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Qu’importe le message pourvu qu’il reste…

Publié le 04 avril 2011 par Rolandlabregere

Aucune activité n’échappe aujourd’hui à l’emprise des procédés de la communication. Les dirigeants politiques ou économiques sont exposés à la nécessité de s’acquitter de prises de parole, d’interventions dans des situations qui ne sont pas toujours des plus favorables. Dans la plupart des cas, l’impératif est le même : il faut séduire et sourire, convaincre et argumenter, faire rêver et susciter l’adhésion. Et concomitamment laisser une trace dans la mémoire par le lâché d’une formule choc et inédite supposée montrer une forme de pensée tout à fait originale.

Petite difficulté : de plus en plus d’acteurs se pressent sur les marches des temples de la communication de masse. Difficile d’exister et de se maintenir en bonne position dans le classement des personnalités en vue. Beaucoup de candidats à la gloire médiatique, peu de confirmés, encore moins de sacrés. Qui se souvient des candidats de la précédente présidentielle ?

C’est d’ailleurs pour beaucoup une course épuisante et pathétique vers l’oubli sans appel. Trois petits mots devant les micros et puis s’en vont. Les conseillers empilent les méthodes et délivrent des oukases méthodologiques qui font rêver ceux qui les payent. Le parcours est sélectif et tient beaucoup d’une scène mythique du dernier sketch de « Tout ce que vous avez voulu savoir…. », film de Woody Allen, qui montre les émois d’un spermatozoïde grandeur nature.  http://leslecturesdecachou.over-blog.com/article-tout-ce-que-vous-avez-toujours-voulu-savoir-sur-le-sexe-sans-jamais-oser-le-demander-49100796.html

Esthétisation du message

Petit point de rappel : le message est l’élément premier de toute communication. Le message doit se montrer sous ses meilleurs attraits pour passer les feux de la rampe. Un peu de triche est parfois nécessaire pour donner un coup de poussette au bonheur médiatique. Pas de message sans labeur, sinon la concurrence gagne la prime du meilleur grimpeur. Le message se prépare en laboratoire. Attention toutefois : entrée interdite au public ! Dans cet atelier le travail est intense. On teste, on conçoit des scénarii gagnants, on suppute sur l’algorithme de la martingale qui mène au jackpot, on enchaîne les trainings vidéo. Communiquer en public est l’intitulé d’une multitude de séminaires et de conventions à destination des responsables. La force du « logos » est donnée par la maîtrise de l’argumentation.

Mais à partir des années 2000, on assiste à un déclin des dispositifs argumentatifs. A l’oral comme à l’écrit, les acteurs de la communication se montrent plus acteurs que communicateurs. L’esthétisation du message s’impose au détriment du sens. Peu importe ce qui est dit, pourvu que ce message soit à la fois unique et mémorisable plus en sa forme qu’en son fond. La publicité, modèle et pionnière, donne le ton. Des multinationales interrogent des agences en vue de repositionner leur image en France et à l’étranger. Les budgets sont ventrus. Cette communication dite « corporate » prend le dessus sur la valorisation des produits et des services. Elle façonne des messages sur l’ambition et la détermination. On fabrique de l’emballage, de l’aluminium, de l’acier, on produit du gaz ou de l’électricité, mais ce qui est proposé au citoyen est une suite d’images propres, neutres, des paysages ensoleillés, construits comme des œuvres d’art. Les messages sont valorisants, ils incitent à la confiance. Bien des créatifs de ces agences disent d’ailleurs fréquenter les musées pour y puiser des références.

Cette communication esthétisée s’est étendue aux messages verbaux : il s’agit de faire rêver, de retenir par la manche le chaland-citoyen. Dès lors, le sens devient second. Le discours procède par association d’idées. La formule qui fait mouche est préférée à l’explication. Elle euphorise l’émetteur et le récepteur. Communiquer, ce n’est alors plus s’exprimer pour tous mais pour chacun afin que chacun se sente concerné par le propos. La formule à garder en mémoire qui qualifie plus le locuteur qu’elle ne s’adresse aux auditeurs. Ainsi, un candidat aux primaires socialistes a glissé au cours d’un entretien journalistique que « la primaire ne peut se réduire à un concours de bœufs charolais » [Le Monde 4/04/2011]. Il s’agit là d’un indéniable effet de manche. Plus que le contenu de l’entretien, c’est bien la formule d’un bestiaire de la communication qui s’impose. Encore heureux qu’il n’ait pas comparé les autres candidats à des grenouilles qui veulent se faire aussi grosse que le bœuf. Il ne faut pas confondre le programme avec une fable. D’autant que toute fable se termine par une petite morale.  http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_de_la_fontaine/la_grenouille_qui_veut_se_faire_aussi_grosse_que_le_boeuf.html

