Nous sommes tous des orphelins de la fusion matricielle.
Juger les autres est ce qui permet aux gens de ne pas se juger soi-même.
Non seulement les gens jugent leurs semblables de manière expéditive et sans appel (par orgueil, ils n’aiment guère revenir sur ce qu’ils ont pensé, ou dit), mais encore ils les jugent en fonction de leurs propres réactions, de leurs élans spontanés de sympathie ou d’antipathie, eux-mêmes déterminés par des paramètres encore plus sujets à cautions (apparence physique, façon conforme, consensuelle de se comporter…).
Toute langue est une prison d’où le poète tente de s’évader.
En un sens, la sagesse n’est-elle pas le summum de la folie ?
A force de vouloir tout, on ne récolte rien.
Le dédain est une sorte de tradition française.
Quelle est la place du partage dans un monde où les gens ne vivent que pour la défense de leur « bulle », pour l’affirmation bruyante d’eux-mêmes ?
Les gens se plaignent volontiers de la situation qui est la leur – sans jamais réfléchir au fait qu’il pourrait bien être possible que cette dernière ait –du moins en partie – pour cause leur propre façon de se comporter.
Si l’Internet dérange tant les diverses formes de pouvoir (gouvernements mais aussi intelligentsias en place, caste plus ou moins officielle des « mandarins »), c’est qu’il est le lieu par excellence de l’anti-élitisme, de la démocratisation de l’expression. Chacun – pourvu qu’il ait accès à un ordinateur – peut y montrer que « lui aussi, il existe » et qu’il a « quelque chose à dire », quand bien même ne serait-ce qu’à sa modeste échelle.
La circulation de l’information ne s’y fait plus à sens unique (d’"en-haut" vers le bas).
On y déclenche des révolutions et, même, la poésie que les élites ont rendue moribonde y gagne en regain de vitalité et de présence.
Toutes les voix – quelles qu’elles soient – ont la possibilité de s’y faire entendre, notamment par l’entremise des blogs et des réseaux sociaux.
Ceux qui respectent le moins les autres sont souvent les premiers à hurler à la moindre marque de non-respect qu’on leur prodigue.
L’ego rend bête et pourtant c’est en bonne partie lui qui mène le monde.
Attendre des femmes qu’elles se taisent est une façon de les exclure des affaires de la Cité vieille comme le monde.
Dans toutes les sociétés, dans toutes les cultures (hormis peut-être celles des chasseurs-cueilleurs, qui ne connaissent qu’une division du travail minimale), les tâches et travaux élémentaires et essentiels sont dépréciés car, par comparaison avec d’autres activités moins ingrates, ils sont jugés plus dégradants et plus liés à un statut défavorable.
Paradoxalement, ce sont les plus utiles, ceux qui se fatiguent, se salissent, risquent le plus et constituent de ce fait la base, le soutènement vital du monde qui finissent par devenir des objets de répulsion et de dédain.
Un bel exemple en est fourni par les « intouchables » (dalits) de l’Inde, ou encore par une caste « impure » qui existe également au Japon. Mais ne nous y trompons pas…depuis que la division du travail intensive et complexe s’est développée (au néolithique avec l’émergence de l’agriculture, puis, bien plus encore, au moment où les toutes premières civilisations se sont épanouies dans les premiers centres urbains qui étaient eux-mêmes, à l’origine, des points nodaux de l’activité commerciale), les notions d’activités « sales » et d’activités « propres », nobles, se sont opposées.
Parmi les « propres » se rangeaient les chefs, les rois, les prêtres, les rois-prêtres, les scribes et les marchands, qui formèrent tout naturellement le sommet des hiérarchies.
Il n’est que de se pencher sur la vie des célèbres Pharaons d’Egypte (représentants de la plus ancienne et de la plus longue des civilisations humaines) pour constater que la coupure entre les élites et le peuple ne date pas d’hier.
A partir du moment où se distinguait, se séparait la figure du « roi-prêtre », tout ce qui était lié au pouvoir devenait irrémédiablement lié au sacré, et donc associé à l’idée de pureté sans tâche. Enfermés dans leur résidence à part, le roi et son entourage ne devaient plus s’abaisser à produire des efforts physiques en dehors de ceux qui étaient jugés nobles et ludiques comme la guerre ou la chasse. Ils étaient à la fois des dominants, des protecteurs et des médiums entre la communauté et l’au-delà, le monde surnaturel. Même chose pour les prêtres qui, eux, demeuraient confinés dans leurs temples, lesquels étaient autant de « tours d’ivoire ».
Et la masse acceptait, parce qu’elle acceptait totalement l’idée que ses dirigeants (surtout le chef suprême) étaient d’essence sacrée et entretenaient un commerce direct avec les dieux, des dieux qu’il était impératif de se concilier sous peine de catastrophes punitives. Les priorités n’étaient pas d’ordre matériel mais d’ordre spirituel.
Souvenons-nous… il a fallu qu’au XVIIIème siècle de riches bourgeois qui avaient à cœur la défense de leurs intérêts fassent vaciller la religion de façon décisive pour que la royauté sacrée (« de droit divin ») qui chapeautait la France depuis plusieurs longs siècles tombe enfin sous les coups de la Révolution de 1789.
P. Laranco