Magazine Humeur

Culture(s) politiques(s) et histoire des politiques culturelles

Publié le 11 juin 2012 par Ep2c @jeanclp

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LE POLITIQUE, L'ARTISTE ET LE GESTIONNAIRE. (RE) CONFIGURATIONS LOCALES ET (DÉ) POLITISATION DE LA CULTURE

Vincent Dubois, avec Clément Bastien, Audrey Freyermuth et Kévin Matz

Éditeur : EDITIONS DU CROQUANT

L’action publique, nationale et locale, dans le domaine de la culture a été largement développée depuis les années 1960. D’une certaine manière, on peut dire qu’il est question, en ce domaine, d’une politisation de la culture, à moins d’ailleurs qu’il ne s’agisse plus précisément d’une politisation du thème de la culture et des obligations des institutions en ce domaine, ce que sans doute cet ouvrage ne fouille pas assez. Il n’empêche, durant ce temps, les rapports des agents sociaux avec le champ culturel se sont modifiés. Les orientations des politiques culturelles ont suivi le même chemin. Et la question se pose de savoir si ces changements ont eu des répercussions sur le mode de fonctionnement du champ culturel (lesquels et au profit de quoi).

Afin d’explorer ces mutations, cet ouvrage, dirigé par un professeur à l’université de Strasbourg, interroge les politiques culturelles locales en France.

(…)

Du point de vue conceptuel, on pourrait réduire cette thématique à la traditionnelle analyse des rapports de l’art et de la ou du politique. Mais ce ne serait pas juste. L’ouvrage est plus subtil. Il produit plus exactement une "analyse localisée des rapports entre culture et politique" qui s’efforce de "rendre compte des configurations qui dessinent, à un moment donné, l’espace et la structure dynamique des relations entre agents sociaux engagés à divers titres dans la production d’une politique culturelle". Ces configurations doivent être étudiées, non seulement parce qu’elles éclairent les relations arts/culture et politique, mais encore parce qu’elles permettent d’éviter les schémas les plus usés d’une confrontation face à face entre l’artiste et le politique, alors que ces relations, localement (et sans aucun doute aussi nationalement), sont tissées de connivences et d’oppositions, d’interactions directes et indirectes, d’interdépendances et de médiations que l’on ne peut nullement ignorer.

(…)

Ce que cet ouvrage observe avec pertinence, c’est que la politisation réussie des questions culturelles en vue du développement de l’intervention publique conduit à l’institutionnaliser, c’est-à-dire à lui conférer des structures, des agents et des logiques spécifiques qui finalement l’autonomisent des investissements politiques qui en étaient l’origine. Dès lors, on pourrait sans doute parler, ainsi que le font les auteurs, d’une dépolitisation de l’action culturelle, ou sans doute mieux d’un déplacement de la politisation.

En effet, cela ne va pas sans entraîner des mutations profondes. Les horizons politiques de l’action culturelle sont alors retraduits dans le langage des professionnels de la culture ou de l’action publique territoriale. On en a des exemples à travers le déploiement de la "politique de la ville", ou plus récemment de la politique du "développement durable" et de la "diversité culturelle". Au cours de la période considérée, les systèmes de relations constitutifs des politiques culturelles locales et les systèmes de croyance et de justification qui y correspondent se sont trouvés partagés en deux : aux politiques élus la définition des grandes lignes politiques de l’action ; aux acteurs culturels le choix des contenus.

La caractéristique majeure avancée par cet ouvrage est la suivante : l’action culturelle locale s’est progressivement institutionnalisée, depuis les années 1980. Elle a été constituée en un ordre spécifique de pratiques, détaché des secteurs auxquels elle était traditionnellement associée (jeunesse, éducation, sport) ainsi que des personnels qui lui portaient attention (instituteurs, associatifs, militants). Dans le même mouvement, montrent les auteurs, un travail de formalisation, opéré dans de multiples sites (localement, mais aussi dans des revues, des colloques et des formations), a contribué à homogénéiser le sens des pratiques en les dotant de finalités exclusivement culturelles. Et de nouveaux agents ont prétendu au monopole de la pratique légitime en la matière.

