Magazine Internet

Le gouverneur et le jeu électronique

Publié le 24 mai 2012 par Alain Dubois

Gouverneur_titreAvant 1980, les machines à sous électroniques (MàS) étaient confinées dans les casinos. Par la suite, celles-ci se sont infiltrées illégalement un peu partout (bars, restaurants, dépanneurs). Puis, en 1988, le Dakota du Sud a initié une ère d’étatisation monopolistique des MàS hors casino (appelées appareils de loterie vidéo, ALV). Le Canada a suivi en 1991. Le contexte d’étatisation a imposé des normes plus sévères. La compagnie canadienne Spielo a alors été créée pour ce marché spécifique. Ayant acheté un jeu d’une compagnie japonaise, la jeune compagnie Spielo a dû l’adapter. Il en a résulté un brevet encore digne d’intérêt.
Spielo est maintenant une filiale de la compagnie américaine GTech, elle-même une filiale de l’italienne Lottomatica. GTech est un partenaire d’affaires de longue date de Loto-Québec. Dès 1994, environ 40% des ALV de Loto-Québec provenaient de Spielo. Récemment, Gtech a obtenu l’essentiel du contrat pour renouveler le parc d’ALV. Aussi, GTech opère la plateforme poker d’EspaceJeux, conçoit et opère d’autres jeux en ligne. Ceci motive un intérêt plus soutenu à l’égard des brevets appartenant à cette compagnie … ce qui ne signifie pas que les brevets des autres compagnies soient moins pertinents à connaître.

Le brevet US-5393061 a été déposé le 16 décembre 1992 et a été reconnu le 28 février 1995. On ne sait pas à quelle date il a été implanté dans les ALV de Loto-Québec. Acceptons que ce soit avant le 28 juin 1994, date de l’inauguration du parc d’ALV.

Il concerne le jeu Les cloches en folie (Swinging Bells) encore disponible sur les ALV. La lecture de ce brevet est particulièrement pédagogique pour comprendre le fonctionnement des jeux de lignes sans rondes boni (machine à sous classique).

Voici comment les concepteurs décrivent le problème à résoudre (dans le texte du brevet : colonne 2, ligne 11). Pour qu’un jeu soit rentable, il doit donner l’impression de remettre de l’argent au joueur souvent (taux de récompense) et beaucoup (taux de remise, ou taux de retour). Comme le déplorent les concepteurs en 1992, un moyen courant d’illusionner le joueur, comme quoi le taux de retour lui est favorable, est de lui présenter des tables de lots généreuses à plus de 100%, mais en imposant des séquences perdantes dès que le retour réel dépasse 100%. Cela se fait par un algorithme appelé Gouverneur. Lorsque le joueur est trop gagnant, le gouverneur débranche le générateur de nombres pseudo-aléatoires et impose une séquence perdante. C’est évidemment illégal au Canada et sans doute partout.

GouverneurC2L11

Les concepteurs proposent alors une reconfiguration des tables de lots pour éliminer le besoin d’avoir recours au gouverneur. À noter que la modification n’apparaît pas vraiment motivée par un souci à l’égard du joueur. En effet, en conclusion du brevet, les concepteurs écrivent : En d’autres mots, la présente invention inclut toutes les caractéristiques des machines illégales conçues pour attirer les joueurs mais implémente ces caractéristiques dans une machine légale (traduction, voir Colonne 10, ligne 41). Quoi, installer et adapter un jeu dans un environnement légal ne le rend pas de facto plus intègre ou sécuritaire?
GouverneurC10L41

L’idée des concepteurs est loin d’être bête. Le gouverneur devait imposer une séquence perdante pour récupérer l’argent donné en trop. Dorénavant, les lots en trop sont donnés sous forme de cagnotte (crédits-bonus) qui n’est pas versée immédiatement au solde du joueur. Pour obtenir son argent-potentiel, le joueur doit courir après un événement rare (voir colonne 7, ligne 60). S’il quitte trop tôt, il perd ses crédits-bonus. S’il persiste jusqu’à l’événement rare, en moyenne, il aura perdu entretemps en argent réel l'équivalent du montant qu’il croit pouvoir récupérer … puisqu’il s’agit d’un jeu à espérance négative de gain.
GouverneurC7L60

Légal? Possible! Sauf peut-être pour cet aspect : en courant l’événement rare pour concrétiser ses crédits-bonus en argent réel, le joueur peut ne pas s’être aperçu que l’accumulation des crédits-bonus peut plafonner (cesser), d’où une concrétisation probablement accrue de la perte d’argent (voir colonne 6, ligne 57).
GouverneurC6L57

Pour la petite histoire, jusqu’en 2001, le jeu Les cloches en folie permettait d’arrêter prématurément le défilement des rouleaux en pressant un bouton d’arrêt ou en touchant l’écran. Le brevet décrit bien comment cette action était inutile pour tenter d’influencer les résultats. En à peine quelques millisecondes après la pression du bouton Jouer, la position finale des rouleaux est déjà prédéterminée par le générateur de nombres pseudo-aléatoires. Durant les secondes suivantes, tout ce qui se produit pendant qu’on voit les rouleaux bouger n’influence en rien le résultat final (lire le texte de la colonne 9 avant et après la ligne 33). Il ne sert à rien d’analyser ce qu’on voit à l’écran en vue de développer une stratégie. Sinon, c’est au risque de développer une illusion de contrôle qui peut coûter très cher!
GouverneurC9L33

Pour vraiment dire qu’un environnement de jeu est intègre et sécuritaire, la documentation accompagnant chaque jeu doit publier la liste des brevets associés à chacun des jeux. Dans le cas présent, on sait qu’il n’y a plus de gouverneur pour le jeu Les cloches en folie. Qu’en est-il des autres produits?
Photo : extrait du document publié par freepatentsonline


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Alain Dubois 1019 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog