En se proclamant « le plus capé » pour décrocher le moment venu la timbale de président du parti du précédent chef de l’Etat, Alain Juppé dévoile une partie des jeux stratégiques en cours dans les coulisses de la vie politique. Parmi les mousquetaires qui estiment que le job est fait pour eux, l’élu bordelais braconne dans les allées du lexique du football. Et comme on n’est pas populaire sans raison, il livre sa trouvaille selon un buzz bien orchestré qui prend fin par le démenti du dit. Re–buzz. Un nouveau cas de communication publique qui enchante les commentateurs de la médiasphère est livré gratuitement par téléchargement.
Un des principes de la communication publique est d’optimiser l’effet de surprise qui déclenche l’étonnement, nécessaire préliminaire à la sidération qui éteint pour un temps plus moins long toute préoccupation connexe. Pour réussir une fausse confidence à intention de forte résonnance, il est bon de passer de la déclaration à la déclamation. D’abord, la déclaration à Paris-Match : il s’agit de mettre au tapis ses rivaux au terme d’une paisible valse qui vaut raisonnement. L’un est… l’autre veut… Quant à moi, je suis… Revue de détail de l’habileté ternaire façon énarque (que ce qu’on mérite) : L’un « est intelligent, organisé, pugnace, mais il est trop autoritaire. Il n’écoute personne. C’est lui devant et tout le monde derrière, en rang par deux ». L’autre « veut les choses sans les vouloir. Uniquement s’il est sûr de gagner. Mais il ne monte jamais en première ligne. Tous les deux préparent 2017 ». Quant à moi, « Pour l'instant, je les laisse s'écharper entre eux, mais je vais me lancer. Je suis le plus capé. Il n'y a pas photo ». (Le Monde.fr, 31.05.2012 à 15h37). Puis vient le temps de la déclamation sous forme de commisération vaguement triste : « Je n'ai jamais tenu ces propos », « le mot capé n'est pas dans mon vocabulaire ».
En tout cas, « je suis le plus capé » est désormais dans le vocabulaire commun. La formule en a surpris plus d’un. Les journalistes sportifs emploient ce terme plus dans les commentaires en direct qu’à l’écrit. Le terme fait allusion au nombre de sélections des footballeurs dans les équipes nationales même si d’autres sports y recourent aussi. Un joueur "capé" est un joueur qui affiche au moins une sélection. C’est le nombre de sélections qui taille l’image de « capé ». Les joueurs les plus capés accumulent les sélections. Individuellement, être capé est une indication biographique, une sorte de CV de l’excellence qui ne dit rien toutefois de la performance. Dans le monde des joueurs, être le plus capé, c’est afficher un grand nombre de sélections et figurer en tête du classement international. A ce jour, c’est Lilian Thuram, qui est, avec 142 sélections, le joueur français le plus capé. Il est loin derrière Ahmed Hassan qui a disputé en mars 2012 son 179ème match international.
Que veut signifier l’intéressé en utilisant une expression venue du football business ? En se proclamant le plus capé, il passe du statut de candidat à celui de compétiteur et cherche à figurer en bonne place dans le mercato des politiques en attente de transferts. D’un usage fréquent dans le registre sportif, le terme capé fait une incursion dans le champ du discours politique. Il n’est sans doute pas prêt d’en sortir. Combien de capés pour prétendre à telle investiture ? De gauche comme de droite, s’accumulent les exclusions de candidats non investis qui souhaitent néanmoins renouveler leur mandat au nom de leur expérience ou d’une légitimité dont ils sont parfois les seuls convaincus. Certains sont capés, d’autres pas. Toujours est-il que la fortune du terme va croître. Si un présidentiable se dit capé, nul doute que tout candidat à d’autres fonctions pourra revendiquer cette qualité. La contamination du discours politique par d’autres registres met en lumière la banalisation de la fonction élective. Est donc capé celui qui sait accumuler et cumuler les fonctions, les mandats, les titres pour en briguer un autre. Un petit dernier pour la route en somme, pour rester le plus capé.
En s’auto-complimentant, l’ancien ministre pense avoir posé l’argument qui fait mouche alors qu’il révèle une stratégie d’ambition et met à nu les ressorts de la politique-spectacle. La téléréalité impose ses codes : le plus capé élimine Le Maillon faible. Voudrait-il dire que faire de la politique est une autre façon de faire du sport ? D’où l’intérêt d’être bien capé !