Le prisme au travers duquel ces mouvements sont interprétés est cependant plus large encore. Car l’idée centrale manifestée et défendue par le directeur de la publication est celle-ci : cette mutation de la sphère culturelle en institution a correspondu à un double mouvement, lequel a consisté à imposer le deuil des utopies culturelles et politiques des partis des années 1950 et à déposséder les agents sociaux qui, dans les années 1960-70, se mobilisaient encore pour le développement de politiques culturelles.

 (...)

Où l’on perçoit aussi un des enjeux de cette traversée historico-sociale. Elle se constitue un modèle de la politique culturelle locale à l’aune duquel elle jauge de l’institutionnalisation de la culture. Ce que l’ouvrage désigne comme fondement, le rapport "au populaire", se trouverait par conséquent écarté, soit sous la forme d’une ignorance délibérée désormais, soit sous la forme d’une ethnographisation des pratiques populaires. En arrière fond du commentaire : les stratégies de récupération du champ universitaire par rapport à ces pratiques.

Enfin, on remarquera rapidement que les commentaires prennent aussi l’art contemporain comme aune de cette dépolitisation, puisqu’ils affirment largement que l’importation de l’art contemporain dans les politiques locales marque ce processus de refoulement du populaire du signe d’un écart violent.
Ce qui ne signifie évidemment pas que l’on puisse se dispenser des apports de l’ouvrage. Le sérieux des analyses, les terrains relevés, les questions brassées – qui vont des dilemmes de cette institutionnalisation au mécénat d’entreprise (substitut des politiques municipales) en passant par les fondements politiques de l’intercommunalité culturelle -, ne peuvent laisser indifférent et donnent matière à une large compréhension des mutations de la sphère culturelle sur les 30 dernières années. De plus, les travaux vont jusqu’à mettre au jour les nouveaux enjeux des luttes intra-locales concernant la sphère de la culture. Ce n’est pas pour rien que les interventions directes, désormais, d’élus locaux dans l’organisation, la nomination du personnel, l’allocation des ressources ou la programmation de structures culturelles se multiplient. Ces interventions rompent avec deux pratiques connues : celles qui étaient instaurées auparavant dans le cadre des pratiques de partis, et celles qui accordaient l’indépendance aux professionnels de la culture. Double rupture qui, de nos jours, aboutit à ces censures d’expositions dans le cadre des villes sur l’ordre des maires ou des adjoints à la culture. Rupture que l’Observatoire de la liberté de création a pour rôle de surveiller de près pour en dénoncer publiquement les méfaits et obtenir les réparations requises au profit non seulement des œuvres d’art, mais surtout des publics qui ont le droit de se faire eux-mêmes un avis sur les affaires culturelles. Ce qui est clairement décisif, c’est de mettre au jour les différents registres par lesquels les élus s’autorisent des interventions, et les profits politiques qu’ils peuvent en escompter.

En somme, nous tenons là le premier ouvrage synthétique – assorti d’une méthodologie et donc ouvert sur d’autres recherches à entreprendre – portant sur les conditions locales d’émergence des "affaires culturelles". Certes, les situations locales sont variées, et tant mieux si d’autres ouvrages éclairent encore ce phénomène. Mais globalement, se déploie sous nos yeux une histoire qui, partant d’une politisation spécifique de la culture aboutit à sa repolitisation sous une autre forme. La politisation actuelle des politiques culturelles, dans la structure de l’espace culturel local, n’est pas identique à la politique des premiers acteurs culturels des municipalités de gauche au sortir de la Guerre. La situation actuelle nous place devant des affaires culturelles qui se sont autonomisées par rapport aux personnels politiques, tout en pouvant recevoir le soutien du ministère de la Culture qui a évolué dans le même temps. L’ouvrage répertorie d’ailleurs fort bien les arguments centraux utilisés par les élus dans les grandes affaires culturelles (conflictuelles) du temps. Entre "difficultés budgétaires" et "problèmes de sécurité", les contenus culturels visés peuvent largement être pris à parti. Et parmi les arguments les plus décisifs, bien sûr : l’argument d’autorité politique, les atteintes à la morale et l’absence pure et simple d’argumentation.

