Trois gentils petits contribuables vivaient en paix au pays des entrepreneurs. Chaque jour, ils travaillaient dur, et se réjouissaient de disposer un jour du fruit de leur labeur. Mais hélas, le Grand Méchant Fisc convoitait leur magot…
Par Frédéric Wauters, depuis Bruxelles, Belgique.

Les deux méchants loups
Quel rapport avec le fisc, me direz-vous ? Eh bien c’est simple. Le ministre des finances et son âme damnée, le secrétaire d’État à la lutte contre la fraude fiscale, ont beau souffler et souffler contre ceux qu’ils appellent les « fraudeurs », les contribuables peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles. Et quelque part, c’est une excellente chose. En effet, la plupart des comportements que ces deux sinistres individus qualifient de « fraude fiscale » sont en fait parfaitement légaux. Il existe même un terme pour les désigner : l’évitement licite de l’impôt. Pour le contribuable lambda, cela veut tout simplement dire se placer dans une situation où la pression fiscale qu’il subit est la moins élevée, sans pour autant quitter le sentier de la légalité.
Nous sommes tous des « fraudeurs »
Bien entendu, l’exemple favori de nos éminences est le vilain méchant entrepreneur indépendant qui crée une société. Peu importe que la première raison qui pousse les entrepreneurs à le faire soit leur sécurité — l’opération permet de séparer leur patrimoine privé de celui consacré à leur activité. Ils l’utilisent aussi, accusent nos McCarthy’s modernes, pour payer moins d’impôts. Certes, mais le contribuable lambda le fait lui aussi. Quelques exemples que tout le monde — salariés, indépendants et fonctionnaires — peut mettre en œuvre en toute légalité :
- Votre grand-papa chéri vous donne 10.000 € pour vous aider à acheter un appartement ou une voiture. Vous ne déclarez pas ce don au fisc. Si votre grand-père survit encore trois ans après le don, vous n’aurez pas à payer de droits sur cette donation. Dans le cas contraire, elle sera réincorporée à votre succession et vous devrez payer des droits sur cette somme. Si votre grand-père ne va pas bien et que voulez éviter de prendre ce risque, vous pouvez faire enregistrer ce don en le déclarant à l’administration. Il vous en coûtera 3%, soit 300 €. Dans les deux cas, vous évitez un impôt plus lourd, les droits de succession, en posant un acte juridique, le don manuel ou le don enregistré. C’est l’évitement licite de l’impôt : vous posez un acte parfaitement légal pour payer moins d’impôt
- Vous achetez une maison avec votre conjoint, pour laquelle vous souscrivez à un prêt hypothécaire. Bien que les remboursements soient strictement égaux, vous décidez d’utiliser une disposition du Code qui vous permet de déclarer 70% des intérêts de ce prêt à votre charge et 30% à charge de votre conjoint, afin de maximiser la déduction fiscale totale dont vous pouvez bénéficier. Là aussi, vous posez un acte pour éviter l’impôt. Mais il est légal.
- Votre maman veut vous léguer un appartement qu’elle a reçu en héritage d’une vieille tante. Plutôt que d’attendre son décès, elle décide de procéder à une donation avec réserve d’usufruit. Ainsi, elle profite de l’immeuble mais vous en êtes nu-propriétaire et en deviendrez plein propriétaire à son décès. Bien sûr, vous devrez payer des droits de donation, et l’enregistrer devant un notaire. Mais ces droits, en général identiques aux droits de succession, seront calculés sur un montant moindre que si vous attendiez le décès de votre maman chérie, car le barème utilisé est progressif (plus la valeur donnée est élevée, plus vous payez cher). Vous posez un acte juridique pour éviter l’impôt. Et pourtant, c’est légal et c’est tant mieux.
- Mieux encore : vous faites la donation en trois fois. Chaque tranche de donation, pour peu qu’elle soit distante de plus de trois ans de la précédente, sera imposée séparément, dans la tranche la plus basse du barème, donc. L’opération porte, dans les milieux informés, le délicat patronyme de « donation strip-tease« .
La frontière est clairement tracée
En réalité, dans tous ces cas, il y a intention d’éluder une partie de l’impôt, mais aucun acte illégal. Or, pour être qualifié de fraude fiscale, un acte ne doit pas seulement correspondre à l’intention d’éviter l’impôt. Il doit aussi être illégal. Les experts parlent de « dissimulation » ou de « simulation » : je dissimule un revenu (je ne le déclare pas) ou je simule un autre revenu (je fais une facture pour la moitié d’un service et je me fais payer l’autre moitié « sous la table ». Ces pratiques sont illégales et destinées à payer moins d’impôts : c’est donc de la fraude. Les exemples cités plus haut ne sont pas illégaux. Ils sont donc autorisés et ne peuvent être qualités de fraude, n’en déplaise aux politiciens qui veulent se donner une image de chevaliers blancs à coup d’effets d’annonce.
La suite de la chronique sera publiée demain sur Contrepoints.
—-
Sur le web.