Le recours systématique à l’hospitalisation – y compris et surtout pour des situations de santé qui ne le nécessite pas – est-il une fatalité de notre pays ?
Le poids considérable des dépenses du secteur ainsi que le mot d’ordre unanimement partagé par les professionnels de santé aux patients de se rendre à l’hôpital en cas de problème semble tendre vers une réponse positive à cette question.
Cet état de fait est déploré par les personnels hospitaliers eux-mêmes, débordés par ce flux incessant dont les besoins et attentes ne correspondent que peu aux missions et aux moyens des hôpitaux.Parce qu’ils se fondent sur :
- la sécurité « au cas où » il y a tout sur place (soignants et appareils techniques),
- la non avance de trésorerie,
- l’ouverture et l’accès facilité,
les patients sont les premiers demandeurs de ce recours le plus fréquent possible à l’hôpital.Par facilité, les autorités compétentes acceptent ce diktat du patient/consommateur tout-puissant.Le coût financier et humain de cette situation a beau être connu et décrit depuis des décennies par de multiples enquêtes ou rapports, nul ne veut s’exposer pour stopper cette spirale infernale.La réforme non aboutie des ARS n’incite pas, il est vrai, à la prise de risque. En effet, la transversalité ville/hôpital incombe aux ARS mais l‘organisation de l’ambulatoire demeure aux mains de l’assurance-maladie, cloisonnée par professions, ce qui laisse les ARS dépourvue des moyens d’avancer.
Enrayer cette dégradation constante est non seulement nécessaire mais également possible.
La permanence des soins ambulatoire est un concept et un exemple parlant. De création récente au côté de l’aide médicale d’urgence, la « permanence des soins » s’est construite dans la dernière décennie.
De fait, aux côtés des accidents et situations de santé nombreuses qui nécessitent un recours sans délai aux soins appropriés, il coexiste des demandes de soins non urgents à l’heure de fermeture des cabinets (fièvre chez l’enfant, syndromes douloureux, etc..), autant de situations qui justifient un avis médical mais en aucun cas un recours à l’hôpital.
Une partie des médecins généralistes porte des réponses organisées à ces demandes des patients.
D’autres ne se sentent pas responsables de ce qui peut arriver aux patients qu’ils soignent la journée lorsqu’ils sont absents. Les pouvoirs publics ont pris acte de cette évolution sociétale et ont décidé de remplacer l’ancestrale obligation par le volontariat.
Le volontariat est évidemment une notion respectable. Elle a ceci d’ambigu toutefois, qu’elle donne aux non-volontaires un rôle à jouer dans l’organisation de fait de la permanence des soins puisqu’ils engagent leurs patients à se rendre à l’hôpital.
Cette ambiguïté pervertit toute tentative d’organisation.
La régulation téléphonique
Toute demande de soin ne recouvre pas un besoin de santé. Pour autant chaque demande doit recevoir une réponse appropriée à l’état de santé de celui qui la formule. A charge pour les acteurs des soins ambulatoires d’organiser cette réponse : neuf fois sur dix le recours à l’hôpital par défaut sera évité.
Pour notre part, la prise en charge par la médecine générale s’organise. Il s’agit du recours à un numéro de téléphone dédié (en l’occurrence le 3966) dans des conditions optimales de sécurité (enregistrement des appels, réponse par des médecins généralistes en exercice, lien étroit avec l’AMU). Cette régulation téléphonique permet également de recourir en tant que de besoin aux médecins généralistes pour organiser le contact direct avec le patient quand il le faut.
Le nombre d’appels de patients progresse rapidement et les régulateurs remplacent de plus en plus souvent des actes de nuits ou de dimanches par des conseils téléphoniques adaptés à la situation des patients.
Si le temps de la régulation est payé, elle ne l’est pas à la même échelle que l’acte lui-même. C’est la contribution des médecins généralistes libéraux et volontaires au bon fonctionnement du système de santé par un moindre recours à l’hôpital.
La disparité des situations
Du côté des médecins de terrain, les situations locales sont contrastées. Entre un centre urbain ou coexistent des plateaux techniques nombreux et d’autres zones péri-urbaines ou rurales mal pourvues dépourvues de maillage de santé pertinent, aucune comparaison n’est possible.
De ce fait, il ne peut y avoir de modèle unique de Permanence des soins sur tout le territoire mais là ou des médecins généralistes le souhaitent, le suivi des malades doit être possible et l’accès aux soins de proximité n’a en aucun cas vocation à rejoindre les enceintes hospitalières.
Nous savons que des évolutions sont sans cesse nécessaires. La reconfiguration des secteurs de garde, par exemple après minuit lorsque l’activité diminue, pour mieux adapter l’offre aux besoins de soins est déjà engagée dans certaines zones.
Cette re-sectorisation est à la main des ARS qui, pour une fois, sont en mesure d’agir. Cette négociation locale s’entend à enveloppe constante. C’est une révolution tant l’habitude est prise de réduire sans cesse l’enveloppe des moyens des médecins généralistes et des acteurs des soins primaires.
Assurer les réponses aux appels par la régulation téléphonique ou par un médecin de terrain lorsque l’état de santé du malade le nécessite permet de mettre un terme au discours de renoncement du « allez à l’hôpital pour tout ».
Des équipes de permanence
Au-delà, d’autres évolutions finiront par s’imposer : la nuit ou le week-end, les médecins généralistes doivent aussi pouvoir compter sur les autres professionnels libéraux, tels que les pharmaciens et les infirmières. Cela nécessite une meilleure organisation, plus respectueuse des professionnels de chaque secteur dont l’implication doit être mieux reconnue.
Vers la continuité
L’évolution logique est le passage de la permanence des soins vers la continuité des soins avec des prises en charge pluridisciplinaires. Les médecins généralistes, pharmaciens et infirmières sont trois acteurs essentiels des tranches horaires de nuit et de week-ends. Ils ont une activité intense au service des patients aujourd’hui invisible aux côtés du vaisseau hôpital et ses lumières.
Demain, organisés en équipes de soins coordonnés, l’un de ses membres pourra assurer la prise en charge du patient selon les protocoles établisensemble et assurera le retour d’information vers les autres acteurs. Cette organisation souple au service des malades et respectueuse des professionnels est à notre portée. Partout des professionnels souhaitent s’engager dans ces nouvelles organisations et assumer en toute transparence des responsabilités élargies.
Sortons des discours lénifiants sur les difficultés d’accès aux soins et la progression des déserts médicaux. Parions sur l’enthousiasme et l’envie de faire des professionnels de terrain, donnons aux ARS les moyens d’ouvrir des appels d’offres pour ces équipes locales de professionnels avec un cahier des charges et des engagements réciproques adaptés à chaque territoire.