd'hui sont en place pour se moquer de quiconque refuse d'avaler tout rond les versions officielles de l'assassinat de Kennedy, du 11 septembre ou de la mise à la retraite de Ben Laden.
Mais pourquoi tant de haine ? Primo, c'étaient, avec les chanteurs folk engagés (également sur la hit-list), les véritables tenants du changement social et, comme ils étaient en général moins bêtes que les autres rockers (sauf quelques navrantes exceptions telles que Styx), on les trouvait plus difficiles à manipuler, à faire taire et à caser dans un coin. Par surcroit, ces musiciens, pour la grande majorité, se foutaient absolument de faire du fric ou de devenir des stars, mais étaient plutôt motivés par le projet créatif en tant que tel, ce qui les immunisait à toutes fins pratiques contre les pressions économiques que pouvaient exercer les labels de disque, qui ne sont rien de plus, on l'a finalement compris, que des banquiers habillés cool.
Secundo, justement, le grand rêve du banquier au vingtième siècle, aura été l'éradication des travailleurs. Cette aspiration fort légitime est un héritage des bonnes vieilles années de l'esclavage et, dans un monde aussi peu régulé que la musique, ces messieurs ont pu mener leurs projets à bien sans entraves, ou presque. Quelques empoisonnements bien ciblés, une ou deux balles de revolver, le contrôle des principaux médias et festivals, et hop, on zoome à 2000 où, miracle, les musiciens n'existent à peu près plus. Les slushfunds-labels de disques mettent désormais en marché un produit chimique qui n'a pas touché à la terre et n'a pas connu la pluie.
Les rares jeunes musiciens professionnels de talent qui n'ont pas envie d'obéir aux Oberfuhrers du Stalag-académie font des pubs de couches ou de pop-corn, s'expatrient dans des cirques ou deviennent gestionnaires de réseaux. Restent les vieux propriétaires de Trademarks qui tournent et tournent et tournent pour monnayer la plus-value de leur logo (Punk Floyd, Bowling Stones, Ygueulent) tout en rappelant au peuple comme c'était primitif et ringard à l'époque où les ancêtres devaient se faire des ampoules aux doigts pour mettre des pistes sur le ruban. Tching tching tching, le lambda reconnaît l'intro de sa toune et se craque les nodules en se brûlant le pouce avec son zippo.  
No Future
Y a plus qu'à s'extasier avec le reste de la foule amnésique sur les ersatz collés au fond de l'écuelle que sont Radio Head, Mika ou Cold Play, en l'occurrence, pilleurs de tombes d'anciens pharaons hégémoniques (surtout pas se faire chier à déterrer des trucs rares pour s'en inspirer comme Soft Machine, Little Milton ou PFM, non, faut copier les quatre premiers accords du plus gros hit jamais pressé).
 Bon, parmi tout ce désespoir, pour l'amateur de zique qui a gardé des oreilles (que sont les sonos hi-fi devenues ?), certains ont tenu le fort, bien sûr. On peut songer à Daniel Lanois (non, pas du prog pantoute, mais une sincérité et un amour de son art qui en font un des favoris des vieux grincheux irréductibles), à Joe Henry, à Eno, à Manu Chao, à toute une clique d'Africains qu'on garde à bonne distance (Ali Farka, Youssou, etc.), à Tom Waits, bien sûr (ce que la philosophie ayant engendré le prog accouplée à un cerveau peut produire de mieux), à Bowie — pourquoi pas et, de plus en plus, un peu partout dans les marchés régionaux, à l'apparition très récente de petits espoirs localisés (souvent désespérants au moment de connaître le grand public, mais comment les blâmer) comme Pierre Lapointe, Karkwa, Yodelice, Dominique A., Lisa Hannigan ou les milliers de jolis talents qui giclent sur YouTube (l'ami Gom en propose plein ses billets).  
En conclusion
Bref, voilà. Je regarde cette musique, celle d'Octobre, avec mes yeux de vieux guerrier qui a vu le feu et, malgré mon peu d'affection pour les disques de Pierre Flynn et ce qu'il a signifié par la suite, je reconnais là le projet fou d'une bande de jeunes artistes libres de penser et de s'éclater comme ils l'entendaient qui, de plus, avaient osé prendre un nom de groupe éminemment politisé et qui devait leur fermer une bonne moitié des portes qui autrement auraient pu les introduire dans les salons à moquette qui mènent aux piscines à putes, ce qui se fait foutrement rare de nos jours, à notre époque qui voit l'un de nos meilleurs auteurs-compositeurs-interprète fustiger ses fans et vendre l'un de ses plus émouvants morceaux à Coca-Cola. Argh.
 Voilà. Mais je dis ça vite, vite, comme ça.

© Éric McComber

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