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"Le fil de soie" de Sylvie Blondel

Publié le 11 juin 2012 par Francisrichard @francisrichard

 

Les nouvelles racontent des histoires à forte concentration. C'est tout un art. Y excellent ceux ou celles qui savent peaufiner leurs phrases, peser leurs mots, reconstituer des pans de vie entiers en quelques pages.

En anglais le roman se dit novel. En français la nouvelle, qui a la même étymologie, est au fond un petit roman destiné aux gourmets. 

La quatrième de couverture du Fil de soie nous dit que Sylvie Blondel s'est livrée à l'enseignement, au journalisme, au théâtre amateur, aux voyages et à l'écriture. 

De telles activités favorisent les rencontres, la connaissance de l'humaine condition, le côtoiement de destins parmi les plus divers et le dépaysement. Cela se ressent à la lecture des histoires courtes et intenses que l'auteur nous propose dans ce recueil de neuf nouvelles.

La plupart de ces nouvelles sont écrites à la première personne par des femmes, qui nous racontent des rencontres sans lendemain ou des échappées pour toujours.

Lina, l'hermana de coeur de la première narratrice, qui l'a rencontrée alors qu'elle était réfugiée en Espagne, a connu un destin cruel au temps de la dictature militaire en Argentine, et ne se remet pas d'un viol initial, puis de tortures qu'elle a subis pour prix de sa rébellion, quel que soit le lieu où elle se retrouve. Pendant longtemps elle ne connaît pas d'échappatoire.

La deuxième narratrice est en vacances pour quelques jours sur une île grecque qui est un microcosme où tout le monde se connaît et ne s'aime pas. A son arrivée, à une station de bus, elle rencontre un natif de cette île, Stavros, qui lui raconte sa vie. Sur le bateau du retour, après un séjour décevant, elle le rencontre à nouveau, est prise d'émoi, le temps trop bref d'une traversée.

La troisième narratrice s'est mariée à Marcello, un boucher, fils de boucher, collègue de son père. C'est un coureur de jupons qui semble s'être enfin rangé pour l'épouser et ne s'occuper que d'elle. Il suffit pourtant de l'apparition dans leur immeuble d'une aveugle, Jeanne, pour que ce don juan aux fantasmes cannibals, n'ait d'yeux que pour cette belle aux yeux éteints et reprenne du service. C'est insupportable et insupporté.

La quatrième narratrice est tombée amoureuse de Jordan. Le service militaire le transforme étonnamment. Lui "qui caricaturait soldats et officiers" devient "adepte des jeux guerriers" et "spécialiste en stratégie". Insensiblement il s'éloigne d'elle avec qui il ne partage bientôt plus rien, jusqu'au moment où le fil qui les reliait encore ténument finit par se casser.
 

La cinquième narratrice est en plein délire onirique. Elle est couchée dans un lit qui n'est pas le sien et dont elle voudrait s'extraire. S'agit-il d'un lit de mort ou de naissance? Doit-elle y retourner après l'avoir quitté ou doit-elle poursuivre sa route nocturne, inexorablement? Est-elle une gentille proie survolée par un prédateur prêt à fondre sur elle? Quelle est donc sa destination?

La sixième narratrice a fait un beau mariage, sur le papier, avec John, riche héritier. Prodigue, il ne lui laisse que des dettes une fois disparu dans un accident. Il lui faut bien trouver une solution, elle qui n'a jamais travaillé pour vivre et qui se retrouve avec deux enfants sans père. Ne doit-elle pas faire comme naguère, c'est-à-dire faire fi de la réalité pour embarquer on ne sait pour où?

Un fantôme nous parle. Il ne dort jamais et rêve éveillé. Il est condamné à errer dans un château qui ne semble pas le sien, où des gens, qu'il ne connaît pas ont été massacrés, et qui est visité par des touristes. Sur une photo de classe il voit un garçon qui lui ressemble. Le temps perdu remonte alors à la surface de sa mémoire. Il peut verser enfin les larmes qu'il a contenues jusqu'à sa mort.

La nouvelle la plus aboutie a donné son titre au recueil. Une femme a tiré un trait sur sa vie antérieure et séjourne dans une maisonnette à terrasse, en bord de mer, pour avoir tout le temps. Un homme vit dans une caravane au milieu d'une pinède proche, pour peindre et dessiner à loisir. Ces voisins sont tous deux "deux en un", reliés "par un fil de soie qui peut se rompre à tout instant".  Tour à tour ils nous disent ce qu'ils perçoivent l'un de l'autre et comment ils se rapprochent peu à peu l'un de l'autre.

La dernière narratrice nous emmène tout autour de la Terre et nous fait rêver avec elle des chambres où elle n'a pas dormi et de celles où elle a dormi. Car elle s'est arrêtée de voyager loin sans ménager sa monture. Sur sa ligne de chemin de fer familière, Berne-Lausanne, ou chez elle, elle voyage désormais le front contre la vitre ou le nez dans un bouquin. Avant le vrai voyage, où elle ne s'emportera pas.

Sylvie Blondel nous fait le cadeau de toutes ces vies cahotiques, le plus souvent avec le regard d'une femme, c'est-à-dire attentive à tous ces détails qui nuancent l'existence. Quand elle donne la parole au fantôme masculin ou au peintre amoureux de sa voisine, elle leur prête un regard cette fois tout à fait masculin. Ce qui montre que le lecteur a affaire à une fine observatrice à laquelle convient fort bien ce genre exigeant de la nouvelle.

Francis Richard


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