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Laisser s’envoler la douleur

Publié le 09 juin 2012 par Lheureuseimparfaite @LImparfaite

Laisser s’envoler la douleur

J’ai besoin de mettre de la douceur dans mon univers et de la couleur autour de moi. Parfois j’ai des envies dégoulinantes de mièvrerie, je signerais volontiers tous mes articles avec des licornes scintillantes et des arcs-en-ciel kawaii. Histoire de compenser, de trouver une parade à toutes mes noires idées, de mettre du baume sur ces fichues blessures qui refusent de cicatriser complètement.

Je veux bien faire tous les efforts du monde pour avoir une pensée positive et autres banalités du genre “voire le verre à moitié plein” & “prendre la vie du bon côté“. C’est tellement simple pourtant, qu’est-ce que j’attends franchement pour aller définitivement bien puisque “quand on veut, on peut“.

J’attends de ne plus être rattrapée par mes rêves, mes cauchemars plutôt, mes insomnies et mes crises de rage ou de larmes soudaines. La journée je me sens de nouveau fatiguée et sans force, mes bras ont l’air de peser des tonnes. La nuit mes jambes me réclament du mouvement et mon cerveau tourne à toute allure.

J’ai si longtemps été ma pire ennemie. Je croyais avoir enfin fait la paix avec moi-même, être débarrassée de mes démons et pouvoir enfin vivre une vie “normale“. Par pitié, pas de morale bien pensante ni de platitudes éculées sur l’absence de “normalité” en ce monde… Attendez d’abord que j’explique ce désir profond de normalité.

Histoire de vie assez banale, mais dans laquelle j’aurais bien aimé un peu plus de petits bonheurs.

Entrée à la maternelle. Mes parents sont divorcés. J’ai très peu de souvenirs de mon père, de mon géniteur. Si ce n’est quelques séances de cris… Je ne comprends pas pourquoi les autres enfants jouent “au papa et à la maman”. Enfant solitaire. Je grandis. Irruption d’un beau-père, pas commode. Adolescence. Collège joyeux, j’aime rire. J’apprends aussi pourquoi mon père a disparu. J’apprends son alcoolisme et les coups portés. Enfin les cris s’expliquent. Lycée. Le début des emmerdes. Je m’isole de plus en plus. Début de la fin.

Bienvenue dans le monde passionnant et enchanté des troubles alimentaires. Anorexie me voilà. Qu’importent mes motivations. Très vite je plonge dans la boulimie violente et compulsive. J’ai dû passer 7 longues années partagées entre la cuvette des toilettes à me faire vomir, une quête incessante de bouffe grasse, sucrée, bourrative (et pas chère…j’y ai dépensé une véritable fortune), à me faire exploser le ventre jusqu’à pleurer de douleur, des heures de sport pour gommer les traces de mes orgies, des mois d’hospitalisation pour réapprendre à manger.

Qu’est-ce que j’ai pu me sentir conne et totalement inadaptée sociale de ne même être foutue de manger normalement, aussi grotesque qu’un être humain qui ne saurait pas respirer…

Evidemment dans le monde merveilleux de la boulimie/anorexie, les troubles alimentaires se chargent de faire le vide autour de vous. La solitude s’installe. Et les maladresses de l’entourage ne sont pas d’une grande aide. Les psy ne sont pas non plus toujours des plus doués.Certains sont efficaces et expérimentés (d’ailleurs je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui sans eux, je leur en reste plus que reconnaissante) et puis il y a la grande famille des charlatans incompétents. Comme ceux qui ne se rendent pas compte de la profondeur de votre malaise et vous gavent de psychotropes et rassurent vos parents la veille d’une nouvelle TS !

Moments de faiblesse et de désespoir, j’ai parfois envisagé “la solution finale“. Par chance je n’ai jamais réussi à accumuler suffisamment de cachets (ou alors ceux ci avaient un effet émétique) ni à appuyer suffisamment fort sur les lames du ciseau. Une entrée dans l’âge adulte des plus joyeuse donc !

J’ai donc longtemps cru que mon souvenir le plus désagréable serait celui du lavage d’estomac, un long tuyau en caoutchouc enfoncé jusqu’à l’estomac dans lequel des urgentistes envoient de l’eau pour siphonner cette foutue poche gastrique.  Longtemps cru aussi que mon souvenir le plus honteux et le plus douloureux serait celui de ma mère penchée sur moi à mon réveil et cette pensée fugace “je suis encore là”…

Mais je ne sais trop comment, finalement je m’en suis sortie. Pas sans peine. Pas toute seule non plus. Ce n’est vraiment pas le genre de troubles pour lesquels la volonté seule peut suffire… Ma première victoire, qui peut sembler bien dérisoire, ce fut ce jour où j’ai enfin réussi à me préparer une tartine beurrée pour le petit déj’ sans que cela tourne à la crise ! Oui un peu de beurre ça n’a l’air de rien, mais là je mettrais bien trois licornes magiques pour souligner l’importance de cet évènement !

Adios psy et compagnie, re-bonjour le vie ! Oui mais, mierdas… Bongiorno l’Éducation Nationale ! Et là je devine l’incompréhension totale… Spiegazione : quand tu décroches ton concours la charmante amministrazione dell’educazione nazionale et bien elle prend un peu/beaucoup pour un bouche-trou qu’elle peut envoyer par monts et par vaux à travers toute la France (ou presque) du jour au lendemain. Et c’est comme ça que tu cultives encore vachement ton cercle d’amis avec la petite bagatelle de 6 déménagements en 6 ans, je ne sais plus combien de villes ni de postes différents…

Mais tout va bien,  je vais bien, ce n’est pas quelques petites centaines de kilomètres par semaines qui vont venir à bout de ta nouvelle vie et de ta bonne humeur.

