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Nozick vs Rawls (2) : sur quels principes fonder la justice ?

Publié le 30 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

Quelles différences entre John Rawls et Robert Nozick ? Poursuite de l’étude comparée des fondements de la justice pour ces deux penseurs majeurs du XXe siècle.

Par Damien Theillier.

Lien vers la 1ère partie.

Nozick vs Rawls (2) : sur quels principes fonder la justice ?
On justifie souvent l’extension de l’État à toutes les sphères de la société par le fait qu’il serait le meilleur instrument pour atteindre une justice distributive. C’est notamment l’argument de John Rawls, professeur de philosophie à Harvard et auteur d’un livre qui a fait l’objet d’un large débat parmi les philosophes, économistes et sociologues : Théorie de la justice.

Nous avons vu dans un premier temps comment Nozick avait entrepris de réfuter cette justification en montrant qu’il s’agissait d’une forme de condamnation aux travaux forcés, ce que Bastiat avait appelé « spoliation légale ». Il reste à voir comment :

1° il établit une nouvelle théorie de la justice distributive
2° il plaide pour un État minimal, celui dont les pouvoirs plus étendus ne peuvent être justifiés.

1° La justice comme légitimité

Selon Nozick, traiter les individus comme des « fins en soi » consiste à reconnaître en chacun le seul propriétaire légitime de lui-même, de ses capacités, ainsi que des biens qu’il possède grâce à ses capacités et à son travail. La répartition des choses produites par le moyen de nos talents constitue une violation de notre personne. Cela ne signifie pas que la redistribution est impossible par principe, mais qu’elle est subordonnée au primat de la volonté individuelle.

Ainsi, nous ne sommes pas dans la position d’enfants à qui des parts de gâteau ont été données par quelqu’un qui, au dernier moment, réajuste le découpage du gâteau pour corriger un découpage approximatif. Il n’y a pas de distribution centrale, il n’existe personne ni aucun groupe habilité à contrôler toutes les ressources et décidant de façon conjointe de la façon dont ces ressources doivent être distribuées. La question centrale, au cœur du débat avec Rawls est donc la suivante : Peut-on redistribuer un bien sans tenir compte de qui l’a produit ?

En réalité les ressources appartiennent déjà toujours à quelqu’un et elles sont issues d’une distribution antérieure dont on peut juger la légitimité. C’est pourquoi, pour juger de la légitimité d’une possession, il faut faire son histoire et se demander dans quelles conditions elle a été acquise. De même, la pauvreté doit être jugée en fonction de son origine : spoliation, imprévoyance, incapacité ?

Ce que chacun possède, il l’a obtenu à la suite d’une transaction. Une distribution est juste si elle naît d’une autre distribution juste grâce à des moyens légitimes. Le principe achevé de la justice distributive dirait simplement qu’une distribution est juste si tout le monde est habilité à la possession des objets qu’il possède. Cette théorie de la justice s’énonce à travers trois principes :

• Principe de justice dans les acquisitions : le fait de posséder un bien est juste si ce bien a été acquis par le travail, par un don ou par un échange marchand.

• Principe de la justice dans les transferts : un échange est juste s’il est libre et s’il est fondé sur des règles connues et admises par tous.

• Principe de correction des injustices passées : ce principe s’applique quand un des deux principes de base a été violé. Par exemple, l’indemnisation des victimes d’actes criminels.

Pour savoir à qui appartient légitimement un bien, il suffit de s’intéresser aux modalités de son acquisition. La répartition des biens est juste si chaque personne a droit aux siens.

Une illustration : la fortune de la star du baskett Wilt Chamberlain est-elle injuste ?

Nozick vs Rawls (2) : sur quels principes fonder la justice ?
Dans Anarchie, État et Utopie, Nozick imagine que Wilt Chamberlain (star américaine de la NBA dans les années 1970, mort en 1999) négocie un contrat tel que chaque personne donne 25 cents de plus pour assister à ses matchs. Si un million de spectateurs se déplacent pour le voir jouer, Chamberlain aura donc gagné 250 000$ de plus que n’importe quel autre joueur de la NBA. La nouvelle répartition des biens qui fait de Chamberlain un homme riche est-elle injuste ? Non, répond Nozick, car elle résulte de transferts librement consentis. « La question de savoir si une distribution est juste dépend de la façon dont elle née. »

La justice ne réside donc pas dans le résultat de l’échange, mais dans le respect des droits de propriétés et des contrats librement passés entre les individus. « Toute chose qui naît d’une situation juste, à laquelle on est arrivé par des démarches justes, est elle-même juste ».
Soit D1 : une distribution égalitaire de biens et D2 : une nouvelle distribution qui résulte d’un échange de biens. Si D1 est juste et si D2 est le produit d’un consentement, alors D2 est juste.

Ce qui fait la justice dans la possession d’un bien, c’est la manière dont il a été acquis au cours d’une histoire. « Quiconque a fabriqué un objet, écrit Nozick, l’a acheté ou a établi un contrat pour toute autre ressource (…) a des droits sur lui. Les choses viennent au monde déjà rattachées à des gens ayant des droits sur elles. »

2° Plaidoyer pour l’État minimal

Quelle place les droits de l’individu laissent-ils à l’État ? Un État d’anarchie, un État de nature, un État minimal, ou un État redistributeur ?

Si les individus ont des droits, et s’il est des choses qu’aucune personne, ni aucun groupe, ne peut leur faire (sans enfreindre leurs droits), il faut logiquement soutenir l’idée d’un État minimal « qui se limite à des fonctions étroites de protection contre la force, le vol, la fraude, à l’application des contrats, et ainsi de suite. » L’État n’est justifié, selon Nozick, que s’il est strictement limité à ses fonctions essentielles de protection des droits individuels et des contrats. Toute activité plus étendue, démontre l’auteur, viole inéluctablement les droits de l’individu. Et ce constat a une conséquence fondamentale : « L’État ne peut employer son appareil de contrainte afin d’amener certains citoyens à aider les autres ni pour interdire des activités à certaines personnes, dans leur bien ou afin de les protéger ».

Se fondant sur la philosophie aristotélicienne, les penseurs dits « communautariens », Alasdair MacIntyre ou Michael Sandel, ont contribué au débat critique autour de l’œuvre de Rawls. Selon eux, l’individu n’est pas un « soi » vide et indéterminé, une pure liberté. Il est incarné dans un certain nombre de structures biologiques, sociales et morales, il a une nature qui se manifeste par des dispositions spécifiques. Il leur paraît donc nécessaire de réactiver la conception aristotélicienne de l’homme comme animal politique, qui ne peut réaliser sa nature humaine qu’au sein de la société. Par ailleurs, les communautariens rappellent justement, contre Rawls, que la société ne peut reposer uniquement sur des principes juridiques et contractuels mais qu’elle a besoin pour vivre de valeurs morales partagées et de traditions culturelles communes.

De son côté, Nozick a souligné que sa vision de l’État minimal était compatible avec l’existence de petites communautés fondées sur différentes théories de la justice. Un groupe qui souhaiterait former une communauté socialiste régie par une théorie égalitaire serait libre de le faire, tant qu’il ne force pas les autres à rejoindre sa communauté. En effet, chaque groupe a la même liberté de réaliser sa propre idée d’une bonne société. De cette façon, selon Nozick, l’État minimal constitue un « cadre d’utopie ».


Article paru initialement sur 24hGold. Sur le web


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