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Un horizon sociétal nommé croissance ?

Par Alainlasverne @AlainLasverne

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e paysage du désastre n'a cessé de se déployer depuis 2008, année de la crise financière. L'Etat, resté sans solution comme sans résultat significatif, est sommé aujourd'hui de prendre la mesure de ce cancer social et les mesures d'ampleur qu'il nécessite.

La réponse qu'il semble vouloir donner tient en un mot : « croissance », qui a souvent pour corollaire l'onction protectrice qu'on appelle « régulation ».

Hors « croissance » renvoie à « production », activité principale de l'entreprise. L’État, les politiques sont de nouveau dévoués à la croissance. Mais la production et la croissance corrélative ne peuvent constituer l'objectif central d'un état, si ce n'est pour les dirigeants d'entreprise ou les politiques au service des dirigeants d'entreprise.

Un État existe d'abord pour servir, par des normes et des institutions qui organisent la vie en société, les citoyens qui l'ont pensé, voulu et constitué au fil des générations. Vie en société qui doit être axée sur un progrès qualitatif, avec une dimension nécessairement collective qui se définit et s'incarne en une valeur commune et cardinale, l'égalité.

L'entreprise en régime concurrentiel est essentiellement asociale et inégalitaire.

Ceux qui la dirigent en captent l'essentiel des bénéfices – patrons et éventuels actionnaires – contrairement au salarié lambda, dont on n'a pas besoin de rappeler la modicité du salaire moyen et la difficulté à obtenir une quelconque augmentation... Ces mêmes dirigeants à l'égoïsme structurel et actif, perçoivent les institutions et règles de la société comme des entraves qui empêchent la croissance de leur entreprise. Ainsi du salaire minimum qui constitue un «frein insupportable » à la « flexibilité » de l'entreprise, corne partout le Medef. Ainsi des protections internes à l'entreprise, comme les normes de sécurité, ou externes, tels les filets sociaux que les patrons rechignent à accepter, mettre en place et financer – lors même que c'est l'argent du salaire socialisé qui paye ces règles et moyens de vie collective minimale, sinon correcte.

La croissance est l'objectif central et unique de l'entreprise. On ne compte plus les auteurs de manuels d'économie bien dégagés au-dessus des oreilles bramant qu'une entreprise dont la taille, la production et les bénéfices stagnent est morte à terme. Un état doit-il adopter ce même mot, ce même standard ? Avant d'y répondre, il ne faut pas oublier que les mots contiennent des choses, définissent un parcours. Adopter la « croissance », c'est adopter le pas et les valeurs de l'entreprise.

Alors, la vie en France doit-elle être « croissante » ? Si l'on en croit les professionnels de la politique d'un côté et de l'autre de « l'échiquier » politique, comme dirait Barbier, l'abonné de l'émission de Lagardère que tout le monde connaît, la réponse est positive.

Quelques simples questions permettent pourtant de douter du simple bon sens de ceux qui crient « la croissance !», comme certains médecins « le poumon !»...

C'est plus de « croissance » qui va ramener la politique dans le giron citoyen ? C'est plus de croissance qui va obliger les politiques à une vie sobre, une activité intègre, une rigueur au service de la collectivité ? C'est plus de « croissance » qui va faire une carte électorale élisant un député avec le même nombre de voix qu'un autre ? C'est plus de « croissance » qui va faire baisser les prix avant qu'il n'envoient vivre dans la rue une fraction significative des français ? C'est la « croissance » qui va empêcher qu'on paye des loyers pour des appartements aux pièces de 10 m2 de surface où il fait froid en hiver et chaud en été, au quatrième sans ascenseur, avec plancher gondolé, douche si petite que s'y laver devient une prouesse de gymnaste, chauffage dont seule la facture est réellement conséquente et rappel immédiat par le marchand de sommeil qu'on appelle « propriétaire » si vous avez un seul jour de retard pour certifier de votre chèque son racket ?...

N'importe qui pourrait continuer longtemps la liste des fractures, des dysfonctionnements et des coups de couteau portés au contrat social, pour lesquels la croissance ne sera d'aucun remède. Ce, pour une bonne et simple raison.

