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Qui a peur du Grand Méchant Fisc ?

Publié le 27 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

Trois gen­tils petits contri­buables vivaient en paix au pays des entre­pre­neurs. Chaque jour, ils tra­vaillaient dur, et se réjouis­saient de dis­po­ser un jour du fruit de leur labeur. Mais hélas, le Grand Méchant Fisc convoi­tait leur magot…
Par Frédéric Wauters, depuis Bruxelles, Belgique.

Qui a peur du Grand Méchant Fisc ?
Nul doute que cette intro­duc­tion — et cette illus­tra­tion — ne vous rap­pellent l’excellent des­sin animé pro­duit par Walt Dis­ney en 1933. Dans cette ver­sion édul­co­rée d’un conte remon­tant, semble-t-il, au XVIIe siècle, les trois petits cochons se construisent une mai­son pour se pro­té­ger du grand méchant loup. Les deux pre­miers, quelque peu pares­seux, cèdent à la faci­lité. L’un construit une hutte de paille, et l’autre une cabane en bois. Le troi­sième, plus pru­dent et tra­vailleur, érige une confor­table et solide mai­son de briques. Lorsque le grand méchant loup sur­vient, il lui suf­fit de souf­fler très fort sur les deux chau­mières construites à la va-vite pour les détruire. Effrayés, les deux petits cochons se réfu­gient chez leur frère (dans le conte ori­gi­nel, le loup les croque). Bien à l’abri dans sa mai­son de briques, ce der­nier se gausse du loup. Le pauvre ani­mal a beau souf­fler, souf­fler et encore souf­fler, rien n’y fait, la mai­son ne fré­mit même pas. Sa der­nière ten­ta­tive, une entrée en cati­mini par la che­mi­née, le fait atter­rir dans une mar­mite de soupe bouillante (dans le conte ori­gi­nel, le cochon mange alors le loup pour son dîner). Après la fuite du loup échaudé, les trois petits cochons reprennent alors en chœur leur célèbre antienne : « qui a peur du grand méchant loup ? »

Les deux méchants loups

Quel rap­port avec le fisc, me direz-vous ? Eh bien c’est simple. Le ministre des finances et son âme dam­née, le secré­taire d’État à la lutte contre la fraude fis­cale, ont beau souf­fler et souf­fler contre ceux qu’ils appellent les « frau­deurs », les contri­buables peuvent conti­nuer à dor­mir sur leurs deux oreilles. Et quelque part, c’est une excel­lente chose. En effet, la plu­part des com­por­te­ments que ces deux sinistres indi­vi­dus qua­li­fient de « fraude fis­cale » sont en fait par­fai­te­ment légaux. Il existe même un terme pour les dési­gner : l’évitement licite de l’impôt. Pour le contri­buable lambda, cela veut tout sim­ple­ment dire se pla­cer dans une situa­tion où la pres­sion fis­cale qu’il subit est la moins élevée, sans pour autant quit­ter le sen­tier de la légalité.

Nous sommes tous des « fraudeurs »

Bien entendu, l’exemple favori de nos éminences  est le vilain méchant entre­pre­neur indé­pen­dant qui crée une société. Peu importe que la pre­mière rai­son qui pousse les entre­pre­neurs à le faire soit leur sécu­rité — l’opération per­met de sépa­rer leur patri­moine privé de celui consa­cré à leur acti­vité. Ils l’utilisent aussi, accusent nos McCarthy’s modernes, pour payer moins d’impôts. Certes, mais le contri­buable lambda le fait lui aussi. Quelques exemples que tout le monde — sala­riés, indé­pen­dants et fonc­tion­naires — peut mettre en œuvre en toute légalité :

  • Votre grand-papa chéri vous donne 10.000 € pour vous aider à ache­ter un appar­te­ment ou une voi­ture. Vous ne décla­rez pas ce don au fisc. Si votre grand-père sur­vit encore trois ans après le don, vous n’aurez pas à payer de droits sur cette dona­tion. Dans le cas contraire, elle sera réin­cor­po­rée à votre suc­ces­sion et vous devrez payer des droits sur cette somme. Si votre grand-père ne va pas bien et que  vou­lez éviter de prendre ce risque, vous pou­vez faire enre­gis­trer ce don en le décla­rant à l’administration. Il vous en coû­tera 3%, soit 300 €. Dans les deux cas, vous évitez un impôt plus lourd, les droits de suc­ces­sion, en posant un acte juri­dique, le don manuel ou le don enre­gis­tré. C’est l’évitement licite de l’impôt : vous posez un acte par­fai­te­ment légal pour payer moins d’impôt
  • Vous ache­tez une mai­son avec votre conjoint, pour laquelle vous sous­cri­vez à un prêt hypo­thé­caire. Bien que les rem­bour­se­ments soient stric­te­ment égaux, vous déci­dez d’utiliser une dis­po­si­tion du Code qui vous per­met de décla­rer 70% des inté­rêts de ce prêt à votre charge et 30% à charge de votre conjoint, afin de maxi­mi­ser la déduc­tion fis­cale totale dont vous pou­vez béné­fi­cier. Là aussi, vous posez un acte pour éviter l’impôt. Mais il est légal.
  • Votre maman veut vous léguer un appar­te­ment qu’elle a reçu en héri­tage d’une vieille tante. Plu­tôt que d’attendre son décès, elle décide de pro­cé­der à une dona­tion avec réserve d’usufruit. Ainsi, elle pro­fite de l’immeuble mais vous en êtes nu-propriétaire et en devien­drez plein pro­prié­taire à son décès. Bien sûr, vous devrez payer des droits de dona­tion, et l’enregistrer devant un notaire. Mais ces droits, en géné­ral iden­tiques aux droits de succession, seront cal­cu­lés sur un mon­tant moindre que si vous atten­diez le décès de votre maman ché­rie, car le barème uti­lisé est pro­gres­sif (plus la valeur don­née est élevée, plus vous payez cher). Vous posez un acte juri­dique pour éviter l’impôt. Et pour­tant, c’est légal et c’est tant mieux.
  • Mieux encore : vous faites la dona­tion en trois fois. Chaque tranche de dona­tion, pour peu qu’elle soit dis­tante de plus de trois ans de la pré­cé­dente, sera impo­sée sépa­ré­ment, dans la tranche la plus basse du barème, donc. L’opération porte, dans les milieux infor­més, le déli­cat patro­nyme de « dona­tion strip-tease« .

La fron­tière est clai­re­ment tracée

En réa­lité, dans tous ces cas, il y a inten­tion d’éluder une par­tie de l’impôt, mais aucun acte illé­gal. Or, pour être qua­li­fié de fraude fis­cale, un acte ne doit pas seule­ment cor­res­pondre à l’intention d’éviter l’impôt. Il doit aussi être illé­gal. Les experts parlent de « dis­si­mu­la­tion » ou de « simu­la­tion » : je dis­si­mule un revenu (je ne le déclare pas) ou je simule un autre revenu (je fais une fac­ture pour la moi­tié d’un ser­vice et je me fais payer l’autre moi­tié « sous la table ». Ces pra­tiques sont illé­gales et des­ti­nées à payer moins d’impôts : c’est donc de la fraude. Les exemples cités plus haut ne sont pas illé­gaux. Ils sont donc auto­ri­sés et ne peuvent être qua­li­tés de fraude, n’en déplaise aux poli­ti­ciens qui veulent se don­ner une image de che­va­liers blancs à coup d’effets d’annonce.

La suite de la chronique sera publiée demain sur Contrepoints.

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