« Boire du vin et étreindre la beauté vaut mieux que l’hypocrisie du dévot »
Omar Khayyam
On connaît assez peu la poésie médiévale et c’est bien regrettable. Souvent parce que le texte original est assez hermétique même pour les spécialistes, d’une part du fait de la difficulté à restituer en français contemporain un dialecte d’oïl, d’oc ou d’autre chose qui n’est encore formalisé ni à l’oral ni à l’écrit (il faudra attendre le XVIIè siècle pour en voir les prémices) et d’autre part parce que l’époque regorge de textes « à tiroirs » garnis de jeux de mots, d’énigmes, et de déformations véhiculées par la transmission verbale, et qui conservent toujours leurs mystères.
Il serait en tout cas parfaitement faux de penser au Moyen Age comme à une époque de ténèbres de la connaissance où tout se rapporte à Dieu et à la dévotion. Nos lointains ancêtres savaient aussi manier avec esprit le verbe grivois et la métaphore licencieuse, comme en attestent les « ballades en argot homosexuel » de François Villon, les contrepèteries de Rabelais, ou dans un style plus léger, les fins poèmes d’Omar Khayyam qui ne se privait pas de clamer son goût pour la bonne chère et la belle chair.
Bien sûr les censeurs ne manquaient pas qui décidaient de ce qui était de bon ou de mauvais goût, l’échelle des sanctions se graduant de la simple mise à l’index au bûcher après lequel, croyez-m’en, il est difficile de faire appel. Et aujourd’hui encore, le moyen-âge obscurantiste n’est pas révolu pour tout le monde. Les descendants de ces prudes moralistes qui voient le mal et le diable partout tentent de repeindre le monde à leur image d’obsédés sexuels. Il y a quelques jours, des cathos intégristes proches de Civitas ont manifesté en cotte de maille (si ça c’est pas du refoulement, j’en perds mon Oedipe) pour protester contre des mesures de François Hollande qui ruineraient les repères moraux de la France, à savoir le mariage gay, l’euthanasie, l’avortement, le droit de vote des étrangers et l’Education Nationale.
Mais dites-moi, jeunes et moins jeunes croyants d’extrême-droite, réflechissez un peu avant de jeter l’anathème sur tous ceux qui ne pratiquent pas l’acte de chair en missionnaire tout habillé dans le noir pour concevoir à la hâte un tétard de bénitier par an jusqu’à la ménopause. Votre idole, Jeanne d’Arc, qui a passé l’essentiel de sa courte existence déguisée en homme pour guerroyer, ce ne serait pas un tout petit peu une travestie qui s’est jouée des plans divins pour ne pas être réduite au rôle de pondeuse? Et sans vouloir vous apprendre votre métier de fondamentaliste, vous n’êtes pas censé être des martyrs et attendre que le patron rappelle vos âmes en peine pour la ramener? Vous allez voir, bientôt ils vont dire que c’est Dieu qui a frappé l’avion de Hollande de sa foudre courroucée pour lui dire attention bonhomme, premier avertissement.
Mêmement, quand Barack Obama s’est déclaré à titre personnel favorable au mariage homosexuel, la levée de boucliers ne s’est pas fait attendre. Les républicains, qui ont perdu leurs penseurs les plus aguerris depuis que George Bush et Sarah Palin sont plus discrets, cherchaient justement un axe de campagne. Sus aux dépravés et aux démocrates qui veulent laisser croupir Oncle Sam dans un monde exhalant le poppers, où l’on errerait sans fin de backrooms sataniques à la Sécurité Sociale, et pis que tout, sans arme , sans substitut phallique indispensable pour marquer son territoire, sa farouche hétérosexualité, et pour faire taire tous ces immigrés qui pensent qu’Alabama est une marque de sextoys! Plutôt Ben Laden que George Michael! Vous trouvez que j’exagère? Vous avez déjà entendu un discours de Michelle Bachmann, de Mitt Romney, ou de l’American Family Association? Et bien je ne pensais pas que je dirais ça un jour, mais même Nadine Morano m’inspire plus d’humanisme.
Il n’y a bien sûr pas que les cathos intégristes qui doutent de leur sexualité en ce moment. A Djakarta, Lady Gaga vient d’être interdite de concert sous la pression du conseil des oulémas et du Front des Défenseurs de l’Islam (FDI), au motif que ses tenues seraient trop sexy. D’une part, pour trouver Lady Gaga sexy, il faut vraiment avoir un tchador avec une visière de plomb, et c’est encore pire avec le son. D’autre part, à ma connaissance, la seule personne à porter des robes plus outrancières, c’est le Pape, et personne ne s’en plaint, mais il faut avouer à sa décharge qu’il donne rarement des concerts en Indonésie. Le leader du FDI a justifié sa requête en interdiction en arguant de la necessité de se prémunir des destructeurs de la foi et des fondations du pays, décidément c’est une obsession, Lady Gaga étant ostensiblement satanique. Il faudrait rappeler à tous les adorateurs de la mère Patrie que l’expression « mère Patrie » signifie littéralement « mère pays de nos pères », et qu’à ce titre la patrie est donc légèrement transsexuelle ou hermaphrodite selon la dose de testostérone qu’on souhaite y infuser, ce qui devrait en toute logique les rendre un petit peu anarchistes s’ils voulaient bien s’accorder avec leurs principes (on peut rêver). On n’est pas bien sûr que l’expression existe en Indonésien, mais elle est assez courante dans d’autres idiomes, alors pourquoi pas.
Soyons juste: en France quasiment personne n’en a quoi que ce soit à talquer de Civitas et la laïcité est presque unanimement admise comme un principe fondateur de la République, aux Etats-Unis, l’initiative de Barack Obama a été saluée même chez certains clubs républicains, et en Indonésie, terre d’Islam modéré (mais je n’en démords pas, les danseuses de Bali sont infiniment plus attirantes que Lady Gaga qui est presque aussi vulgaire que Madonna), les tickets pour le concert de ladite Lady se sont vendus en un rien de temps.
Et pour finir sur une note encore plus optimiste, en Argentine, où le mariage gay est admis depuis 2010, on vient de légaliser (à la quasi-unanimité au Sénat) l’euthanasie et la possibilité pour les transgenres de choisir leur identité de genre, s’appuyant sur les recommandations de l’ancien commissaire aux Droits de l’Homme de l’Union européenne Thomas Hammarberg. Curieux élan de courage politique dans un pays où les femmes doivent encore lutter pour l’avortement et l’égalité en général, mais c’est ainsi que petit à petit, on gagnera du terrain sur le patriarcat et sur les fous de Dieu.
Et, comme le disait Alexandre Vialatte pour finir ses chroniques, c’est ainsi qu’Allah est grand.
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