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Et maintenant, votons en ligne et n’importe comment

Publié le 27 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

Youpi, depuis le 23 mai, c’est la fête du slip technologique pour les expatriés français ! L’État, dans son immense mansuétude, leur a proposé de découvrir le vote électronique et de tester absolument toutes les abominations qui pouvaient en résulter. Délice du planisme total, allégresse d’un système totalement opaque, joie d’une application mal conçue, bonheur du bug tendrement planté et récolté à la bonne saison, tout y est pour une réussite digne des heures les plus glorieuses de notre passé…

Avant de détailler les misères du vote électronique et, plus particulièrement, de son implémentation façon État Français, un peu de contexte s’impose : dans quelques semaines, le premier tour des élections législatives se tiendra en France. Quelques députés ont été assignés aux circonscriptions de l’étranger. Essentiellement, il s’agit de représenter les expatriés et les Français à l’étranger par une douzaine de députés.

Comme on imagine assez bien que les Français concernés sont un peu éparpillés autour de la planète, l’idée d’utiliser le vote électronique est évidemment passée par la tête des énarques et autres fonctionnaires en charge du bazar électoral. Et comme de juste, ils se sont empressés de ne pas se renseigner sur la faisabilité et la pertinence d’une telle idée : moyennant quelques millions d’euros judicieusement engloutis en champagne, petits-fours et, à la marge, quelques lignes de code improvisées sur un coin de table, les Français de l’étranger pourront donc cette année voter électroniquement pour n’importe qui, le tout n’importe comment.

Je dis pour n’importe qui et n’importe comment parce que c’est exactement ce qui va se produire.

N’importe comment est facile à démontrer. Par le truchement d’une aimable lectrice que je remercie au passage, je me suis procuré les différentes pièces de la « procédure » pour enfin pouvoir voter de façon électronique aux prochaines élections. Ce n’est pas triste et permet de donner un nouveau sens au mot « incompétence ».

Notez qu’on le savait déjà : les services de l’État sont notoirement incompétents dans tout ce qui touche les nouvelles technologies et internet en particulier. D’un côté, c’est plutôt une bonne chose puisque cela ménage de grands espaces de libertés qui constituent une soupape de sécurité aux incessants piétinements de l’État sur nos droits fondamentaux. De l’autre, cela donne de grand moment de fou rire comme la Saga France.fr par exemple.

C’est donc sans surprise et avec l’habituelle dose d’exaspération qui vient pour tout moutontribuable-citoyen que la « procédure » s’articule en une suite de désappointements, erreurs et échecs lamentables.

Elle commence par une jolie petite lettre, qui explique de façon un peu embrouillée qu’on peut toujours voter dans une urne, par courrier, par procuration, mais que voter de façon électronique est aussi possible moyennant le sacrifice d’un poulet l’envoi d’un identifiant et d’un mot de passe par des canaux différents et à des moments différents.

Lettre de motivation au vote électronique

D’un côté, on reçoit donc un papier (ce qui est si XXème siècle) avec un identifiant. De l’autre, par e-mail, un mot de passe. L’e-mail aura été préalablement phishé pardon récupéré légalement par le Consulat et ne sera jamais utilisé (si si on vous jure) pour du spamming politique. Une fois l’e-mail reçu, pouf, on peut poursuivre la procédure de vote. À noter qu’on peut aussi recevoir l’identifiant par SMS, ça, c’est vraiment trendy mais ça nécessite aussi de laisser votre numéro de portable au Consulat. J’attends le jour où il trouvera une excuse pour demander le groupe sanguin et un extrait pertinent de l’ADN du citoyen. Je suis sûr que ce jour approche.

Bien, à présent, les choses sérieuses. On se connecte au site www.votezaletranger.gouv.fr qui nous apprend au passage que la suite de la procédure implique d’installer des trucs et des bidules sur son ordinateur, et qu’il est probable qu’on doive mettre à jour sa machine virtuelle java, pour la descendre de la v1.7 à une bonne vieille v1.6. Sans compter qu’en plus, des noms de candidats sont incorrects, mais tout ceci est accessoire, après tout c’est électronique dont forcément hype et n’en parlons plus. Bref, on clique sur le gros bouton bleu. L’écran suivant apparaît.