Juste quelques replongées dans ces foutues eaux troubles parfois, parce que la vie elle n’est pas toujours ta BFF quoi. Genre quand tu perds tes grands-parents, qu’un cancer arrache un proche beaucoup beaucoup trop tôt, que la famille vole en éclats, que des mecs te brisent le coeur et te cocufient gaiement (sacrés gaillards!). Larmes, chagrin, peine. Mais tu te relèves, encore. Il faut bien avancer et espérer de nouvelles journées, plus heureuses, plus ensoleillées.

Et un jour l’erreur impardonnable et totalement ineffaçable. Décembre 2010. Un hiver blanc, tout blanc. La neige ne cesse jour après jour de tomber. J’ai mal à l’haine, comme une tension lancinante et permanente. J’ai l’impression en dehors de mal prise de poids hivernale que ma poitrine a grossi. BINGO ! Une grossesse totalement imprévue. Je sais qu’il sera “contre”. Je ne sais pas comment le lui dire. D’ailleurs j’attendrai qu’il parte chez lui pour les fêtes pour oser le lui dire.

Noël. Joyeux Noël. Il me ressort gentiment tous mes vieux démons, m’explique combien je serais totalement incapable d’être une bonne mère, que je ne serais bonne qu’à rendre cet enfant malheureux, que je n’ai pas d’autre choix… Avec ma très grande confiance en moi, je l’écoute et pire que tout, je le crois. Je dois renoncer à cet enfant. Pourtant cet enfant je l’aime déjà. Parfois j’imagine sa future chambre, les travaux de décoration et de peinture que je vais entreprendre.

Il n’a que quelques semaines et pourtant je lui parle déjà dans ma tête. Je n’ai jamais voulu d’enfant et là je sens que je l’aime déjà plus que tout ce petit être qui grandit en moi.

Noël, joyeux Noël. Trop de neige. Je ne peux pas prendre la route pour rejoindre mes parents. Je passe les “fêtes” seule. Je passe les examens seule aussi. L’échographie de contrôle. Une torture cette salle d’attente avec toutes ses futures mères souriantes, parfois accompagnées de leur conjoint, parfois de leur mère, parfois d’une amie. Je suis seule, je vais voir l’échographie de ce petit être qui ne naîtra jamais et je voudrais mourir, je voudrais disparaître sous terre.  Mais il n’y a nulle part où me cacher et tout ce que je peux faire c’est ravaler mes larmes tant bien que mal.

31 décembre. Bonne année ! Premier rendez-vous à l’hôpital. Bienvenue à l’abattoir ! Le médecin n’a rien d’humain. Zéro compassion. Traitement à la chaîne. Tout est froid, tout n’est que chiffres. Sans parler des questions complètement connes, sans parler des sous-entendus aussi qui te disent à quel point tu es une grosse conne stupide et combien c’est ta faute si tu en arrives là. Sauf que non. La contraception et la procréation je sais très bien comment ça fonctionne. Sauf que les accidents et les imprévus ça existent vraiment, pas uniquement dans les films… Alors j’oscille entre colère et désespoir. Et je continue de parler au petit être. Parfois je rêve que j’ai le courage “d’aller jusqu’au bout”, de le garder, je rêve que je suis capable de m’en occuper, je rêve qu’on est heureux tous les deux…

Mais ce joli rêve n’aura pas lieu. Début janvier 2011. C’est le jour du second médicament. Hospitalisation d’une journée. Seule forcément. Ma voisine a plus de chance dans son malheur. Sa mère et son petit ami se relaient tour à tour pour lui tenir la main et l’aider à traverser cette épreuve. La douleur est aussi morale que physique. Le second cachet est destiné à provoquer de puissantes contractions permettant l’expulsion de l’embryon… J’ai beau savoir à quoi tu ressembles à 7 semaines de développement. Pour moi tu n’es déjà plus un embryon… C’est mon bébé que je suis en train de tuer. À grands coups de terribles crampes, accompagnées de sueurs glaciales et de tremblements fièvreux. Je serre les dents, je m’accroche aux barreaux du lit et j’attends que les antalgiques fassent enfin effet… Cette journée s’achève. Retour à la maison. Encore deux longues semaines de saignements…

J’ai honte. J’ai mal. J’ai cru que la page serait plus facile à tourner une fois cette terrible journée à l’hôpital terminée. Quelle naïve erreur. Sans parler de l’ex qui me fait la gueule, qui me reproche sans cesse mon manque d’entrain et mon absence de sourire… Quelle bonne blague. Comment pourrais-je encore sourire ?

Je passe de nombreuses journées sans y penser, parfois des semaines. Et subitement je ne dors plus. Subitement le cauchemars reviennent et les larmes avec. Subitement je sens mes forces m’abandonner et je ne sais plus à quelle licorne me vouer.

Voilà, nous avons tous nos blessures, nos défaillances, nos faiblesses. Nous avons aussi nos remèdes, nos béquilles, nos soutiens. Nos petits trucs, nos petites astuces pour aller mieux et pour continuer de nous lever tous les matins, pour continuer de trouver l’envie de sourire et d’avancer dans la vie.

Alors en attendant que s’envole la douleur, je mets des chamallows dans mon caddie, de la guimauve dans mes écrits et du rose sur mes pages…


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