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Colorblind

Publié le 11 mars 2008 par Gaspard_w

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L'appareil a traversé plusieurs couches nuageuses, j'ai agrippé l'accoudoir de mon siège.
Les roues ont touché le tarmac. Les portes vitrées se sont ouvertes à mon passage et je
me suis amusé de cette vapeur qui s'échappait d'entre mes lèvres à chaque expiration.
J'ai fixé le ciel gris, tenu ma veste fermée pour me couper du vent, autour de moi personne
ne souriait et trois cent soixante-cinq jours de soleil se sont dilués dans l'air glacé.

Il m'a fallu une heure pour devenir un Parisien comme les autres. Un costume sombre,
des converses, pas de sourire, une démarche pressée et on avance sans se soucier des autres.
À Bastille, je l'ai reconnue tout de suite.

Un type a voulu nous vendre un livre. Un guide pratique pour devenir un parfait salop.
Je n'ai pas pour habitude d'acheter des livres que je pourrais écrire moi même.
Je préférerais savoir comment on devient un mec bien.

J'ai dit "c'est bizarre d'être là tous les deux", elle était sûrement d'accord, elle n'a rien dit.
On a marché. Paris n'avait pas changé. J'ai compris que si je devais
rester un mois ici il faudrait que je reprenne contact avec certaines connaissances.
Elle devait penser pareil parce qu'elle a dit "Faudrait qu'on prenne du MDMA".
J'aime pas comme elle dit "MDMA", ça n'a plus rien de récréatif et c'est chiant. Je n'aime pas
comme elle est chiante parfois. Le reste j'aime bien.

À Saint-Paul, elle m'a pris le bras et je ne me suis pas inquiété de savoir si on pourrait nous voir.
Je l'ai serrée contre moi, elle m'a souri et s'il a commencé à pleuvoir, je n'ai rien remarqué.

Rue de Rivoli j'ai regardé ses yeux, et j'ai oublié mon île.

Sur l'île de la Cité je suis tombé amoureux et c'est la Thaïlande tout entière qui a disparu de ma
mémoire. Je lui ai pris la main, Elle a dit "si tu m'embrassais,  j'éclaterais de rire".
J'ai répondu "je suis sûr que non" mais j'ai quand même gardé mes lèvres loin des siennes.

De retour à Bastille, j'ai fini son verre, terminé ma vodka et ma tête s'est mise à tourner. Elle m'a
raconté sa vie et j'ai pensé que si je lui disais "je t'aime" cent fois par la pensée elle finirait pas
l'entendre mais elle a continué à parler et moi j'ai perdu le fil. Quand elle n'a plus rien eu à dire, 
on n'a pas eu de mal à laisser s'installer le silence.

Sous les néons glacés d'un couloir de métro, j'ai posé ma bouche sur sa joue puis sur son front
en la tenant par la nuque et en fermant les yeux quand mes lèvres se sont posées sur sa peau.
Elle a souri. Pendant un quart de seconde, il y a eu un flottement, un instant très bref où mon
visage est resté près du sien, bloqué entre deux mouvements. Finalement une seconde de plus
est passée sur ma montre et je lui ai tourné le dos.

En patientant sur le quai, les yeux collés au canal de la Bastille, je me suis demandé ce
qu'elle avait pensé de notre au revoir. Je me suis demandé ce que j'allais faire demain et combien
de temps il faudrait que je quitte Paris pour oublier la ville et pour pouvoir me perdre dans les rues.
Le métro est sorti du tunnel en poussant un vent glacé dans la station. Des visages derrière une
vitre et dans le vide entre les quais, l'ange de la Bastille perdu dans le ciel rose. Les portes se sont
ouvertes dans un soupir mécanique. J'ai mis mes mains dans mes poches avant de m'installer
dans la rame. J'ai regardé ma montre, au même moment le soleil se levait sur une île du bout du
monde.
Le métro s'est remis en marche et en quittant la station j'ai réalisé que j'étais de retour chez moi.


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