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Interdire la fermeture des sites industriels « viables » : un symbole malencontreux

Publié le 31 mai 2012 par Copeau @Contrepoints

Pour lutter contre la désindustrialisation, la gauche entend interdire aux entreprises de fermer des sites « viables ». Le QG de campagne législative du nouveau président y voit une « mesure symbolique de début de mandat ». Est-ce vraiment une bonne idée ?
Par Jean Martinez (*).
Publié en collaboration avec l’Institut des libertés.

Interdire la fermeture des sites industriels « viables » : un symbole malencontreux

Un article du Monde du 10 mai annonce une priorité législative en matière de lutte contre la désindustrialisation : interdire aux entreprises de fermer des sites dits « rentables ». Cette annonce réactive une proposition de loi déposée par François Hollande et plusieurs députés socialistes le 28 février, tendant à « garantir la poursuite de l’activité des établissements viables notamment lorsqu’ils sont laissés à l’abandon par leur exploitant ».

En synthèse, le dispositif permettrait au tribunal de commerce d’imposer la cession du site menacé à un repreneur, si ce dernier présentait un projet jugé pertinent et que, dans le même temps, l’entreprise refusait toute cession.

Le texte socialiste se propose, louable objectif, de combattre la désindustrialisation. On se demande toutefois si celle-ci est bien appréhendée lorsque l’exposé des motifs fait état de 900 fermetures d’usines au cours des trois dernières années, sans dire que dans le même temps 515 unités de production se sont installées en France, aboutissant à un solde de – 385. De plus, une part des emplois industriels affectés ont été externalisés et n’ont donc pas été détruits mais transférés vers les services. La crise a indubitablement atteint l’appareil productif de notre pays, mais la réalité doit être décrite de manière complète sans céder à l’attrait des chiffres-slogans.

Que faut-il penser de la notion de « sites viables » ? Elle prend le contrepied de la jurisprudence sociale, qui apprécie les difficultés économiques non pas au niveau du site, ni même au niveau de l’entreprise, mais au niveau de l’ensemble du groupe ou au niveau du secteur d’activité concerné dans le groupe – et ce tous pays confondus.

En d’autres termes, en droit français, il est admis qu’une entreprise dispose d’un motif économique valable pour fermer une usine, même si celle-ci est viable, dès lors que le groupe ou le secteur concerné dans le groupe connaît des difficultés économiques ou une perte de compétitivité. On aboutirait ainsi à un dispositif schizophrène, où l’employeur devrait toujours démontrer un motif économique d’ordre global en application de la loi actuelle, tout en encourant désormais une vente forcée de ses actifs à raison de leur viabilité « locale ».

Une telle loi serait-elle constitutionnelle ? Les rédacteurs de la proposition ne font pas mystère de l’atteinte au droit de propriété qu’elle recèle mais prétendent que les conséquences économiques et sociales d’une fermeture la justifieraient. Cependant, les atteintes aux droits constitutionnels ne doivent pas être excessives au regard de l’objectif poursuivi. Tel semble le cas d’une expropriation de l’employeur au nom de conséquences que la loi oblige déjà à limiter par le reclassement et la réindustrialisation.

Enfin, une telle loi serait-elle susceptible d’atteindre l’objectif souhaité sans créer des effets induits qui en anéantiraient les hypothétiques bénéfices ? Notons d’abord que les entreprises qui souhaitent se désengager d’un site ont tendance à chercher un repreneur pour éviter les coûts considérables – d’indemnités légales et négociées, de temps, de risque judiciaire – afférents à un licenciement collectif. Ensuite, aux yeux d’investisseurs étrangers, la perspective d’une vente forcée d’actifs industriels (ce qui peut inclure des outils, des contrats, des brevets) constituerait évidemment une désincitation à s’installer sur notre sol. Le QG de campagne du nouveau président y voit une « mesure symbolique de début de mandat ». À l’heure où la France doit se battre dans la compétition internationale, ce symbole pourrait être malencontreux.

Comme le rappelle le récent Livre vert de la Commission européenne, les restructurations s’inscrivent dans le processus normal d’une économie et sont indispensables à la compétitivité des entreprises. La bataille doit être menée sur le front de l’attractivité du territoire et de l’accompagnement social des salariés au travers des mutations économiques. Elle sera menée en pure perte sur la voie malthusienne de l’empêchement des licenciements (récemment disqualifiée par la Cour de cassation dans l’affaire Viveo) comme sur celle, faussement providentielle, de la vente forcée des sites « viables ».

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Sur le web.

(*) Jean Martinez est avocat au sein du cabinet Hogan Lovells. Ancien de L’IFP, bourse Tocqueville.


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