La « croissance » n'a rien à voir et n'apporte rien de concret aux valeurs républicaines qui expriment nôtre contrat social, notre volonté de vivre ensemble et de continuer à bâtir un vivre-ensemble meilleur que l'homme solitaire et braquant ses forces comme ses plans contre les autres. Elle ne parle pas de ce qui nous lie mais de ce qui nous oppose, la concurrence des produits, la différence de la richesse. C'est un objectif qui réussit la prouesse d'être vide et pourtant tout à fait nuisible. Une sorte de mirage informe agité aux yeux des imbéciles.

Nous avons eu des décennies de croissance ininterrompue et l'économie mondiale ne s'est jamais aussi mal portée. Certains, peut-être conscients de cela et soucieux de dissimuler les coups qu'ils infligent à la société en prétendant lui offrir un baume, posent le mot « régulation » sur leur gâteau.

Si l'on se transporte dans le monde brutal du MMA – Mixed Martial Art -, mélange de tous les arts martiaux qui a du succès aux USA et un peu en France, on constate que celui-ci est pourvu de réglementation strictes. Impossible de faire s'affronter des catégories de poids différentes ou de porter des coups derrière la tête, ou encore de frapper aux parties.

La régulation, dans cet univers, consisterait à donner aux agents des combattants la possibilité de définir l'amende normale et supportable pour contrevenir à ces règles, en assortissant, pour la bonne moralité, les amendes d'éventuelles suspension en cas de mort ou d'invalidité permanente des combattants. Les condamnés auraient le droit de faire appel de toute condamnation, ce recours étant suspensif de la peine.

« Réguler » la « croissance », c'est donner licence pleine et entière à l’État de faire tout ce qu'il est possible pour alimenter le combat solipsiste, furieux et destructeur de société mené par les entreprises. C'est transformer l’État en un holding général visant à dénouer la société, araser les valeurs qui la fondent et la traversent en permanence pour notre bien, notre devenir, notre existence même.

L'objectif croissance est un échec, même et surtout dans le domaine économique. D'ailleurs, les périodes de prospérité n'ont pas été dues à la croissance, mais au fait que la société où se déployait la guerre économique de tous contre tous au profit de quelques-uns, recelait encore des acteurs politiques et citoyens forts qui ont imposé l'idée que le peuple prenne sa part et sa grande part de l'argent que lui-même produit.

La « croissance », si on continue à la prôner, à l'accepter comme valeur, à faire de cet ensemble vide, de ce vocabulaire hors-sol et littéralement insensé, notre boussole, engendrera forcément une extension du domaine de la compétition économique régulée. Corrélativement, les valeurs et le périmètre sociétal s'en trouveront encore réduits. La "croissance" ne cessera de ruiner notre pays, tous les pays du monde d'ailleurs, on le voit chaque jour un peu plus.

Sa nature est telle qu'elle produit exactement l'inverse de ce qu'elle promet.  Elle est un concept tout à fait particulier et limité à l'entreprise concurrentielle. Son importation dans le politique pour en faire une valeur générale est un échec patent. Non seulement elle ne répond nullement à nos questions, mais elle est un problème qui est rien moins que...Croissant.

Grâce à elle, toutes les tendances fondamentales de l'économie actuelle s'exaspèrent. Les prix explosent et les produits sont toujours plus mauvais. Pour la croissance on plie les gens, on les jette, on les affame, et on les tue là-bas dans les contrées exotiques, s'ils refusent. Dans les pays developpés on les conduit à se suicider, ce qui est quand même nettement plus démocratique.

La "croissance" a démarré avec la révolution industrielle

Elle est basée sur le commerce des choses, dont on sait depuis l'origine qu'il est fondamentalement truqué. Le commerçant économiquement parfait metraitt en vente du vent, à un prix astronomique. La croissance est née et prospère sur la forme hystérique et contemporaine du commerce, le capitalisme, qui a ajouté au commerce l'exploitation des salariés.

Est-ce bien ainsi et pour cela que les hommes doivent vivre ?


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