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Un texte en prose de Patricia Laranco.

Par Ananda

Les chemins dans la nuit. Croisés à angles droits.

Escortés par des haies basses obscures et touffues.

Une sorte de labyrinthe en damier. Vaguement moiré par l’éclat d’une lune nuageuse.

Là-dedans n’est que le silence humide, qui flotte. Que l’odeur du vent, houle ridée, membraneuse.

On a l’impression que l’étendue se tapit. Qu’elle se laisse aplatir par le couvercle du ciel.

On erre. Résigné. Seul. Réduit au silence.

Il n’y a guère qu’un seul parti à prendre : se faufiler inlassablement tout au long des routes resserrées et trop droites qui n’en finissent pas de se ressembler  à s’y méprendre avec leur cortège de buissons au-delà desquels dort, enfouie dans l’obscurité plate et secrète, la terre grasse de potagers que, sans savoir trop comment, l’on devine eux aussi tirés au cordeau de façon parfaite.

Et l’on franchit ainsi des kilomètres imperturbables d’ombre lustrée, de nuit quadrillée, sans en apercevoir le bout…

De loin en loin, des cyprès isolés se dressent, en d’étranges torsades vangoghiennes de feu noir qui semblent décidées à fouetter ou à étreindre la clarté nocturne vide et béante du ciel.

On identifie de même, ici et là, au détour d’une haie, le haut fuselage de peupliers dont les feuilles, non contentes d’avoir des allures métalliques, trouvent le moyen de remuer et de clignoter avec de légers tintements, ainsi qu’à terre, des formes à la pâleur à peine détachée qui évoquent des rangées de longues tentes de toile dont on ignore ce qu’elles abritent.

L’atmosphère est bizarre, elle a un je ne sais quoi d’envoûtant. Quelque chose lévite, erre, en suspens, qui pourrait bien, d’un seul coup, se cristalliser en angoisse. Mais ce qui monte du sol n’en est pas moins indéfinissablement caressant, comme si la texture de la nuit était de feutre, et cherchait à griser.

Les plaques d’ombre sont bombées, polies, d’un noir concentré et brillant. Les contours sont délimités par de fins festons d’argent lunaire tirant sur le miel.

L’impression d’être une souris lâchée dans un dédale de carton comme lors d’une quelconque expérience scientifique ne vous quitte pas.

Et puis, sans crier gare, la route rectiligne s’ouvre sur un village. Le ciel, plus clair, balance sur vous une bouffée d’air soudain plus vive. Comme si tout se déchirait…

A l’entrée du hameau, vous vous arrêtez. Le chemin s’est élargi.

Etonné, vous regardez les quelques maisons aux murs bleu-nuit, en vous demandant, assez curieusement, si ils sont en pierre ou bien en bois.

Vous notez la présence blafarde d’une petite église en planches à la silhouette ceinte d’une clôture de fil de fer barbelé rectangulaire.

En vous approchant davantage, vous réalisez que la clôture entrelace, en fait, aux barbelés, un réseau de guirlandes électriques de Noël éteintes.

Et voilà que l’haleine du silence se met à palpiter.

Le ciel devient une gigantesque membrane qui projette un long souffle. Plus bas, l’horizon, dans la trouée entre les bicoques, se révèle être un bourrelet de terre où étincèle doucement la ligne de rail d’une voie ferrée.

On n’est pas mécontent de voir que le paysage a enfin une limite.

Patricia Laranco


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