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Auguste Comte et le positivisme

Publié le 13 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

On entend souvent parler de positivisme mais ce terme recouvre une variété de sens qui le rend difficile à cerner. Auguste Comte (1798-1857), son fondateur, revendique le positivisme comme une philosophie qui admet pour seule démarche rigoureuse la méthode expérimentale. C’est l’idée que la démarche des sciences physiques pourrait s’appliquer à l’ensemble des savoirs, y compris à la morale et à la politique.
Par Damien Theillier.

Auguste Comte et le positivisme

Statue de Comte, place de la Sorbonne, Paris.

Comte versus Descartes

Le point de départ de la philosophie, selon Comte, n’est pas « l’expérience intérieure de l’esprit » (le cogito cartésien) mais les sciences, qui sont les seules véritables « faits de l’esprit ». C’est pourquoi la philosophie telle que la définit Auguste Comte est une philosophie des sciences puisqu’elle est essentiellement une réflexion sur les sciences. Mais ce qui intéresse le philosophe dans la chimie ou l’astronomie, ce n’est pas le monde exploré par l’esprit mais l’esprit en train d’explorer le monde. C’est donc en fait une philosophie de l’esprit et non une philosophie de la nature.

Mais elle est aussi nécessairement une philosophie de l’histoire car une réflexion sur les méthodes qui ont réussi ne définit exactement l’esprit qu’en mesurant ses progrès : elle le saisit à travers l’histoire des sciences qui est comme la biographie de la raison. Ce qui remplace la métaphysique fondée sur l’expérience intérieure, c’est une philosophie de l’histoire de l’esprit à travers les sciences positives (expérimentales).

Pour connaître la nature de l’esprit, il faut connaître toutes les branches de ses connaissances. L’ordre successif des sciences doit manifester l’ascension de l’esprit à travers les états qui correspondent aux différents types d’unification des phénomènes. « Le siècle actuel sera principalement caractérisé par l’irrévocable prépondérance de l’histoire, en philosophie, en politique, et même en poésie. Cette universelle suprématie du point de vue historique constitue à la fois le principe essentiel du positivisme et son résultat général. (…) La vraie positivité consiste surtout dans la substitution du relatif à l’absolu. »

La loi des trois états

Selon Comte, il y a trois états successifs des sciences à travers l’histoire. La loi des trois états représente le développement de l’esprit aussi bien dans l’individu que dans l’espèce (enfance, jeunesse, virilité). Mais il s’agit d’une succession nécessaire, c’est-à-dire qui tient à la nature même de l’esprit.

L’état théologique

Il est caractérisé par la croyance en des causes efficientes (ou agents) doués de volonté, qui expliquent tous les phénomènes frappants de la nature. L’esprit humain naissant ne pouvait commencer à interpréter la nature que par une philosophie de forme théologique. En effet, il se trouvait enfermé dans un cercle vicieux : pour former des théories, il fallait observer les phénomènes mais pour observer il fallait bien avoir recours à quelques principes. Or la philosophie théologique est la seule qui se produise spontanément et qui n’en suppose pas d’autre. L’esprit n’a pas besoin d’observations préalables pour imaginer partout dans la nature des activités semblables à la sienne.

L’état métaphysique

Plus qu’un état, c’est le passage même de l’esprit théologique à l’esprit positif. Il est donc par nature transitoire et n’a pas de principe propre qui le définisse. La métaphysique substitue des entités (telles que la substance, les accidents…) aux volontés et la nature au créateur, détruisant les mythes et par là préparant le terrain à la physique.

L’état positif (ou scientifique)

Il renonce à toute explication du « pourquoi » pour s’attacher uniquement au « comment », sur la base de faits connus par l’expérience et l’observation. Il s’agit donc de chercher non la cause mais la loi, c’est-à-dire de renoncer à la connaissance de l’absolu pour se cantonner dans le relatif qui est le seul objet accessible par la raison. « Tout est relatif, voilà le seul principe absolu » selon Comte. La connaissance positive consistant à relier entre eux les phénomènes et à en formuler les lois, sur le modèle de la physique.

Le positivisme dans les sciences sociales

Le terme de philosophie positive « désigne une manière uniforme de raisonner applicable à tous les sujets sur lesquels l’esprit humain peut s’exercer » y compris les phénomènes sociaux, ce que ne comprend pas le terme de philosophie naturelle de Newton, bien que la méthode soit la même.

C’est pourquoi la philosophie positive se donne pour tâche d’achever le système des sciences d’observation en fondant la physique sociale.  Ainsi tous les phénomènes observables pourront rentrer dans l’une des cinq grandes catégories (astronomie, physique, chimie, physiologie, sociologie) et la philosophie sera définitivement constituée, ayant acquis le caractère d’universalité qui lui manquait encore.

Disciple de Saint-Simon, dont il fut le secrétaire, le fondateur du positivisme conçoit la sociologie sur le modèle pur et simple de l’organisme biologique. Par rapport à cette totalité sociale organique, « l’individu n’est qu’une abstraction qui cependant lui doit tout aux deux sens de l’expression — il reçoit d’elle tout son être et il a l’obligation de s’y dévouer totalement » écrit Alain Laurent (L’individualisme méthodologique). Comte, en effet, multiplie les références à l’ « organisme social » qu’est la société, également qualifiée de « Grand Être » dont les parties sont liées par une solidarité organique.

Dans cette perspective, on trouve sous la plume de notre auteur des déclarations, aussi fracassantes qu’inquiétantes, telles que :

Le positivisme n’admet jamais que des devoirs, chez tous envers tous. Car son point de vue toujours social ne peut comporter aucune notion de droit, constamment fondée sur l’individualité. Nous naissons chargés d’obligations de toute espèce, envers nos prédécesseurs, nos successeurs, et nos contemporains. Elles ne font ensuite que se développer ou s’accumuler avant que nous puissions rendre aucun service. Sur quel fondement humain pourrait donc s’asseoir l’idée de droit, qui supposerait raisonnablement une efficacité préalable ? (Catéchisme positiviste, 1852).

Le projet d’une politique scientifique

Enfin, selon Auguste Comte, le triomphe définitif de la philosophie positive aura pour conséquence la réorganisation totale de la société. « Le mal consiste surtout dans l’absence de toute véritable organisation. » Or pour Comte, la liberté individuelle est le principe même de la désorganisation. La science politique telle que la conçoit Auguste Comte aura donc pour objectif de subordonner l’individu à la Société.

Cette nécessité historique passe d’abord par la refonte du système d’éducation. En effet, celui-ci est encore trop théologique, métaphysique et littéraire, pour être conforme à l’esprit positif.

« Vivre pour autrui », telle était l’une des devises du positivisme que Comte prévoyait d’expliciter dans un Traité de l’éducation universelle, peu avant sa mort.

L’homme proprement dit n’existe pas, il ne peut exister que l’Humanité, puisque tout notre développement est dû à la société sous quelque rapport qu’on l’envisage. (Discours sur l’esprit positif, 1842)

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Publié initialement sur 24HGold.


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