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Petit manuel de campagne électorale qui vient de loin mais qui reste malgré tout d’actualité

Publié le 20 avril 2012 par Rolandlabregere

Dans la famille Cicéron, on se préoccupe de communication et de résultats électoraux. En 64, Quintus Cicéron se fend d’une lettre de conseils et de recommandations à son frère Marcus Tullius, qui a tendance à se laisser aller à la tentation du cumul des mandats. Marcus Tullius qui fut dans les années précédentes, questeur, édile et censeur se présente comme un homme nouveau. Il vise le consulat, charge suprême de l’état romain. Être consul, charge partagée avec un confrère, présente de nombreux attributs, notamment ceux de tenir par la main l’administration civile et les affaires militaires. Marcus Tullius fait face à six autres candidats. Prenant acte de cette concurrence rageuse, Quintus, cadet de Marcus Tullius et bon connaisseur de la vie publique, endosse le rôle de consultant en communication et formule les règles de conduite que tout candidat doit adopter pour vaincre ses rivaux. Quintius Cicéron navigue entre raison et réflexion sur les nécessités de se constituer une clientèle d’obligés et dévoile les petits trucs qui font la différence Bien vu ! Marcus Tullius triomphe haut la main. Son second arrive loin derrière lui.

Mener campagne ne s’improvise pas : c’est une activité qui exige d’orchestrer de nombreux savoir-faire et de déployer une intelligence du contexte. Quintus tient au succès de son frère. Dans son courrier, il fait le point des atouts du candidat et lui indique comment déjouer les embûches de la campagne électorale. Focus sur un texte fondateur de la communication politique.

Petit manuel de campagne électorale qui vient de loin mais qui reste malgré tout d’actualité
Des conseils précis et méthodiques qui viennent de loin.

Prétendre à des fonctions électives nécessite, énonce Quintus, « de tracer une vision d’ensemble, rationnellement ordonnée, d’idées qui dans la pratique, apparaissent isolées et confuses ». (p. 15). Quintus distingue quatre moments qui se succèdent de manière linéaire dans l’organisation de la campagne électorale.

Le candidat se déclare et souligne la pertinence de son projet : c’est le temps de la professio, suivi immédiatement de la petitio. Un candidat, Quintus Cicéron le rappelle, est qualifié par les « ressources » qu’il tient de sa « gloire d’orateur ». Il s’agit là d’un art qu’il faut pratiquer et étudier. Pour assurer sa visibilité, le candidat est invité à construire des réseaux avec « ceux qui te doivent de la reconnaissance ». (p. 17). Dans ce temps de mobilisation, une attitude de lucidité est nécessaire vis-à-vis des concurrents dangereux à l’image d’Antoine et de Catilina, « l’un et l’autre assassins précoces ; l’un comme l’autre débauchés ; tous les deux sans ressource ! ». (p. 19). Un candidat pourvu de hautes qualités n’a pas à craindre des rivaux dont l’action passée est sans éclat ou placée sous le signe du crime. Il est donc bon qu'il éclaire les électeurs sur les torts et les défauts de ses rivaux tout en s’appliquant à montrer son exemplarité octroyée « par la nature et les études ».

Il lui faut ensuite aller à la rencontre de ses concitoyens pour présenter ses atouts et solliciter leurs suffrages : c’est la phase de l’ambitio. La candidature nourrit les rancœurs et les jalousies. L’adage populaire dit bien que les amis peuvent être de redoutables adversaires silencieux. Quintius souligne combien les ex " hommes nouveaux"  parvenus à de bonnes positions auront "du mal à se voir supplantés dans la course aux honneurs, s’ils ne te sont pas attachés par des liens de reconnaissance ". (p. 24). Toute campagne électorale s’enracine dans une histoire que le candidat entame avec chacun. Quand les candidats d’aujourd’hui disent vouloir écrire avec les électeurs une histoire partagée, Quintus insiste pour que le chemin se fasse avec des amis dont le « dévouement doit être le fruit des bienfaits, des services rendus, des bonnes relations, anciennes et familières ». (p. 25). Les relations aident à forger la réputation. C’est une précieuse alliée pour se démarquer de ses adversaires. Une élection est une transaction, le fruit d’une relation entre le candidat et les électeurs dont il faut se faire « des amis dans toutes les catégories sociales ». (p. 26). C’est du rêve qu’il faut proposer car « l’espoir de services nouveaux, ajouté au souvenir de bienfaits récents, pousseront ces gens-là, j’en suis sûr, à te soutenir activement ». (p. 28).

