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L’école autrichienne d’économie, une présentation (1) : Histoire

Publié le 16 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

Les libéraux se réfèrent souvent aux idées de l’école autrichienne d’économie, avec des noms célèbres comme Hayek ou Mises. Mais qui sont ces curieux animaux autrichiens? Contrepoints vous propose une courte présentation par l’un de ses meilleurs connaisseurs.

Par Gérard Dréan.

L’école autrichienne d’économie, une présentation (1) : Histoire

Ludwig von Mises, une des figures de l'école autrichienne

On associe souvent le libéralisme économique, dans sa version réputée « ultra », à l’économiste autrichien Friedrich Hayek, un représentant de l’école dite autrichienne, fondée par Carl Menger (1840-1921) et qui compte entre autres auteurs éminents Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914) et Ludwig von Mises (1881-1973). Les thèses de ces auteurs ne sont guère connues que de façon fragmentaire ou inexacte, et ne sont que très rarement replacées dans la réflexion d’ensemble qui caractérise justement cette tradition.

L’apport de Menger est généralement résumé à l’invention du marginalisme dans les années 1870, peu avant Léon Walras et William Stanley Jevons. Indépendamment l’un de l’autre, ces trois auteurs fondent l’économie moderne sur l’idée que la valeur d’un bien résulte de l’utilité « marginale » d’une unité de ce bien en plus de ce que l’agent possède déjà. Mais alors que Walras et Jevons prétendaient tous deux fonder une nouvelle science en appliquant à l’économie les méthodes des sciences physiques, Menger restait fidèle aux conceptions causales-réalistes des économistes classiques et s’opposait à la formulation mathématique.

Au début, ces différences de méthode restent au deuxième plan, si bien qu’il n’y a pas de divergence marquée entre les « autrichiens » et les autres néoclassiques, qui s’opposent ensemble au marxisme et à l’école historique allemande. Les deux premiers disciples de Menger, Böhm-Bawerk et Wieser, complètent la théorie « néoclassique » en raffinant la théorie de la valeur et des coûts, en traitant de la monnaie et du crédit, en introduisant l’entrepreneur et le calcul économique.

Mais les disciples de Walras et Jevons considèrent de plus en plus que la formalisation mathématique est essentielle à la définition de l’économie en tant que science, au prix d’une extrême simplification des hypothèses relatives au comportement des agents économiques et à leurs interactions. Cette montée en régime du paradigme néoclassique suscite chez les autrichiens deux attitudes opposées : les uns, comme Wieser et Schumpeter, deux brillants élèves de Böhm-Bawerk, cherchent un rapprochement avec le paradigme néoclassique en voie de constitution en gommant les différences méthodologiques. D’autres, au premier rang desquels Ludwig von Mises, un autre élève de Böhm-Bawerk, restent fidèles à la pensée de Menger en réaffirmant et en approfondissant ce qui la sépare du paradigme néoclassique, qui se révèle au fur et à mesure que la pratique dominante s’éloigne des idées de Menger et des classiques.

Parallèlement, à la suite de la première guerre mondiale, un nombre croissant d’économistes adoptent les positions de Keynes, selon lesquelles le rôle principal de l’économiste est d’éclairer les décisions des pouvoirs publics, et qu’il est possible d’étudier les agrégats nationaux (la « macro-économie »), indépendamment des interactions entre agents individuels (la « micro-économie »). Hayek et Mises s’opposent vigoureusement à Keynes sur cette conception de la discipline ainsi que sur les positions quant au rôle de l’État qui la sous-tendent et sur les théories monétaires qui en découlent. En même temps, devant la montée du communisme et du nazisme, Mises puis Hayek se lancent dans un farouche combat intellectuel contre l’étatisme sous toutes ses formes, qui fonde leur libéralisme intransigeant.

Dans les années trente, la plupart des économistes autrichiens, dont Mises et Hayek, quittent Vienne pour fuir la menace nazie et trouvent refuge dans le monde anglo-saxon. Cet exil fait éclater l’école autrichienne géographiquement et intellectuellement, à tel point qu’au sortir de la guerre, la part de la pensée de Menger qui s’oppose à celle de Walras et Jevons aurait pu tomber dans l’oubli sans les efforts solitaires de Ludwig von Mises.

Dans son magnum opus de 1949 L’Action Humaine, celui-ci synthétise tous ses travaux antérieurs, réaffirme et développe les positions méthodologiques de Menger, prolonge et enrichit les positions substantielles qui en découlent, notamment sur la monnaie, le crédit et les cycles économiques, et reprend une vibrante défense de la liberté. Son séminaire privé, qu’il avait lancé à Vienne dès 1920 et poursuivi dans son exil à Genève puis à New York, lui vaut de fidèles disciples américains tels que Murray Rothbard, Fritz Machlup et Israel Kirzner, qui rejoignent le fidèle Hayek avec qui il crée en 1947 la Société du Mont Pèlerin. C’est ainsi que naît l’avatar contemporain de la tradition autrichienne, qu’il faudrait plutôt appeler « misesienne », tant Ludwig von Mises en est bien l’auteur central.

Suite de la série à venir sur Contrepoints.


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