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La monnaie, histoire d’une imposture

Publié le 01 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

Philippe Simonnot et Charles Le Lien, dans un livre aux fondements historiques solides, montrent que l’abandon de l’étalon-or est la source principale des difficultés monétaires de ces dernières décennies. Chronique du livre « La monnaie : histoire d’une imposture » (éditions Perrin, mai 2012).

Par Jacques Bichot.

La monnaie, histoire d’une imposture
Les analyses de la crise de la zone euro se fondent le plus souvent sur la théorie des zones monétaires optimales. Le projet de création d’une monnaie unique a tout de suite été critiqué du fait que l’Union européenne était trop disparate, pas assez solidaire, pas suffisamment intégrée économiquement et politiquement. La suite des évènements a montré que ces craintes étaient fondées : l’hétérogénéité des pays membres de l’Euroland et les facilités que l’appartenance à cette zone apporte aux pays dont les habitants ont tendance à ne pas produire autant qu’ils consomment constituent bien la raison principale du marasme actuel.

Mais si le laxisme est la cause immédiate des malheurs de l’Europe, quelle est la cause de cette cause ? Cette question est l’objet du livre de Philippe Simonnot et Charles Le Lien : « La monnaie, histoire d’une imposture » (Perrin, 2012 – paru le 31 mai). Comme il se doit, leur enquête est à la fois historique et analytique. Ils testent leur conception de la monnaie dans le grand laboratoire que constituent deux ou trois millénaires d’organisation monétaire de la vie en société, pour aboutir à la conclusion que la cause principale de nos désordres monétaires est l’abandon de la référence à un bien monétaire tel que l’or. L’imposture dont fait état le titre de leur ouvrage est ce que j’avais appelé la coupure du cordon ombilical [1] entre le « fabuleux métal » et la numération, mise en œuvre à l’aide de créances, de comptes et de billets, qui constitue depuis longtemps le cœur de la technique monétaire.La convertibilité en or est en effet, aux yeux des auteurs, ce qui interdit aux agents, et tout particulièrement aux États, de tricher, d’utiliser la forme numérique de la monnaie pour en créer à leur profit de façon à pouvoir s’approprier des biens et des services au-delà de ce qu’ils produisent ou prélèvent.L’ouvrage montre par exemple que durant les deux dernières décennies, les États ont pu s’endetter outrageusement grâce au ratio Cooke, qui « ne prend pas en compte les crédits bancaires accordés par les banques aux États sous prétexte qu’ils seraient sans risque. » Nous sommes bien là au centre du dispositif de monétisation des dettes publiques, laquelle monétisation a été depuis 30 ans le fait des banques de second rang bien plus que des banques centrales. Celles-ci sont simplement venues au secours des établissements fragilisés par le laxisme généralisé des politiques de crédit.
La monnaie, histoire d’une imposture

Philippe Simonnot (CC, Wikibéral)

Mais pourquoi ce laxisme ? Les banques centrales n’ont pas tenu la bride serrée aux banques commerciales parce qu’il est difficile d’imposer aux autres une discipline si l’on est soi-même libre de faire quasiment n’importe quoi. Et la seule discipline qui puisse être appliquée aux banques centrales est, disent nos auteurs, l’étalon-or. Ils ont vraisemblablement raison, même si leur sympathie pour une conception « réaliste » de la monnaie (monnaie marchandise ayant une valeur intrinsèque) n’entraîne pas forcément l’adhésion. Qu’est-ce qui peut bien obliger les banques centrales à jouer les Pères Fouettard plutôt que les Papas Noël, si ce n’est la peur de la diminution de leur stock d’or, susceptible de déboucher sur une faillite ?

Nos auteurs attachent naturellement une grande importance au 15 août 1971, jour où le Président Nixon rompit le lien – devenu à la fois ténu et gênant – entre le dollar et l’or. Mais l’intérêt de leur ouvrage est de montrer que depuis la création de la Bank of England à la fin du XVIIe siècle, les banques d’émission, puis les banques centrales ont servi aux États à être de moins en moins liés par la contrainte de l’équilibre budgétaire.Ces institutions se sont interposées entre le citoyen et le métal précieux : autorisées à rembourser les dépôts en billets plutôt qu’en monnaies métalliques, les banques commerciales ont été ainsi protégées de la sanction naturelle que constitue un « run » [2]débouchant sur la faillite faute d’or en suffisance dans les coffres. Lorsque le système de réserve fédéral lui-même fut affronté à la diminution du nombre de tonnes d’or entreposées à Fort Knox, l’inconvertibilité du dollar en or supprima (comme l’inconvertibilité du Franc et du Mark en 1914, mais de manière plus irréversible) cette dernière forme de sanction automatique.« Le gardien du gardien de la monnaie », c’était l’or, disent très justement Simonnot et Le Lien, en regrettant que désormais il n’existe plus de gardien des gardiens. Le FMI a un peu joué ce rôle, mais sa trousse de secours a pris plus d’importance que son gros bâton. Seule la convertibilité en or permettrait d’instaurer une discipline monétaire et budgétaire compatible avec le fonctionnement harmonieux de l’économie.Il faudra certainement un second ouvrage pour exposer plus en détail les perspectives d’étalon-or ouvertes en conclusion par ces auteurs, et en faire une première étude d’impact et de faisabilité. « Mettre fin au monopole d’émission, dénationaliser les banques centrales, abroger les lois instituant le cours forcé des monnaies et le cours légal, défiscaliser la négociation de l’or » : Quid de la mise en œuvre de ces propositions, et quels seraient précisément leurs effets ?La critique effectuée par Philippe Simonnot et Charles Le Lien n’est pas de celles qui méritent d’être jugées trop faciles : solidement documenté, rempli d’arguments pertinents, leur ouvrage est de grande qualité. Reste que l’art est difficile : messieurs, à vos plumes !—Article paru initialement sur le Cercle – Les Echos. Acheter le livre sur Amazon.
  1. J. Bichot, Huit siècles de monétarisation, Economica, 1984.
  2. Ruée sur les guichets pour se faire rembourser.

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