La rencontre des électeurs sur le forum est la présentatio qui consiste à serrer la main des électeurs en les appelant par leur nom sans recourir à l’esclave à la mémoire sans faille, nommé nomenclator. C’est le temps le plus actif de la campagne électorale alors que le moment précédent est celui de la conception, celui où toute l’équipe de soutiens et d’experts échafaude la stratégie. Le corps électoral est catégorisé, ciblé disent les statisticiens contemporains, selon trois mobiles, « la reconnaissance, l’espérance et l’inclination ». Le gagner à soi est une transaction qui peut faire la différence avec les autres candidats moins habiles dans l’art de séduire. Quintius recommande de choyer les électeurs afin d’en faire de parfaits zélateurs « de manière qu’ils comprennent que tu sais ce que tu peux attendre d’eux, que tu sais apprécier la valeur des services et que tu n’oublies jamais ceux qui les ont rendus ». (p. 30).

A Rome, un candidat ne vient pas de rien. Il est prudent d’entretenir en tant que patronus un réseau d’obligés en mesure d’exprimer leur gratia, c’est à dire leur reconnaissance. Le service rendu est la monnaie d’échange entre patronus et obligés : cette ambitio est considérée comme une forme de relation où se rencontrent les droits et les devoirs. Seuls la corruption (l‘ambitus), et l’entente entre candidats (la coitio) sont bannis des usages. Il ne suffit pas de déambuler sur le forum pour faire bouger la cote toisée par la réputation, encore faut-il se déplacer avec une escorte représentative des soutiens. La précaution majeure est d’avoir « tous les jours à tes côtés des hommes de toutes catégories, de tous les ordres et de tous les âges ». (p. 36). C’est là une prescription d’importance sur laquelle Quintius insiste avec véhémence. La véritable clé du succès. Son conseil est de rappeler qu’impérativement « tu sois toujours très entouré, c’est indispensable, j’en suis certain, pour notre entreprise ». (p. 39). La visibilité et la proximité doivent être travaillées comme des exercices quotidiens qui montrent la compréhension des préoccupations des électeurs. L’effort est nécessaire : « Mets-toi bien dans l’esprit qu’il va te falloir faire semblant d’accomplir avec naturel des choses qui ne sont pas dans  ta nature ». (p. 42). Autant être prévenu : il faut aller au-delà de la courtoisie et céder à la flatterie, « vice ignoble en toute circonstance, mais qui, dans une campagne, devient une qualité indispensable ». (p. 42). Pour bien la décliner, il est reconnu que « le visage et les discours doivent changer et s’adapter à l’interlocuteur du moment ». Voilà ici tout le mérite de Quintius Cicéron : formuler des préceptes que les communicants d’aujourd’hui distillent contre rétribution à leurs clients.

Loin d’être un ouvrage de magie citoyenne, la lettre de Quintus Cicéron attire l’attention sur les obligations nécessaires à l’accomplissement de la geste électorale. Elle dévoile les ficelles du métier de candidat. Plus qu’une suite de conseils dont certains appellent carrément au cynisme et à la pratique de l’art du mensonge, le Manuel de campagne électorale s’apparente à un discours de la méthode pour débuter en politique avec succès. Ce petit manuel est fait pour les candidats.  Quintus a oublié de mentionner que sa lecture pourrait être bénéfique aux électeurs.

Quitus Cicéron, Manuel de campagne électorale. Suivi de L’art de gouverner une province. Lettre de Marcus à son frère Quiuntus, préface de Jean-Yves Boriaud, éditions Arléa.  Le texte de Quintus Cicéron est paru sous le titre Lettre à mon frère pour réussir en politique, éditions Belles-Lettres.


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