Un ouvroir de communication potentielle (OUCOPO)

Les messages publics et politiques sont travaillés en coulisse par des professionnels très au fait des modalités de réception et des savoirs issus des rhétoriques. Mais que cela soit dit : des méthodes alternatives existent et font appel à la créativité. Pour cela, il faut quitter le high-tech et revenir à la case artisanale.

L’ouvroir de communication potentielle (OUCOPO) permet à chacun de fourbir quelques formules évocatrices et résonnantes pour un prochain débat. C’est à l’école de littérature de l’OULIPO [http://litteratureludique.chez.com/oulipo.html & http://www.oulipo.net ] que cette tentative d’aide pour une survie communicationnelle doit son nom. Elle est en outre, inspirée, très sommairement, mais néanmoins très respectueusement, par la déraison créatrice de Raymond Queneau de livrer cent mille milliards de poèmes http://livres.ados.fr/Raymond-Queneau/livres/cent-mille-milliards-de-poemes/ .

Ci-dessous la présentation d’une méthode qui permet à tout un chacun de briller en meeting, de réussir son speed dating, de susciter la sympathie du comité de direction ou de satisfaire tout simplement son égo en produisant une formule chic. Elle se déroule en trois temps :

1°) élaborer une liste de noms (à trouver aléatoirement dans un dictionnaire) : choisir des termes à connotation positive si c’est pour se mettre en valeur et plutôt neutres et non positifs si le projet est d’élaborer une formule choc destinée à être une flèche, (casser du sucre ou sucrer l’ambiance) ;

2°) choisir des adjectifs en nombre identique selon le même procédé ;

3°) variante : possibilité d’élaborer une liste d’adverbes en « ment » : ça ne mange pas de pain ;

4°) les deux ou trois listes doivent contenir le même nombre de termes : on n’est pas tenu de respecter l’ordre alphabétique ; les adjectifs se déclinent indifféremment au masculin ou au féminin.

Exemple

Liste 1 : démarche, programme, projet, intention, regard, propositions, perspective, engagement, détermination, tactique

Liste 2 : évolutif, acharné, sincère, lumineux, résolu, profond, équilibré, lucide, maîtrisé, durable

Liste d’adverbes (à recommander pour optimiser l’effet) : diablement, fiévreusement, méticuleusement, rageusement, clairement, audacieusement, vertueusement, simplement, naturellement, résolument.

L’étape suivante consiste d’abord à choisir un terme dans la liste 1 par exemple « projet » et de lui accoler un adjectif de la liste 2 choisi aléatoirement par exemple « équilibré » ; une fois le groupe nominal constitué (article + substantif + adjectif) choisir un adverbe toujours aléatoirement. La formule choc s’impose. Par exemple : « un projet vertueusement équilibré ». C’est pas mal : il y a un projet, l’adverbe montre la dimension réfléchie et juste ; l’adjectif dévoile son caractère raisonnable. Un pas vers le succès !

Un autre exemple ? Passons à l’intégration dans une phrase structurée, car cela est le but de la formule choc. « Mes perspectives sont audacieusement profondes », là c’est une pensée pélagique qui est en gestation. Vous faites rêver. L’aventure est au coin de la rue : si ça ne plait pas à tout le monde, il y aura toujours des partisans de cette approche.

Vous voulez jouer sur le pathos ? Rien de plus simple ! Usez de la formule « je me présente devant vous porteur d’une intention audacieusement maîtrisée ». Bien vu, l’oxymore audace-maîtrise permet de ratisser à la fois du côté des inquiets tout en mettant le pied dans la porte des adeptes du changement.

Vous commencez à vous prendre au jeu ? Une autre tentative : « Après réflexion, mes propositions sont rageusement résolues » : la succession des consonnes P-R-R souligne votre détermination ; assonance un peu martiale peut être à adoucir dans un segment suivant.

L’ouvroir a vocation à être le discount de l’entraînement à la pratique de la communication. Ce n’est qu’un jeu. Mais rien n’interdit de jouer avec sérieux.

  


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