A en croire le tamtam médiatique, les auditeurs de RTL n’auront plus droit, à la rentrée de septembre, au prêche matinal d’Eric Zemmour. Une décision qui ne serait pas liée à la récente sortie de l’éditorialiste sur Christiane Taubira, mais à l’ensemble de son œuvre radiophonique : « Voilà plusieurs semaines que la décision de suspendre la chronique matinale du journaliste avait été prise, l’intéressé étant jugé clivant et partisan. ». Le détail de l’explication peut varier, le fond du problème reste le même et devrait conduire Eric Zemmour, s’il est honnête, à remercier chaleureusement, et publiquement, Radio-Luxembourg.
Car quelle est l’essence du zemmourisme ? Toute la notoriété et le succès du personnage, des talk shows sur la télévision publique aux chroniques écrite et radiodiffusées, tient à un cocktail à la recette clairement établie : (1) la dénonciation des excès d’un certain politiquement correct « progressiste » qui, comme toute idéologie, génère son lot d’absurdités et d’impasses ; (2) la promotion, à des heures de grandes écoutes et sur des médias à large audience, d’une pensée oscillant entre le réactionnaire, et le simplement beauf, sur les femmes, les étrangers ou les jeunes ; (3) la sublimation du tout par une prétention à la subversion, les idées relevant de (1) et (2) étant censées, par nature ou par principe, être en opposition ou en résistance à la pensée unique d’une caste médiatico-politique aussi omniprésente que coupée de la France réelle.
Le paradoxe du zemmourisme est que son succès mine ses fondements. C’est un secret de polichinelle : la prétendue pensée unique (comprendre : féministe, anti-raciste, internationaliste, sociale …), contre laquelle un Eric Zemmour, un Robert Ménard ou une Elisabeth Lévy jurent être en croisade, est de moins en moins unique, et de moins répandue. Un petit exercice facile : pourriez-vous citer un équivalent progressiste (en termes de présence médiatique et de popularité) d’Eric Zemmour ? Personnellement, je sèche. Les idées de sa famille de pensée, par ailleurs, ont considérablement progressé dans la classe politique, tenant par exemple lieu de nouvelle doxa à l’UMP sarkozyste, une fois les chimères de l’ouverture et du ramayadisme définitivement abandonnées par l’ancien locataire de Élysée. Quel est l’originalité ou l’insolence d’Eric Zemmour, quand ses thèses sont quotidiennement reprises, voire durcies, par Claude Guéant ou Guillaume Peltier ?
En vérité, une sourde, sournoise menace planait depuis quelques mois au-dessus de la tête du binôme d’Eric Naulleau : celle de la banalisation. Cette banalisation qui, érodant le clinquant vernis sulfureux de Zemmour, allait finir par faire éclater au grand jour cette terrible réalité : que celui qui se rêve en penseur révolutionnaire n’est en définitive qu’un radoteur sans génie, tournant indéfiniment dans son bocal avec quelques idées convenues, bien loin du brio de la grande tradition française des provocateurs et anars de droite.
Et voilà – divine surprise ! – que la Rue Bayard sauve in extremis son mousquetaire du c’était mieux avant. En le liquidant après Salviac, je cite, pour son caractère « clivant et partisan », elle lui rend son lustre et sa prétention de marginalité, de subversion, qui, ces derniers temps, ne trompait plus personne. Les cris d’orfraie de la réacosphère, qui hurle déjà au stalinisme et à la purge, doivent remplir d’aise la future victime de la prochaine ligne éditoriale de RTL. Tout comme le malaise des militants de gauche qui se voient obligés de rappeler leur attachement à la liberté d’expression. Non, vraiment, si Eric Zemmour ne devait répondre que d’un mot à son employeur, ce ne pourrait être que celui-ci : MERCI.
Romain Pigenel