© Christian RUBY sur nonfiction.fr (Lire l’intégralité du compte-rendu)

On doit pouvoir encore écouter l’entretien avec Vincent Dubois conduit par Sylvain Bourmeau sur France Culture (La suite dans les idées du 2 juin 2012)


Cet ouvrage éclaire l’évolution des rapports entre culture et politique depuis le début des années 1960. Il retrace pour ce faire les changements intervenus dans les systèmes de relation constitutifs des politiques locales de la culture. Les collaborations entre agents des champs politique, bureaucratique et culturel pour la promotion de l’intervention culturelle publique ont doté cette politique de structures et de logiques spécifiques qui l’ont progressivement rendue autonome par rapport aux investissements politiques qui en étaient à l’origine. Au fur et à mesure de cette institutionnalisation, un partage des rôles s’est tant bien que mal instauré, confiant la définition des grandes orientations aux élus et réservant celle des programmes aux acteurs culturels. Dans le même mouvement, la mise en avant de finalités proprement culturelles (et notamment la sempiternelle « démocratisation de la culture ») a permis de formuler sinon des objectifs clairs, au moins des compromis relativement stables. Ce double modus vivendi a été remis en cause depuis le milieu des années 1990. Les contraintes budgétaires ont notamment réduit l’initiative des acteurs culturels et, parfois, déplacé le centre de gravité des arbitrages culturels du côté des élus. Il est peu à peu devenu pensable que les politiques de la culture poursuivent d’autres fins que principalement culturelles, et soient mises au service du développement économique. L’histoire retracée dans cet ouvrage à l’échelon local révèle ainsi une évolution beaucoup plus générale : la remise en cause concomitante des spécificités des politiques culturelles et de l’autonomie du champ culturel. 
(Présentation de l’éditeur) 
Vincent Dubois est professeur à l’université de Strasbourg et membre de l’Institut universitaire de France. Il a notamment publié La politique culturelle (Belin) et Les mondes de l’harmonie (La Dispute, 2009, avec J.-M. Méon et E. Pierru). 
Clément Bastien est doctorant, et travaille sur le mécénat d’entre­prise. 
Audrey Freyermuth est docteure en science politique, elle étudie le traitement politique des questions de sécurité et l’inter­communalité culturelle. 
Kévin Matz, doctorant, analyse l’essor du développement économique comme credo des politiques de la culture. 
Tous sont chercheurs au GSPE-PRISME (UMR CNRS 7012) de l’université de Strasbourg. 
Ré-édition La politique culturelle en France : genèse d'une catégorie d'intervention publique
Vincent Dubois  (Belin) à paraître mi-Juin 2012 
La politique culturelle fait aujourd'hui partie des champs d'action des pouvoirs publics. Elle demeure néanmoins floue dans ses objectifs, imprécise dans la définition de ses frontières et sujette à de fréquentes polémiques. C'est dans la genèse particulière de cette politique que se trouvent les raisons d'une telle ambivalence.
L'émergence de la culture comme catégorie d'intervention publique n'a pas été un processus linéaire. Les problèmes culturels (tels que les conditions de la création artistique ou la démocratisation culturelle...) ont d'abord été construits contre l'État quand artistes et intellectuels affirmaient leur autonomie. Ils sont désormais construits et traités par des experts officiels et des administrateurs de culture, au sein d'instances et d'institutions étatiques. En bref, ils deviennent des problèmes d'État. La politique culturelle emprunte alors les prétentions universalistes du monde intellectuel et artistique. Elle s'entoure d'un halo de flou propice à éloigner le spectre d'une culture d'État et réactive plus qu'elle ne les tranche les débats sur la définition de la culture.
En étudiant les modalités et les effets de cette genèse, de la fin du XIXe siècle à nos jours, ce livre apporte une contribution à l'analyse socio-historique de la formation d'une fonction et institution d'État et à celle d'un champ culturel progressivement transformé par l'intervention étatique. 
(Présentation de l’éditeur) 
Vincent Dubois est professeur à l’université de Strasbourg et membre de l’Institut universitaire de France. Il a notamment publié La politique culturelle (Belin) et Les mondes de l’harmonie (La Dispute, 2009, avec J.-M. Méon et E. Pierru).

Thème(s) :Idées|Essai

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