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barré

Publié le 19 mars 2008 par Deklo
  Il se trouve que non, mon écriture ici n’est pas barrée comme elle est vouée à l’être, barrée, c’est le mot qui est dit, quand on me dit : « ce que tu écris est complètement barré, ça m’amuse » ou « alors quand tu te mets à parler de mère Térésa dans ton article, jusque-là on suivait, mais là on se dit que tu es fou », etc. Barrée : qui est partie, qui « part en vrille », et puis rayée aussi, biffée, attaquée…
  Je ne veux pas avoir de savoir-faire, ni de compétences, je dérègle, je barre. Je le fais mon travail d’écriture, je l’ai repris par un autre bout. Ca donne un humain à la tâche, un humain qui se démène pour s’organiser. Qu’il rate, ça n’a plus aucune importance. Il se démène. Ce n’est pas possible de ne pas ressentir la tentative de krach que je mène simplement rien qu’avec l’écriture. Ce que je mets en jeu. Ce que j’effondre. La puissance que c’est.
  Je veux dire, les gens qui dansent en cercle en priant de leurs transes sudoripares leurs dieux, les gens qui partent dans leur délire solitaire vers nulle part, au milieu de l’agitation de l’océan ou sur l’âpreté féroce d’une montagne, d’un volcan, les gens qui fabriquent les armes qui détruiront un jour le monde, le feu nucléaire, le feu vaudou, le feu pyromane, le feu magmatique, aucun feu n’a ni la chaleur, ni l’incandescence, ni la puissance de celui que je tiens entre les mains quand j’écris.
  Et que je me décourage. Que la tâche me tue. Que je me brûle donc. Aussi dur que cela soit. C’est bien fait. C’est que je n’ai pas encore tout effondré.
  Je suppose qu’il y a intérêt à choisir son travail tant qu’on ne sait pas si ce qu’on travaille c’est l’objet ou soi-même.
  Je ne crois pas à la capacité libératrice du travail, ni à celle thérapeutique. Je crois à sa capacité d’aliénation. Je n’ai rien contre l’aliénation. Je veux simplement voir ce qu’il se passe quand on a pété tous les axiomes. Je suis très curieux, c’est tout. Et alors vraiment, mais vraiment je n’ai pas froid aux yeux.
  Il se trouve que non, je n’emmerde pas le monde ou les gens, parce que eh bien, avec toute la capacité que mon intérêt a à s’abattre sur les choses, le monde n’est pas pour autant toujours très intéressant. Ca ne veut pas dire que c’est déceptif. Simplement ce n’est pas très grave plutôt.
  La plupart des choses ne sont pas très graves. Désolé. Comment dire ça…
  La plupart des choses n’ont vraiment aucune autre importance que celle qu’on leur donne, il s’agit de savoir plutôt pourquoi on leur donne une telle importance par exemple.
   Laisser s’effondrer les choses, c’est aussi ne plus accorder aucune importance à rien. Et là, alors, le vacarme que tout ce déploiement frénétique d’énergie cherche à faire taire en le couvrant de son vacarme, par la foi, l’alcool, l’abrutissement, l’anesthésie, la mort, là il se trouve qu’il éclate.
  Il y a des bruits que l’on n’entend pas dans tout ce vacarme. Par exemple tout ce qui ne fait pas de bruit. Et ça ne veut pas dire que ce n’est pas assourdissant.
  Alors je ne vais pas tout expliquer depuis le début. Péter les axiomes du savoir-faire et des convenances, voir si la terre est plate, bousiller les idéaux, aller là où la société de l’homme n’a pas balisé, prendre le risque de tout perdre, de se perdre, ce n’est un risque que tant qu’il n’est pas pris, effondrer, etc. Et puis au fait que mon écriture soit barrée, partie, attaquée, c’est qu’elle se fait réfractaire, qu’elle se rétracte, qu’elle ne se comprend pas, qu’elle ne se laisse pas altérée, qu’elle ne se tient pas pour dite, qu’elle est inapplicable, qu’on ne peut rien en faire, qu’elle renvoie le lecteur à lui-même, qu’il se débrouille, qu’il ne peut pas s’appuyer dessus, la citer, la rendre décorative, en former un savoir/pouvoir, qu’elle est déréglée, qu’elle ne ressemble à rien, surtout qu’elle ne ressemble jamais à rien.
  Je m’arrête là. Il y a un certain nombre de choses que je n’aborderai pas maintenant.

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