Je regarde le ciel, divisé en quatre par les carreaux de la fenêtre et je me demande
si Velvet Underground n'est pas le meilleur groupe du monde. Je suis content qu'il
fasse enfin un peu frais.
Le soleil s'épuise sur l'horizon, transformant les nuages en lacérations orange sur
l'azur turquoise. La jungle est déjà sombre quand au-dessus des cimes tout s'enflamme.
Les tons pastel se fondent dans quelque chose de plus chaud, de plus dur donnant
au paysage cet aspect vulgairement sucré qui me rappelle ces peintures de couchers
de soleil qu'on trouve à Montmartre et sur les bord de Seine. A cet instant je me fous du bon goût.
Un navire de guerre tourne autour de l'île depuis quelques jours. D'ici, ce pourrait tout
aussi bien être une silhouette en carton, une ombre chinoise, une contrefaçon thai de plus.
Le bâtiment est trop loin pour que j'en aperçoive l'équipage, j'imagine une grande fourmilière
métallisée et quelques soldats de plomb. Les deux canons, plantés dans la machine,
m'apparaissent comme des allumettes.
Si le navire nous prenait pour cible, s’il tirait, aurais-je le temps de me réfugier? de dire
un dernier mot ? Si le bateau tirait, aurais-je l'occasion d'être un héros ?
Au bout du monde, on cherche l'aventure. Parti si loin, on espère rencontrer le danger
et la peur. Au bout du monde, j'aimerais croiser l'homme que je deviendrai. Ici, j'attends mon
combat. Si le bateau tire, je serrai les poings.
Elle part. Sur un bateau plus petit que celui qui remplit l'horizon. Une veille coque rouillée
qui mettra six heures pour rejoindre la côte. Elle posera le pied sur le ponton et déjà elle
sera sortie de ma vie. Je vais regarder la mer demain, je vais la fixer longtemps. Je voudrais
me souvenir de tout. Le bateau reviendra, pas elle. Il aura fallu onze ans pour qu'elle se
décide à prendre un ticket pour une vie sans moi.
Avec elle, elle emmène un peu de mon histoire, des souvenirs et les dernières vapeurs de
cet air de Bretagne, celui des premiers étés ensemble au bord d'un océan qui n'était pas
turquoise mais qui rugissait sous le mauvais temps et s'écrasait sur des falaises brunes.
Ce sont des morceaux d'enfance que la mer me reprend demain. Je vais m'asseoir sur un rocher,
sur cette grosse tortue en béton qui trône a l'entrée du port et je vais attendre. Regarder partir
ma vie et attendre de voir ce que la mer me donne en échange.
Petit je ne voulais pas grandir. A onze ans je laissais du nougat sur le rebord de ma fenêtre
et j'espérais la venue d'un hypothétique Peter Pan qui m’emmènerait au pays du "jamais jamais".
Petit, je ne voulais pas grandir et voilà qu'une quinzaine d'années plus tard je suis seul sur une île,
entouré de gens qui vivent comme si le temps les avait oubliés.
Voici donc les terres du "jamais jamais", le pays imaginaire. Peter Pan vit sans Wendy et se fie
aux vertus de quelques vodka-redbull pour noyer sa solitude. Un joint se consume dans son
cendrier. Les Stones chantent Cocaine Eyes. Peter Pan vit si loin du monde que même en plissant
les yeux, il ne peux plus l'apercevoir.
Mon téléphone sonne, c'est la vie qui interrompt les pauses un peu trop longues. La soirée continue.
Il fait nuit ici. Je me lève et d'une main je salue la terre. Je me sens comme un gardien de phare
qu'on aurait laissé en arrière. Mon téléphone ne sonne plus. J'ouvre la porte de mon appartement.
La lune est ronde, il va faire froid maintenant.