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Lapsus : du pschitt au buzz

Publié le 06 janvier 2011 par Rolandlabregere

Les lapsus sont d’actualité. Selon une approche traditionnelle, les lapsus sont des accidents de langage. Ils sont réputés révéler une tension intérieure. L’approche classique, largement partagée, celle de la psychanalyse, en fait une manifestation de l’inconscient. Ils dévoilent alors ce l’on ne voudrait pas voir exprimé : désir, tension, pulsion, rancœur, stress, jugement, évaluation… C’est par exemple le cas du dirigeant d’entreprise, tourmenté par les médiocres résultats économiques qui ouvre une assemblée générale en annonçant la présentation du bilan de l’année écroulée.[1]

Dans le discours politique, les lapsus ne sont pas un phénomène nouveau. Ils appartiennent pleinement au registre de la communication publique. Toutefois, ils semblent se développer, être plus audibles, plus accessibles au plus grand nombre en raison de l’interaction entre les médias de masse et les médias numériques. Leur diffusion s’en trouve indéniablement amplifiée. Selon la linguiste Josianne Boutet[2], la portée des lapsus dépend de la position sociale de leur auteur mais aussi du contexte d’énonciation. Ces deux critères ne sont pas dissociables : s’exprimer au 20 heures sur une chaîne généraliste ou dans une émission grand public est le privilège des leaders d’opinion, des personnalités en vue. Cela leur confère la possibilité d’être attendus au coin des mots. Aussi subtil qu’il soit, votre prochain lapsus sera d’une notoriété bien moindre que celui de tel politique ou telle personnalité people. Les lapsus commis au cours d’une réunion professionnelle peuvent avoir des effets négatifs mais ont peu de chance d’être relayés sur le Net. Le retentissement des lapsus dépend grandement du rayonnement et du statut de l’émetteur.

Deux remarques s’imposent en ce qui concerne la prolifération des lapsus dans les émissions grand public du dimanche soir. D’abord, il est malvenu de reprocher à une personnalité de commettre un lapsus. C’est le message porté qui est à incriminer. Plus l’enjeu d’une situation d’énonciation est investi par le locuteur (gestion de son image, intention de faire un buzz, débat contradictoire, difficulté argumentative, ambiance ressentie…) plus la prise de risque est grande. Dès lors, le lapsus est en embuscade, en tenue de camouflage dans les certitudes conférées par les éléments de langage proposés par les coachs ou les conseillers. Parler, débattre, argumenter, polémiquer, réfuter sont des situations sociales qui facilitent le déséquilibre. Les acrobates et contorsionnistes des cirques se produisent dans le silence bienveillant des spectateurs. En second lieu, le lapsus appartient désormais au portrait médiatique des personnalités. S’il est anodin, il affectera peu la réputation de l’auteur. Il fera sourire. S’il est puissant, cinglant, inattendu, violent ou déconcertant, il sera repris en boucle par l’ensemble des médias. Le pire s’il le faut, celui qui fait mal mais qui sera bien diffusé. C’est là le point le plus important puisque ce qui compte, dans ce cas, c’est être audible et visible. Les commentaires qu’il génère entretiennent alors une présence de première importance dans les différents supports d’information. S’il est percutant, ou gentiment insolent, il entre dans la catégorie des lapsus collector. Le maillot jaune des lapsus. Erigé au rang de bon mot, il fortifie le capital image de l’auteur. Il vaut mieux être reconnu pour ses traits d’humour que par des apparitions médiatiques ternes et sans relief. Sans toutefois en faire une montagne.

Banalisés par leur survenue dans de multiples circonstances, les lapsus prennent toute leur place dans l’univers de la communication publique. En apparaissant en même temps que de nouvelles formes d’humour caractérisées par une dimension décomplexée, plus droit au but qu’auparavant, les lapsus accompagnent et font vivre le discours politique. Les lapsus deviendraient les outils d’une communication politique qui renouvelle sa stratégie. Une nouvelle activité pourrait enrichir la palette des éminences grises aux vertus si cardinales. Atelier Lapsus, obligatoire avant tout plateau radio ou télé. Les lapsus contribuent à l’audimat et à l’applaudimat.

Mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les responsables, mesdames et messieurs les people n’arrêtez pas les lapsus ! Au contraire, lâchez-les ! Comme les images qui valent mille mots, ils nous disent beaucoup. Ils sont si révrailateurs.


[1] Bernard Parizet, Lapsus révélateurs de la vie de  bourreau… de bureau, éditions Eyrolles, Paris, 1997.

[2] Boutet J., Le pouvoir des mots, édition La Dispute, 2010.


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