Vote électronique : vérification de la configuration

Pendant de longues secondes, l’ordinateur « analyse » et fait des machins qui gigotent. Ici, il échouera régulièrement, fera des petits time-out désolés, et, après quelques clics douloureux, pourra éventuellement aboutir, une fois la machine java downgradée réinstallée une demi-douzaine de fois, à l’étape vivifiante suivante, dans laquelle on va enfin pouvoir entrer son identifiant et son mot de passe, puisque la configuration n’est « a priori pas bloquante » (quand je vous dis qu’il y a du LOL dans les nouvelles technologies à la française).

Vote électronique : étape 1

Au passage, on se demande furieusement pourquoi il y a besoin de faire tout ce bordel alors que dans le même temps, HTTPS (une connexion sécurisée de base) ne semble pas obligatoire (!) et que de toute façon, comme personne n’a vu le code source des applications gérant le vote, il pourrait s’y trouver absolument n’importe quoi. Ensuite, on valide, et on obtient éventuellement ceci :

Vote électronique : Ah bah non, ça ne marche toujours pas

Ouf, tout va bien.

Bon. À ce point du récit, il est évident que la procédure, ridiculement compliquée et tortueuse, fera rire n’importe quelle personne qui pratique internet depuis plus de trois mois. On a, de nos jours, moins de mal pour consulter son compte en banque, faire un virement, commander des canards en plastique jaune qui font pouic sur Amazon que pour payer ses impôts en ligne (un grand moment de bonheur à base de low kicks dans les parties sensibles) ou pour tout simplement voter. Tout, depuis le choix discutable de la plateforme, jusqu’à la façon dont a été programmée l’application (manifestement dans le noir et avec des gants de boxe), en passant par la localisation des serveurs (en Espagne !), tout montre l’amateurisme et le jmenfoutisme décontracté dans lequel l’ensemble de l’opération aura été réalisée avec le pognon gratuit des autres. On sent l’odeur du champagne et des escorts sémillantes flotter autour de cette réalisation par un stagiaire sous payé dans la cave d’une ambassade quelconque.

Quelque part, je suis assez content de constater que l’intendance ne suit pas.

En effet, le vote électronique est le rêve humide de tous les apprentis dictateurs et des politiciens tels qu’on les connaît déjà, puisque mal implémenté, c’est l’autoroute vers le trucage facile d’élection pour les nuls, sans le moindre scrupule et la moindre chance de se faire attraper. C’est le rêve de tous les éternels magouilleurs du vote, les manieurs fous de la pelle électorale, celle qui exhume les morts par douzaine ou celle qui remplit les urnes de bulletins favorables.

Permettre au citoyen de voter électroniquement, c’est devoir mettre en place une procédure relativement complexe qui doit permettre à ce dernier de s’assurer que son vote a bien été pris en compte, qu’il n’a pas été modifié, et qu’il reste anonyme, et ce, du début à la fin du processus. Aucune de ces exigences minimales n’est pris en compte dans la parodie bricolée et foireuse qu’on nous offre ici.

Rien, absolument rien n’indique que si l’on vote pour le Clown A ou le Clown B, ce ne sera pas le Clown C qui sera enregistré, quelque part, sur le serveur en question. Rien n’indique que le vote n’aura pas été modifié. Rien n’indique que le vote n’aura pas été effacé, oublié, corrompu. Le citoyen n’a, de fait, strictement aucun moyen de s’assurer que son vote se retrouvera bien exprimé.

Si ça se trouve, un employé du ministère, sous le sceau du secret, est en train de remplir, à partir de la fonction ALEA dans Excel, un grand tableau qu’il va ensuite injecter dans la base de données du « vote électronique des Français de l’Étranger », ou, mieux, une fonction habilement construite pour orienter le vote dans le sens qu’on veut. Absolument aucune méthode ne permet de vérifier que ce n’est pas le cas.

Compte tenu de l’Histoire, compte tenu de la facilité évidente qu’offre une telle parodie de vote pour bidouiller le résultat, compte tenu du nombre de députés (une douzaine) et de Français impliqués (plusieurs centaines de milliers), on peut parier que tout ceci n’est pas fortuit, voire drôlement commode.

Si voter, de façon traditionnelle, est déjà, en soi, une fumisterie et un acte sensément immoral puisque permettant d’imposer la volonté d’un petit nombre sur tout un groupe de personnes, voter de façon électronique comme le propose la Diplomatie Française revient carrément à abdiquer ouvertement toute prétention à la liberté de citoyen et plonger dans les délices d’une naïveté confondante.
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